Clientèle "Affaires" en Europe : pas avant 2025

Clientèle "Affaires" en Europe : pas avant 2025

Les hôtels européens devront attendre jusqu'en 2025 pour un retour complet des clients d'affaires internationaux... si tout va bien. Ce retard sur le tourisme de loisirs est dû au désamour entre les entreprises et le business travel à l’étranger. Les visioconférences concurrencent férocement les réunions classiques, mais tout n’est pas perdu, c'est un espoir pour le workation.

Les restrictions sanitaires sont progressivement levées, l'industrie du voyage va retrouver la liberté, mais les attitudes envers les voyages d'affaires ont considérablement changé. Après plusieurs mois d'appels vidéo remplaçant les réunions classiques, les voyageurs d'affaires reprennent bien lentement la route et les airs... L'essor des réunions hybrides en "phygital" (avec des interlocuteurs en présentiel et en distanciel), la sophistication des logiciels de visioconférence et l'intérêt croissant des entreprises pour la durabilité ont diablement secoué les vieilles normes du business travel. La tendance de cette année, c’est aussi les réunions de multinationales sur des lieux de rassemblement régionaux, qui occasionnen moins de longues distances pour la plupart des participants. *"Certains changements assez durables ont déjà remodelé la façon dont les professionnels interagissent au-delà des frontières", observe Ross Petar, co-responsable de la recherche hôtelière chez JLL (Royaume-Uni). "Les entreprises tiendront leurs employés en laisse pendant les années à venir", affirme carrément Matthew Parsons, rédacteur voyages sur la plateforme de prospective Skift. Tout le monde est d'accord : en principe, le rebond des voyages d'affaires doit dynamiser le secteur hôtelier, particulièrement touché dans les grandes villes. Mais quand, avec quelle intensité et à quel rythme ?

Les dépenses de voyages d'affaires en Europe ont chuté de 58% en 2020 pour atteindre 140 milliards de dollars, selon la Global Business Travel Association. Ce manque à gagner s’illustre à Paris par un désastre persistant, avec deux milliards d'euros de pertes pour le tourisme d'affaires parisien, pour le seul 1er semestre 2021, selon une étude de la CCI francilienne présentée début septembre. 5 milliards ont été perdus depuis le début de la crise. 154 salons ont été annulés cette année (soit 3,4 millions de visiteurs en moins) et les clientèles d'affaires asiatique et américaine, dont le panier moyen est supérieur à celui des Européens, ont déserté la capitale.

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Le business travail n’est pas mort, il est convalescent

Les avis divergent sur la vitesse de la reprise du business travel et sur cette reprise elle-même ! Qu’en pensent les grands décideurs et observateurs ?

  • Bill Gates, très radical, estime que "plus de la moitié des voyages d'affaires vont disparaître".

  • Jessica Jahns, co-responsable de la recherche hôtelière chez JLL (Royaume-Uni), prédit que "un retour aux niveaux de voyages d'affaires d'avant la pandémie est peu probable avant un certain temps - ou peut-être jamais".

  • Scott Kirby, DG de United Airlines, prévoit que la visio va continuer quelque temps, mais qu’en cas de perte de contrats commerciaux à cause de cette méthode à distance, les réunions en vis-à-vis physique vont vite se ré-imposer.

  • Carsten Spohr, DG Lufthansa, s'attend à 10% de baisse des voyages d'affaires après la pandémie.

  • CCI Paris : la plupart des professionnels n'anticipent une reprise qu'en 2022.

  • Matthew Parsons (Skift) : "la reprise pourrait s'étendre sur plus de quatre ans".

  • Robin Rossmann, DG de STR, fournisseur de données sur l'industrie hôtelière mondiale, a de quoi, lui aussi, briser le moral des professionnels concernés : "en 2024, nous n’aurons pas encore retrouvé les voyages d'affaires internationaux" (le graphique ci-dessous souligne cette affirmation pessimiste).

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Les raisons d’un retard à l’allumage: les patrons freinent leurs salariés

En Europe, le ralentissement des voyages d'affaires va continuer de mettre à rude épreuve les établissements les plus "business dépendants". Ces hôtels qui assurent leur remplissage avec des voyageurs d'affaires internationaux vont d’autant plus souffrir que les économies en voyages réalisées par les entreprises font réfléchir leurs dirigeants ! Le coût d’une réunion internationale de 300 personnes baisse de 84% si ce forum professionnel est remplacé par un format de groupes (plusieurs personnes dans une même pièce, en visio avec d'autres groupes). Le temps de déplacement est réduit de 72%, les émissions de carbone de 73%. Ces estimations de la société de technologie de voyage Troop (France) rendent très tentantes les solutions distancielles, presque aussi vieilles qu’Internet, mais généralisées sous l’effet du Covid.

Le présentiel est-il à ce point devenu archaïque ? A l’inverse du tourisme de loisirs, dont le rétablissement est une affaire de temps, le tourisme d'affaires vit un changement de fond, car les patrons se rendent compte que le voyage n’est pas toujours indispensable pour leurs salariés. "Un certain nombre de rendez-vous d'affaires ne fonctionnent pas si mal en distanciel”, avoue Didier Kling, président de la CCI de Paris Ile-de-France. Autant l'activité des salons va finir par retrouver ses niveaux de 2019, autant ==les rendez-vous d'affaires ne vont "probablement plus se dérouler de la même manière"==, ajoute-t-il. Les avis semblables s’accumulent, parfois crûment : "Quel est le retour sur investissement du voyage ?", s’interroge Tina Quattlebaum, directrice des opérations mondiales de voyage chez Pfizer, visiblement opposée aux déplacements d’autrefois. Chez les salariés, l’envie de voyager reste forte, avec 70% d’entre eux "disposés" ou "très disposés" à reprendre l’avion pour les affaires, selon un sondage de la Global Business Travel Association, paru début septembre. "Aucun doute, les gens veulent voyager, mais la question est de savoir si leurs entreprises les laisseront voyager", déclare Robin Rossmann.

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Moins souvent, plus longtemps

Le voyage d'affaire s'interroge sur sa pertinence, son utilité et sa rentabilité. Ces questionnements, parfaitement nouveaux, ne sont pas extrêmement rassurants. Le cabinet McKinsey observe que certains secteurs économiques, dont les produits pharmaceutiques et l’industrie en général, ont encore un besoin de voyager lié à leur secteur d’activité, tandis que Marriott constate une forte demande de voyages d'affaires dans le secteur de l'énergie. En Russie, les réservations liées à ce domaine se rapprochent des niveaux de 2019. "Nous nous attendons à ce que ceux qui font leurs valises pour un voyage de travail voyagent moins, mais pour une durée plus longue", anticipe Ross Petar.
Moins de séjours fractionnés, plus de périodes de workation, ce glissement vers le monde d’après est probable. Un mélange plus fréquent de voyages d'affaires et de loisirs pourrait devenir un héritage à long terme de la pandémie, ce qui pourrait "finalement profiter à l'industrie hôtelière", espère Anthony Capuano, PDG de Marriott International. Ce changement profiterait aux hébergements dotés de services, au-delà des hôtels. Nous surveillerons ces tendances pour rendre compte de leur solidité.