La "France Airbnb" décryptée par Jérôme Fourquet

La "France Airbnb" décryptée par Jérôme Fourquet
Jérôme Fourquet, le sociologue de talent qui décrypte "la France moche" ou encore "la France des rond-points" et qui, d'une certaine manière, avait vu venir la crise des "gilets jaunes" vient de publier un rapport extrêmement précis et pertinent sur la "France Airbnb" ! Un phénomène irrépressible qui risque de marquer longuement la structure du marché touristique français ... même en dépit des nombreuses règlementations en cours de déploiement dans le pays.

Jérôme Fourquet est un de ses sociologues de talent dont la France a le secret qui parviennent, chiffres très à l'appui, à décortiquer des phénomènes trop rapidement banalisés. C'est le cas du "phénomène Airbnb" sur lequel se concentre l'étude que lui a confié l'institut Terram, fondé en 2024, "un groupe de réflexion collégial et multidisciplinaire dédié à l’étude des territoires". Pour ses fondateurs, "s'attaquer" au sujet Airbnb est une façon de mesurer à quel point le système modèle (ou contrevient) à la dynamique territoriale qui est "un pilier central de l’innovation économique, industrielle et numérique, de la préservation de l’environnement et de la décarbonation, de l’accès aux services publics, de la valorisation du patrimoine culturel et de la cohésion sociale". Le sujet est vaste, en effet.

Pour les auteurs de l'étude, Airbnb, a d’abord été vu comme une alternative sympa à l’hôtel. Mais, en quelques années seulement, la plateforme a accéléré l'émergence d'une "réalité territoriale majeure" selon les auteurs. L’étude trace ainsi une carte impressionnante du phénomène : plus de 28 000 communes françaises proposent au moins une annonce sur Airbnb; ce qui représente une couverture de 81 % du territoire !

Souce: Terram - Nov 2025

Et, pour les auteurs, de constater qu'il ne s'agit pas là "d'une simple vague passagère": entre 2018 et 2024, le volume de nuitées réservées via Airbnb a plus que doublé, pendant que l’hôtellerie stagnait. Selon les constatations du rapport, "Airbnb s’impose donc comme un acteur structurant du tourisme en France".

De l’exception à la norme : un modèle qui s’est installé partout

En remontant le temps, l'étude rappelle qu'au départ, la plateforme séduisait surtout les grandes villes, le littoral ou les stations de ski. Mais, depuis, en 2025, la carte Airbnb de la France couvre aussi bien les villages reculés du Cantal que les périphéries de Marseille.
Et de citer parmi les exemples les plus éloquents:

  • Moliets-et-Maa (Landes) : 70 000 nuitées pour 1 000 habitants,
  • Saint-Aignan (Cher) : 73 000 nuitées pour moins de 3 000 habitants (grâce au Zooparc de Beauval),
  • Paris, certains quartiers dépassent les 15 000 nuitées pour 1 000 habitants.

Autrement dit, l’implantation est massive, durable … et, forcément, difficile à endiguer.

Souce: Terram - Nov 2025

Un levier pour l’économie locale ... mais à double tranchant, selon les auteurs

A force de relevés, de cartes, de chiffres et de statistiques aux sources aussi diverses que sérieuses, l'étude affirme qu'Airbnb est devenu un accélérateur économique pour certaines régions. Selon ses auteurs :

  • Dans les bourgs de 1 000 à 3 000 habitants, plus une commune attire de voyageurs via Airbnb, plus elle maintient de commerces de proximité (jusqu’à 10 commerces pour les communes avec +20 000 nuitées par an).
  • En 2024, la plateforme a reversé 218 millions euros de taxe de séjour à 25 700 communes (soit 16 % de plus en un an).

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Mais derrière ce boost économique se cache aussi une tension grandissante que les lecteurs de ce blog ne découvriront pas :

  • Rareté du logement permanent dans les zones tendues,
  • Hausse des prix de l’immobilier et des loyers,
  • "Gentrification" de certains quartiers touristiques (Marseille, Biarritz, Paris…).

Des outils de régulation à l'efficacité très inégale

Pour les auteurs, si Airbnb crée le débat, c'est désormais en raison de nombreux "effets de bord" constaté ça et là sur le territoire. Avec des dilemmes majeurs chez les élus locaux qui hésitent souvent entre la régulation plus ou moins douce, la répression (lire ici) ou encore l'interdiction pure et simple. En théorie, même si les règles existent, selon les auteurs, beaucoup de communes n’utilisent pas tous les leviers à leur disposition tandis que les contrôles restent largement insuffisants, faute de moyens humains et techniques.

