Régime fiscal: le "oui, mais" du fisc mais le "non !" des hôteliers
Ce sont à de véritables "montagnes russes émotionnelles" que sont soumis les propriétaires de locations saisonnières depuis des mois. Entre les votes radicaux des parlementaires (qui rabotent au plus bas les avantages historiques) et les "adoucissements" de l'administration fiscale, certains ne savent plus à quel saint se vouer. Cependant, dans une note fiscale parue pour la Saint Valentin, le fisc se veut rassurant sur le régime qui sera appliqué aux revenus de 2023 ...
Si l'histoire d'amour entre les parlementaires et les propriétaires de meublés semble quelque peu marquée par l'orage, grâce à un avis rendu par le fisc le jour de la Saint Valentin, il se pourrait bien qu'une idylle nouvelle naisse entre les loueurs et les agents du fisc.
En effet, selon la dernière "instruction fiscale" parue dans le BOFIP la semaine dernière (Bulletin Officiel des Finances Publiques), le régime fiscal des locations meublées saisonnières devrait rester inchangé, du moins pour les revenus de 2023 et ce, en pleine contradiction avec les dernières lois adoptées au parlement. Une "rectification" a donc été publiée dans le bulletin officiel des finances publiques pour corriger la date d'entrée en vigueur du nouveau régime d'imposition, plus strict, qui avait été adopté par erreur dans la loi de finances pour 2024.
Cette mise au point n'est, cependant, pas du tout du goût de l'UMIH, le principal syndicat d'hôteliers qui déganait aussitôt un communiqué de presse rageur dans lequel les hôteliers dénonçaient que "ce revirement de position sème le trouble sur la volonté réelle du gouvernement d’encadrer les meublés de tourisme et mettre fin à l’optimisation fiscale dont cette activité bénéficie depuis de nombreuses années".
Le Conseil d'Etat saisi
Côté parlement, c'est aussi la consternation ! Pour de nombreux parlementaires (députés et sénateurs, de tous bords), cette mise au point contraire aux dispositions qu'ils ont votées en décembre dernier est une "première". ==Ils y voient là ni plus ni moins qu'un "excès de pouvoir" qu'ils veulent faire condamner au plus vite : "Un tel mépris de l'exercice démocratique est inacceptable. Nous le rappelons avec force : on ne vote pas la loi pour ne pas l'appliquer !"= soulignent Ian Brossat, sénateur PCF de Paris, Max Brisson, sénateur LR des Pyrénées-Atlantiques, Eric Bocquet, sénateur PCF du Nord, Rémi Féraud, sénateur PS de Paris et Nathalie Goulet, sénateur centriste de l'Orne.
Pour les parlementaires - qui ont consulté de nombreux experts de la question fiscale - "il est impératif que la déclaration d'impôt sur le revenu 2024 soit conforme au texte adopté en décembre. L'équité fiscale et la préservation de nos finances publiques ne sauraient souffrir de compromis face aux intérêts particuliers.". Et de conclure que :"L'absence de mise en application de la loi de finances est contra legem et contraire à l'intention du législateur. Elle représente, en outre, un manque à gagner gigantesque pour les finances publiques".
Les hôteliers ne lâchent pas !
Forte de cette vive réaction des parlementaires de tous bords, l’UMIH reste donc aux aguêts de la décision du Conseil d’Etat qui devrait, selon ses propres experts, annuler l'instruction fiscale aussi sec et donc, rétablir le coup de rabot historique donné sur l'abattement fiscal accordé aux meublé de tourisme.
Et d'ajouter dans un contexte d'actualité de rabot général des dépenses publiques annoncé par Bruno Le Maire, le ministre de l'économie : "On est en plein paradoxe ! Malgré l'annonce d'un plan d'économie de 10 milliards d'euros faite aujourd'hui, par le ministre des Finances, l’administration autorise les contribuables à bénéficier d’une niche fiscale pour leurs revenus 2023 !". Le point, les hôteiers l'ont bien vu, est ultra-sensible car très politique et pourrait calmer les ardeurs des tenants de Bercy.
