Va-t-on vers un démantèlement des locations de vacances en France ?

Le récent exemple espagnol — où plus de 53 000 logements touristiques sans enregistrement ont été retirés d’internet — pose la question du devenir des locations de vacances en France et dans le reste de l'Europe. Certaines voix s'élèvent de plus en plus haut pour se demander si le rêve de devenir un propriétaire rentable devenait progressivement une illusion ?
Entre la multiplication des contraintes sur les loyers (voir plus bas), l’alourdissement fiscal, l’encadrement des locations touristiques et les limitations imposées aux résidences secondaires, de plus en plus de propriétaires expriment de plus en plus publiquement leur sentiment (désolé) de se dire que leurs droits sont (peut-être) remis en cause ... et que l'on s'achemine, à bas bruit, vers un démantèlement des locations de vacances post-Airbnb ... Pour certains même, repris par des élus de rang national, la situation serait en contradiction avec l’esprit de l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui consacre la propriété comme un droit fondamental.
Les signaux d’un encadrement renforcé
Il faut dire que, depuis deux ans, que ce soit au plan national ou en termes de règlementations locales, les signaux anti-prolifération des locations saisonnières se sont multipliés:
- La loi "Le Meur" (2024) a introduit des restrictions supplémentaires, notamment en renforçant le pouvoir des mairies pour limiter les jours de location pour les résidences principales (passant de 120 à 90 jours dans certaines communes), imposer des autorisations de changement d’usage pour les résidences secondaires ou encore, définir des zones réservées aux résidences principales dans les PLU, notamment dans les communes où les résidences secondaires représentent plus de 20 %,
- Désormais, plus clairement encore, le droit français exige déjà la déclaration de tout meublé de tourisme, parfois même avec un numéro d’enregistrement obligatoire dans les communes qui l’ont institué. Faute de cela, l’annonce peut être retirée des plateformes les plus populaires comme Airbnb,
- Depuis ce début d'année 2025, de nouvelles sanctions sont même prévues : les communes peuvent infliger une amende administrative jusqu’à 15 000 € en cas de dépassement des jours de location, ou jusqu’à 10 000 à 20 000 € pour défaut d’enregistrement ou fausse déclaration,
- Enfin, en parallèle, certaines communes touristiques comme Saint‑Malo, Biarritz, Chamonix, Royan envisagent ou adoptent des mesures pour interdire la construction de nouvelles résidences secondaires, instaurer des surfaces à usage exclusif de résidence principale, ou encore, restreindre fortement l’usage dédié à la location de vacances.





Ces évolutions montrent qu’un glissement réglementaire s’opère : la location touristique comme activité régulée, voire sérieusement encadrée, n’est plus une exception, mais tend à devenir la norme. Dès lors que l'eldorado ne sera plus ce qu'il était, quel avenir se dessine, en réalité, pour les propriétaires ?
- Rentabilité amputée : jusqu’à présent, beaucoup de propriétaires avaient choisi la location courte durée (Airbnb, meublé de tourisme) pour compenser les contraintes de la location longue durée. Mais si les jours autorisés sont réduits, ou si les autorisations deviennent plus coûteuses, le modèle économique peut devenir des plus fragiles,
- Risque d’expropriation indirecte : face aux menaces exécutées par certains élus locaux, de nombreux propriétaires dénoncent l’impression d’une "expropriation par la réglementation" : quand chaque usage devient soumis à autorisation, à quota, à compensation foncière, selon eux, "on restreint de facto la liberté d’exploitation des biens",
- Basculement vers la location longue durée ou l’usage privé: pour limiter les risques réglementaires, beaucoup pourraient donc revenir vers le bail à l’année ou l’usage personnel. Cela pourrait conduire à une baisse de l’offre touristique "à la carte", mais aussi à une remédiation partielle du marché résidentiel,
- Incertitude juridique et contestations: enfin, se pose la question constitutionnelle; à savoir, jusqu’à quel point l’État peut-il limiter les droits de propriété ? Le Conseil constitutionnel a déjà rappelé que toute atteinte doit être justifiée par un motif d’intérêt général et proportionnée.
Le débat juridique : propriété versus intérêt général
Certes, l’article 17 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen dispose que la propriété est un droit inviolable et sacré. Mais comme en soulignent les interprétations du droit constitutionnel, ce droit n’est pas absolu : toute restriction peut (et doit !) être justifiée par l’intérêt général tout en restant proportionnée.
Ainsi, selon plusieurs constitutionnalistes et fiscalistes, "quand on crée des zones où l’usage touristique est interdit, ou impose des quotas ou des compensations foncières systématiques ... et on touche à l’essence même de ce que le propriétaire peut faire de son bien". Selon eux, le danger, serait bien celui de la dérive où la propriété deviendrait un droit "sous conditions", soumis à l’arbitrage permanent des collectivités.
En ce moment, d'ailleurs, l’Espagne donne un aperçu de ce qui peut advenir dans les marchés très régulés : des milliers d’annonces ont retirées, des plateformes comme Airbnb sont contraintes de coopérer et s'opère ainsi, à bas bruit, un rééquilibrage de l’offre touristique. Si la France continue dans cette trajectoire, le "démantèlement" ne sera pas aussi brutal qu'en Italie, mais progressif ... le tout, à travers un jeu de normes, de contrôles et de suppression d’avantages.


En tout état de cause, la France (mais aussi, ses voisins comme la Belgique) ne fera pas exception au mouvement de fond de régulation des locations touristiques; voire, à la grande "purge" déjà engagée dans les pays du Sud de l'Europe. Dans les prochains mois, il sera donc intéressant de suivre l’évolution de la jurisprudence constitutionnelle face aux recours de propriétaires qui se sont multipliés ces deux dernières années; notamment sur l'interprétation du "motif d’intérêt général" dans des villes à forte tension immobilière. Par ailleurs, sera aussi mesurée la capacité des plateformes comme Airbnb ou Vrbo à "nettoyer" leurs offres et à coopérer avec les pouvoirs publics qui justifient ces actions coup-de-poing par l'ambition de maintenir un équilibre réel entre la revitalisation du logement à l’année et le maintien d’une offre touristique diversifiée.
Une chose est claire, tous ces mouvements ne sont pas aléatoires. Entre réglementations les locales de plus en plus strictes, les normes nationales renforcées et la pression sociale des habitants (à la veille des municipales) pour rééquilibrer les territoires, le cadre légal se resserre ... pour de bon ! Pour beaucoup de propriétaires, la propriété privée — libre, exploitable et rentable — serait donc aujourd’hui en mutation ... au point d'en faire un sujet politique dont quelques partis commencent à s'emparer.