Les "clés" ... sous la porte ?
L'an dernier, au mois d'octobre, les Guides Michelin lançaient avec maestria leur nouveau classement réservé aux hôtels du monde entier. Au programme, décernement de "clés" pour les établissements les plus méritants et mise en lumière au même titre que les restaurants primés. Cette semaine, pourtant, la publication d'un universitaire britannique sème le trouble en affirmant que les hôtels distingués (qu'il a étudié sur NYC) ont plus souvent fermé leur porte quelques années après cette distinction que ceux, du même rang, qui n'en n'avaient pas obtenu. Est-ce à dire que, s'il était confirmé, cet effet pourrait s'etendre aux hôtels nouvellement récompensés ?
Equivalent aux fameux macarons du célèbre guide français - à la notoriété mondiale - les "Clés Michelin" distinguent les hôtels du monde entier selon la qualité de leur hospitalité, de leur cadre et de leur service hors-pair. Bref, ceux qui ont le potentiel d'offrir une expérience plus-que-mémorable à une clientèle de happy few. En obtenant et en valorisant les clés obtenues, les hôtels bénéficient, en effet, forcément de l'effet démultiplicateur de notoriété et de succès économique propre à un restaurateur ayant obtenu sa 1ère, 2ème ou 3ème étoile. Cependant, aux US, un universitaire tempère les opinions quant aux répercussions économiques d'une telle consécration. Selon Daniel B.Sands de l'UCL School of Management (Londres), s'ils n'y prennent pas garde, les heureux récipiendaires risqueraient même d'y perdre leur chemise. Son analyse s'appliquerait-elle, dès lors, aux hôtels fraîchement récompensés d'une ou plusieurs clés par le célèbre guide ?
L'étude de Daniel Sands est impressionnante de concepts et de calculs mathématiques (et d'autres variables) pour parvenir à démontrer le sérieux de ses conclusions: selon lui, les établissements qui ont obtenu une étoile Michelin ont été plus susceptibles de fermer dans les années qui ont suivi que ceux qui n'en ont pas obtenu.
Ses travaux universitaires se basent sur l'analyse (des comptes) des restaurants qui ont ouvert leurs portes à New York entre 2000 et 2014 et qui ont reçu, soit une ou plusieurs étoiles Michelin, soit une critique dythirambique dans le New York Times. Selon ce chercheur, au total, 40 % des restaurants ayant obtenu une étoile Michelin entre 2005 et 2014 avaient fermé leurs portes à la fin de l'année 2019. Et d'indiquer - avec force calculs savants (voir la capture d'écran ci-dessous), que, dans ce groupe prometteur, ces conséquences se reproduisent "même lorsque des facteurs tels que l'emplacement, le prix et le type de cuisine sont pris en compte".
Pour toute explication - et le rapport est d'une densité assez remarquable à ce sujet - une étoile Michelin augmente la publicité favorable à un établissement et des attentes supérieures d'une nouvelle clientèle qui émerge après sa distinction et qui, dès lors, provoque une réaction en chaîne de croissance des charges et donc, d'une diminution quasi-léthale de la rentabilité du restaurant.
L'étude montre ainsi que l'intensité des recherches sur Google augmente systématiquement après une telle disctinction pour plus d'un tiers des restaurant nouvellement étoilés et que la clientèle de ces établissements change rapidement: "Le fait d'être sous les feux de la rampe augmente les attentes des convives et fait venir des touristes de plus loin. Répondre aux exigences accrues des clients entraîne de nouveaux coûts. Deuxièmement, la récompense met une étoile sur la tête des restaurateurs" explique le rapport.
Autre facteur résumé dans l'étude, la distinction "place une cible en forme d'étoile dans le dos des restaurants": Daniel Sands aurait relevé que les entreprises avec lesquelles les restaurateurs traitent profitent de l'occasion pour augmenter leurs tarifs. De même, les chefs, eux aussi, exigent souvent que leurs salaires reflètent cette distinction et, de facto sont aussi plus susceptibles d'être débauchés par la concurrence.
Probablement et prochainement contestée, cette étude lève un voile (en établissant des éléments de mesure possiblement objectifs) sur des conséquences qui n'avaient, à ce jour, été supputées qu'à l'occasion de drames très médiatisés (comme le suicide de grands chefs ou encore l'abandon des étoiles par d'autres qui n'acceptaient plus cette "pression").
Pour les restaurateurs ou les hôteliers qui recherchent la gloire, la plus haute distinction du Michelin restera probablement trop attrayante pour ne pas s'y intéresser. Mais pour les autres - tout autant méritants - mais moins résistants à ce type de pression, le proverbe selon lequel "pour vivre heureux, vivons cachés" n'aura jamais été aussi bien adapté aux temps du jour.