Dans quelles conditions, se vendre en ligne exonérerait-t-il de la taxe d'habitation ?

Dans un arrêt récent (et très intéressant), le Conseil d'Etat vient de déterminer dans quelles conditions un propriétaire de locations de vacances pourrait, finalement, se voir imposer de payer la taxe d'habitation dont il se croit, à tort, dispensé ...
Qui n'a pas entendu cette remarque courante de la part d'un propriétaire de "meublé": "Moi, je ne fais pas de réservation en ligne car je veux pouvoir décider de qui entre chez moi ou pas ?...". Une réponse ? À peu près tous les spécialistes du secteur ont entendu cette remarque aussi vieille que le business de la location de vacances ! Même cas de figure, mas juste une variante: "Moi, je suis équipé de la réservation en ligne, mais je me réserve le droit de confirmer la réservation si je ne sens pas le futur locataire, même de courte durée, de mon bien ..." ... ou encore: "Je ne me vends que sur des plateformes qui me laissent le choix d'accepter ou non le client ...". Si la pratique est appelée à prendre des formes différentes, ce genre de remarque risque de vivre ses derniers jours à en juger des conséquences fiscales désormais définitives qu'elles peuvent engendrer...
Dans les deux cas, en effet, selon le récent arrêt du Conseil d'Etat, cette pratique revient à revendiquer une liberté totale (pour le propriétaire) "d'accepter ou de refuser les propositions (de locations) qui lui sont faites, lui permettant par là même de conserver la disposition ou la jouissance de son bien au cours de l'année". Et, dans ce cas précis, la conséquence fiscale est définitivement jugée depuis décembre dernier: le propriétaire sera bien redevable de la taxe d'habitation !
Cet arrêt devrait faire grand bruit dans le milieu de la location de vacances car la pratique consistant à décider "après coup" si l'on accepte de louer ou non son bien à telle ou telle personne est extraordinairement répandue. Cela représente, par conséquent, des milliers de rétablissement de taxes d'habitation partout en France si l'arrêt fait école dans les directions départementales des impôts !
Car si l'on observe attentivement la décision des derniers juges (de la fiscalité), cela signifie que, quelque soit la raison (les plus légitimes comme les moins avouables comme celle de discriminer par le nom ou l'origine des clients potentiels), si un propriétaire se donne la liberté d'accepter ou de refuser les offres de locations de son bien (même pour une courte durée), cela équivaut pour l'administration fiscale à l'intention de se réserver la disposition ou la jouissance de son bien.. Et dans ce cas, ce dernier bien est finalement considéré non comme un meublé de tourisme (exonéré de taxes d'habitation) mais bien comme une "simple" résidence secondaire qui, par conséquent, est redevable de la taxe d'habitation !

Cette décision (du 23 décembre dernier) intervient après qu'un couple de propriétaires bretons (Finistère) se soit vu adressé une taxe d'habitation pour ses trois gîtes classés en meublés de tourisme. Pour les agents de Bercy, alors même que ces biens étaient proposés à la location via internet, le seul fait de s'octroyer le droit d'accepter ou de refuser une location signifiait donc que les propriétaires pouvaient potentiellement s'en réserver la jouissance pour leur usage propre. En conséquence, et alors même que les propriétaires pouvaient justifier d'un taux de réservation élevé, ces derniers se sont vus réclamés la taxe d'habitation puisque cette "location meublée" redevenait, par défaut, une résidence secondaire ...
Dans un premier temps, les juges administratifs avaient cependant donné raison aux propriétaires qui contestaient cette imposition. Le tribunal administratif de Rennes avait, en effet, jugé que le seul fait de donner leur bien en location de manière répétée (réservations à l'appui) justifiait que les propriétaires ne comptaient pas se réserver "la disposition ou la jouissance du bien" pour leur seul usage. Et le tribunal d'annuler l'imposition contestée.
Cependant, sur un appel formé par le ministère des finances, le Conseil d'Etat a relevé que la manière dont les biens étaient donnés en location pouvait laisser planer le doute sur l'intention des propriétaires. En clair, dès lors que les propriétaires pouvaient, une fois la réservation ou la demande de réservation reçue, la refuser, cela signifiait qu'ils en revendiquaient une jouissance totale.
Il résulte de tout ce qui précède que M. et Mme A... ne sont pas fondés à soutenir que c'est à tort qu'ils ont été assujettis à la taxe d'habitation au titre de l'année 2022 à raison des deux logements meublés en cause et à demander la décharge de l'imposition correspondante. (...) Les conclusions de la demande présentée par M. et Mme A... tendant à la décharge des cotisations de taxe d'habitation à laquelle ils ont été assujettis au titre de l'année 2022 sont rejetées.

En conclusion, mettre un bien en location et continuer de vous réserver le droit d'accepter ou de refuser d'honorer cette demande vous expose au risque fiscal de devoir vous acquitter de la taxe d'habitation. Et, par les temps de disette budgétaire qui courent, l'Etat et les collectivités ne seront pas désolées de pouvoir récupérer, de-ci, de-là, des recettes fiscales qui leur font défaut.
Cette décision met également en cause le modèle de plateformes puissantes ou de réseaux de commercialisation qui attirent les propriétaires en leur garantissant qu'ils seront libres d'accepter ou de refuser une demande de location ... Elles devront certainement préciser que ce sera donc au risque de se voir imposer le paiement de la taxe d'habitation en cas de contrôle des impôts.
Pour les propriétaires disposant d'un site internet: le fait de n'afficher qu'un simple formulaire pourrait donc devenir "suspect" puisque le formulaire ne garantit pas que vous acceptez spontanément les locations. Un propriétaire pourrait toujours dire qu'il a refusé car déjà occupé à cette période. Mais, en cas d'imposition au titre de la taxe d'habitation, il devrait pouvoir le prouver à l'administration fiscale ...
De même, si votre site affiche un moteur de réservation: si ce dernier affiche des prix et des disponibilités, mais ne garantit une réponse immédiate et sans réserve, il vous sera difficile de prouver que votre refus était motivé par une réservation déjà "calée" sur cette période.
La décision du Conseil d'Etat pourrait donc remettre en cause des manières de louer majoritairement répandues et établies chez les propriétaires. Menacés de se voir réclamer une taxe d'habitation dont ils se croyaient dispensés, certains risquent de devoir changer radicalement de méthode de réservation. Pour les autres, la taxation d'office (voire des rappels sur les années antérieures) pourrait sérieusement gréver les revenus locatifs réalisés jusqu'alors ...
Enfin, pour de nombreuses centrales et/ou intermédiaires, c'est tout leur modèle de mise en marché qui risque d'être à revoir dans les meilleurs délais et a minima, une information détaillée et actualisée à "leurs" propriétaires sur les conséquences fiscales encourues à perpétuer une pratique dont le Conseil d'Etat vient de sonner le glas.