Les "hosts" Airbnb montent au créneau des réformes européennes
Une chose est certaine, l'Europe n'entend pas laisser dans le "vide juridique" l'expansion hyper-tonique du marché des locations de vacances. Sous la pression (légitime) des hébergeurs professionnels (et des élus qui craignent de perdre d'importantes recettes fiscales), le Vieux Continent cherche à "encadrer" tant que faire se peut un marché qui pèse autant économiquement que politiquement ... Ces derniers temps, les "hosts" (propriétaires et hébergeurs) Airbnb sont (gentiment) montés au créneau ...
Les propriétaires (des plus "petits" et indépendants aux plus gros, plus professionnels et dans une logique plus "financière") le savent bien: l'Europe ne tournera pas longtemps autour du pot pour réguler et encadrer un marché a pris une ampleur sans précédent ces dernières années.
Selon Airbnb, le Vieux Continent abriterait plus de 1,4 million d'hôtes Airbnb - soit plus que toute autre région du monde - dont plus de 1,1 million d'entre eux ne diffuseraient qu'une seule annonce (le reste étant des propriétaires multi-sites et, en général, des entreprises dites de gestion de la propriété).
En dehors de ce poids tout sauf insignifiant, l'hôte européen (qui travaille avec Airbnb) a un profil de citoyen "normal": plus de la moitié d'entre eux occupent un métier à temps plein ou à temps partiel (autre que celui d'hébergeur) dont 20% d'entre eux travaillent dans l'éducation, la santé ou les administrations.
50% sont des femmes et plus de la moitié ont un quart d'entre eux sont retraités: en moyenne, tous ces propriétaires "particuliers" ont gagné un peu moins de 4000€ en 2022 en louant leur bien sur Airbnb; ce qui équivaudrait à plus de deux mois de salaire supplémentaire pour un ménage européen "moyen".
Avec un tel portrait-robot, inutile de dire que "s'attaquer" au sujet des locations de vacances n'est pas une mince affaire pour les décideurs politiques, pris en étau entre les revendications des hébergeurs professionnels et les aspirations - elles aussi légitimes - des citoyens à exploiter leur propriété privée comme bon leur semble (soit en la louant sur la longue durée ou sur de la courte durée, sur le marché des vacances).
Même si ce marché a toujours existé, internet et Airbnb (et ses copies) l'ont manifestement boosté au-delà de ce qui était imaginé: en 2022, les réservations chez les particuliers du Vieux Continent ont pesé 35 milliards d'euros et 511 millions d'euros de taxes de séjour, rien que sur Airbnb !
C'est peu dire que les déséquilibres apparaissent désormais au grand jour dans toutes les destinations touristiques et les grandes villes. D'où ce besoin de régulation accentuée ...
La semaine dernière, Airbnb relayait donc (à destination des autorités européennes, mais aussi des medias et des citoyens) plusieurs témoignages en provenance de l'Europe entière.
Ainsi, pour Niels Becker (Rheinland Pfalz Host Club, Allemagne): "Ce que je demande à l'Union européenne, c'est de garantir que nous puissions continuer à accueillir des voyageurs du monde entier grâce à des règles simples et équilibrées pour les hôtes à travers l'Europe, afin que nous puissions travailler dans des conditions égales, soutenir nos communautés locales et attirer les gens vers plus régions rurales et moins connues d'Allemagne".
Pour Juanjo Bande (Galicia Host Club, Espagne): "Je demande à l'UE : aidez-nous à rendre nos villes plus ouvertes et plus conviviales pour ce type de voyageurs qui souhaitent se sentir chez eux dans différents endroits d'Europe".
Pour Fanny Attia (Club hôte de Strasbourg):"L'hébergement est une source de revenus supplémentaires pour un grand nombre de personnes parmi nous qui sont à la retraite ou qui dépendent de ces revenus pour diverses raisons. La location courte durée s'inscrit également dans une économie collaborative et ses bénéfices vont bien au-delà de l'écosystème touristique".
Pour Miha Škof (Club hôte de Slovénie), enfin:"Je suis un hôte et un leader communautaire de Slovénie, et ma demande à l'UE est de simplifier les choses et de nous aider avec les réglementations locales injustes que les gouvernements locaux et les municipalités imposent à la communauté locale d'accueil et d'invité".