De leur côté, les plateformes ne bloquent pas toujours les annonces dépassant les plafonds ... Bref, le phénomène (que l'on peut bien sûr étendre aux rivaux d'Airbnb) est loin d'être maîtrisé ...

Et pendant ce temps, comme le soulignent les auteurs, Airbnb continue de croître, alimenté par une demande qui ne faiblit pas : 50 % des Français ont déjà utilisé la plateforme, et 30 % s’en servent au moins une fois par an.

Portrait d'un Airbnb-iste. Source: Terram

Enfin, l'étude aborde un point sensible ... celui qui oppose les "Airbnb" et l’hôtellerie classique … selon les auteurs de l'étude, la réalité est bien plus nuancée que cette opposition digne d'Astérix puisque Jérôme Fourquet identifie "deux cartes de France":

  • En 2024, seules 5 418 communes françaises disposent d’au moins un hôtel, soit 15,6 % du territoire.
  • À l’inverse, 28 289 communes accueillent au moins une annonce Airbnb. Soit 81 % du territoire.

Autrement dit, "là où l’hôtel n’a jamais été économiquement viable, Airbnb s’est installé sans peine" comme l'indique l'étude. Ainsi, dans les communes de moins de 500 habitants, ces dernières sont moins de 5 % à accueillir un hôtel tandis que plus des deux tiers d'entre elles affichent des hébergements Airbnb "actifs".

Selon l'étude, là où l’hôtellerie suppose des investissements structurants, Airbnb n'a qu'à mobiliser un stock existant (chambres chez l’habitant, résidences secondaires, logements vacants …) qui génèrent un revenu médian d'environ 3 800 euros par an chez les hôtes, soit "un revenu d’appoint et non un business à part entière". Ainsi, pour l'étude, certes Airbnb concurrence activement les hôtels de centre-ville mais elle aurait aussi permis la création d'une offre nouvelle là où il n’y avait … rien auparavant.

Cependant, l'étude admet que cette concurrence frontale s'est bien installée dans les grandes métropoles, les stations balnéaires ou de ski, où la tension est bien réelle. Pour les auteurs, il est indéniable qu'Airbnb capte une part importante de la clientèle, souvent à moindre prix. Sans compter que le phénomène s’accompagne de plus en plus souvent d’une rareté de logements pour les habitants.

Rapport Terram (Nov 2025)

Pour l'étude Terram, Airbnb n’aurait donc pas vocation à remplacer l’hôtel mais plutôt "à combler ses angles morts". Et, s'agissant des autres hébergements touristiques comme les maisons d'hôtes par exemple, la clé du succès (et de la résistance aux locations "sèches" reste bien la di-ffé-ren-cia-tion : accueil humain, services, sécurité, expérience, etc.

En conclusion, "La France Airbnb" est plutôt un "modèle" à recadrer et non pas à détruire ... Pour les auteurs, Airbnb n’est pas "le problème" mais un symptôme de l'émergence irréversible d’un tourisme plus flexible, plus mobile et plus éclaté. Cependant, préviennent les auteurs, sans un encadrement fort et adapté à chaque territoire, la plateforme (et ses concurrentes) pourrait, à terme, participer à alimenter les fractures déjà existantes qu'elles soient sociales, économiques et, bien sûr, territoriales ...

💡
Airbnb va intensifier sa distribution d'hôtels : Oui, c’est un virage désormais stratégique ! Airbnb veut désormais intégrer encore plus d'hôtels à sa plateforme. Et pas dans dix ans : dès maintenant, via un programme pilote lancé à New York, Los Angeles et Madrid, trois villes connues pour leur sévérité envers la location de courte durée. Dans ces villes où Airbnb est bridé, la demande reste, en effet, énorme. Et Airbnb veut la satisfaire ... d'autant plus, selon Brian Chesky son Big Boss, que les besoins hôteliers (business trips, lastminute, arrivée tardive) ne sont pas en concurrence directe avec le cœur de marché Airbnb (familles, séjours longs, hébergement immersif). En clair, selon Brian Chesky : "Ce ne sera pas au détriment des maisons, car les cas d’usage sont différents." Objectif : des hôtels … mais à la sauce Airbnb. Ni à la sauce Booking, non plus. Pour le patron d'Airbnb, la plateforme veut offrir des filtres dédiés aux hôtels, des pages de réservation plus détaillées (choix de la chambre, types de lits, etc.) et un accès plus facile pour les pros (business trip). Pas sûr, dès lors, que le "test" (comme d'habitude) reste circonscrit à ces trois grandes villes ...
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