Selon Véronique Siegel, présidente UMIH Hôtellerie Française, enfin, "cette décision est d’autant plus incompréhensible en pleine crise du logement. Dans les zones les plus tendues, de nombreux travailleurs ne peuvent plus vivre à proximité de leur lieu de travail. Des locataires, en règle, sont exclus de leurs logements pour qu'ils soient transformés en meublés saisonniers". En appuyant sur le thème du logement "permanent", les hôteliers appuient sur un point sensible qui pourrait, en effet, faire de grosses vagues d'ici quelques semaines; notamment, à l'approche des JO sur la région parisienne.
Initialement, ce changement de loi devait restreindre l'avantage fiscal plus généreux accordé aux locations meublées saisonnières. Actuellement, les logements touristiques classés sont déclarés selon le régime micro-BIC, avec un plafond de 188 700 euros de recettes par an, bénéficiant d'un abattement forfaitaire de 71 %. Il était, en effet, prévu de le rapprocher de celui appliqué aux locations de logements meublés classiques, avec un abattement de 50 % pour les bailleurs réalisant moins de 77 700 euros de revenus annuels, ce qui aurait entraîné de nombreux bailleurs vers le régime d'imposition réel. Pour les biens non classés en tant que "tourisme", l'abattement fiscal aurait même été réduit à 30 %, avec un plafond de revenus locatifs abaissé de 77 700 euros à 15 000 euros.
Ces modifications - gravées dans la loi de finances 2024 - étaient prévues pour prendre effet dès la prochaine déclaration de revenus, c'est-à-dire s'agissant des loyers encaissés durant l'année 2023. Cependant, l'administration fiscale a confirmé que ce nouveau régime ne serait pas obligatoire. Les propriétaires concernés pourront choisir, lors de leur déclaration de revenus en avril prochain, d'être imposés selon les règles précédentes afin de limiter les répercussions d'une application rétroactive. Mais il n'est pas dit en quoi consiste l'alternative : payer plus pour être un "bon élvève" ou payer selon les mêmes règles que l'année précédente au risque de se faire repérer ?.. Autre risque, le fait de se voir rattrapper par des décisions juridiques qui viendraient contredire la toute dernière instruction du fisc. Des fiscalistes et des associations de contribuables sont, en effet, aux aguêts pour attaquer toute interprétation qui viendrait en violation de la loi au motif de l'égalité des citoyens devant les obligations fiscales. Or, dans ce cas, c'est bien la loi voté cet hiver qui semble devoir primer ... Attention, par conséquent, aux effets de boomerang sur cette décision et celle qu'un propriétaire serait amené à appliquer se sentant fort de la seule "instruction fiscale".
Ce revirement de situation du fisc n'est cependant pas surprenant, car un tel changement exigerait des propriétaires de reconstituer leur comptabilité commerciale après coup, étant donné que l'amendement concerne le régime micro-BIC.
Cependant, cette question est loin d'être réglée. Les règles régissant la location meublée saisonnière restent au centre des préoccupations des autorités, en raison notamment de la crise du logement qui affecte l'accès à la location traditionnelle et les parlementaires n'entendent pas revoir leur vote initial.
Cependant, des spécialistes commencent à émettre l'idée qu'il serait possible que cet article de la loi de finances 2024 ne soit jamais appliqué. En effet, plusieurs propositions de loi visent actuellement à modifier le régime micro-BIC ainsi que le régime d'imposition des plus-values des locations meublées saisonnières.
Cette affaire prend désormais les allures d'un bon gros serpent de mer et il est difficile de pouvoir se fier à des décisions tangibles et définitives. Une chose est certaine, la déclaration de revenus 2023 de nombreux loueurs de meublés sera des plus compliquées...