On le voit, le message en filigrane est assez clair chez les hôtes Airbnb: une réglementation européenne, oui, mais à la condition qu'elle s'impose à tous et dans tous les pays et que les états ou les collectivités n'aient pas la possibilité d'édicter des règles plus dures que celles inscrites dans les lois de l'Union européenne ... En clair, éviter que des villes comme Paris ou Barcelone aillent toujours plus loin dans les contraintes et que les hôtes ne puissent pas s'en remettre à l'Europe pour les adoucir ou les contourner (car, potentiellement, illégales).
Un débat toujours ouvert
En novembre dernier, l'Europe (les décideurs et les élus) se mettaient, en effet, d'accord sur un texte d'intention préliminaire à des futures réglementations (de facto imposables à tous les pays): le texte vise, par exemple, l'ambition de constituer une vaste base de données européenne identifiant en temps réel chaque location meublée (au même titre que les hébergements professionnalisés), d'obliger chaque propriétaire à se déclarer en mairie ou auprès d'autres collectivités et de contraindre les plateformes à ne diffuser que les offres déclarées en mairie et, elles-mêmes, retracées au niveau européen ...
Pour les propriétaires Airbnb, la première intention n'est pas de contester cette "logique" de clarification et d'encadrement, mais d'empêcher que ces dispositions ne soient détournées par les autorités locales. Un exemple ? Les hôtes disent "OK pour un fichier européen ! Mais que les collectivités ne s'en servent pas pour nous taper dessus à coups de réglementations locales toujours plus dures ..."
Ainsi, le débat reste encore ouvert compte tenu des résistances et des objections des parties en présence. En effet, même si les plateformes accueuillent ces mesures avec un regard "bienveillant" et affirment vouloir agir en "bon élève", nul doute que ces intentions de "verrouillage" contrarient un peu leurs plans d'expansion sur la vieille Europe.
Ces derniers temps, ainsi, de nombreuses communications publiques ont vu le jour pour, d'un côté, saluer cette volonté politique de régulation (contre laquelle les plateformes ne pourront rien) tout en faisant entendre la petite musique que ladite réglementation ne doit pas, non plus, aller trop loin. Et Airbnb n'est pas le seul communicant à ce sujet.
Cependant, l'argument massue semble porter sur le pouvoir d'achat des citoyens européens. D'où l'échantillon de propriétaires à qui Airbnb a donné (et relayé) la parole et qui scandent à peu près le même argument: "Avec la crise actuelle du coût de la vie et son impact sur les familles et les communautés locales, créer et développer des opportunités économiques pour les Européens ordinaires est devenu plus important que jamais. Cependant, de nombreux Hôtes du quotidien sont injustement empêchés d'accéder aux opportunités économiques apportées par la colocation en raison de règles locales onéreuses et disproportionnées - souvent conçues pour les grands acteurs du tourisme". Tout est dit !
Ce discours - que chacun interpretera à sa manière - en dit long sur la "ligne de crête" empruntée par le leader de la location de vacances : même si "Airbnb soutient la proposition de l'UE sur la collecte et le partage de données relatives aux services de location à court terme", son intention est, tout de même, d'obtenir que "ce règlement contribue à introduire des règles claires, simples et harmonisées qui libèrent les avantages de l'hébergement pour les familles européennes et donnent aux gouvernements les informations dont ils ont besoin pour réprimer les spéculateurs et le surtourisme".
Dans le viseur d'Airbnb (comme des autorités, d'ailleurs), les loueurs "professionnels" multi-propriétés qui ont assailli le marché d'offres multiples et ont semé la panique dans de nombreuses villes ou stations touristiques en générant une offre-champignon forcément perturbatrice du marché. Mieux vaut donc se couper un bras ...
Dans une récente audience de la cour européenne de justice (ce 7 juin) opposant les Gafam à certains pays européens, l'avocat général de la CJUE a estimé que "les plateformes ne peuvent être soumises à des obligations plus fortes que celles prévues par le pays de domiciliation en Europe. Sinon, la libre circulation des services numériques dans l'UE, protégée par la directive e-commerce de 2000, serait baffouée". Même si le jugement n'est pas encore tombé, nul doute que cette recommandation faite aux magistrats européens donnera du grain à moudre à Airbnb et ses concurrents pour se protéger contre les mesures trop fortes que seraient amenés à prendre quelques états ou collectivités européennes.
De nombreux pays espèrent bien profiter, en effet, du Digital Markets Act (DMA) et du Digital Services Act (DSA) pour prendre dans le droit national des mesures plus strictes que celles prises dans le cadre européen ... C'est là tout le péril que les hosts et dirigeants de plateformes de locations tentent de contenir en prenant publiquement la parole au sujet de l'évolution de leur cadre réglementaire.