Airbnb-friendly ou l'uberisation de la conciergerie ?
Pourquoi une telle équation ? Imaginez un propriétaire d'immeuble qui loue en priorité à des locataires disposés à (sous)louer, de temps en temps, leur appartement en mode "airbnb" et vous avez là une "Conciergerie Puissance 10" car totalement ubérisée ! Pour l'heure, le concept (lancé plutôt discrètement) ne touche que les US, mais il n'est pas impossible que l'Europe s'y mette aussi d'ici la fin de l'année...
Refaisons une brève mise au point de ce qu'est Airbnb-friendly: comme le souligne la direction d'Airbnb (qui a lancé le concept en novembre dernier), il s'agit d'une "nouvelle place de marché qui permet à des locataires (permanents) de trouver des appartements où ils peuvent signer un bail de 12 mois et héberger des voyageurs dans ce qui est devenu leur résidence principale à temps partiel sur Airbnb".
En clair, je n'ai pas les moyens d'acheter mon propre bien pour me loger "à l'année" et je ne veux pas violer mon contrat de bail en (sous) louant à des guests Airbnb pour amortir une partie de mon loyer ? Airbnb m'indique sur sa plateforme quels propriétaires et quels immeubles me proposent ce "Pack 2-en-1" sans craindre les foudres de mon bailleur ou les réactions de mes futurs voisins ... puisque, ces derniers aussi, auront choisi le même immeuble que moi pour accueillir de temps en temps des hôtes Airbnb !
Nous entendons déjà certains d'entre vous déclamer : "Il n'y vraiment que les américains pour faire ça ... Ça ne prendra jamais chez nous !" Comme Uber, Deliveroo, McDo, etc ... certainement.
Prenons l'exemple de la ville d'Atlanta (en Géorgie, aux US) et de son immeuble Metropolis Sentral (voir ci-dessus). Sur la place de marché Airbnb, le loyer moyen mensuel d'un appartement situé dans cet immeuble entièrement dédié à la sous-location Airbnb est de 1522$ par mois et, pour une semaine de sous-location, ce dernier peut rapporter (selon Airbnb) 583$ ... de quoi réduire considérablement la facture (si vous pouvez vous loger gratuitement ailleurs, bien sûr !).
Des immeubles entiers voués au mode "hybride"
Le principe Airbnb-friendly est donc de promouvoir des immeubles entiers où les locataires (permanents) paient leur loyer régulier tout en devant libérer leur appartement de temps en temps afin de pouvoir y accueillir des voyageurs Airbnb.
L'opération a plusieurs intérêts :
- pour Airbnb, dans les villes à forte demande, son stock augmente considérablement grâce à des immeubles entiers, construits ou transformés pour l'occasion par des investisseurs et/ou bailleurs de nouvelle génération,
- pour les investisseurs et/ou bailleurs (éventuellement, des investisseurs particuliers qui achètent un ou plusieurs appartements aux investisseurs/promoteurs), ils disposent d'un bien (d'un actif) qui bénéficie de la forte dynamique du marché de la location de courte durée; ce qui devrait leur assurer une certaine rentabilité locative (en proposant des loyers plus élevés),
- pour les locataires "permanents", ces derniers accèdent à des immeubles de haute qualité (y compris, de par les services communs qu'ils incorporent) avec la possibilité (sinon l'obligation) de sous-louer pour réduire leur charge locative,
- pour les "guests" Airbnb qui choisissent ces immeubles, ces derniers accèdent à des adresses totalement compatibles avec Airbnb puisque tous les appartements et tous les locataires "permanents" sont engagés dans ce business: ils ne se sentent plus indésirables dans des cages d'escaliers où les locataires "permanents" sont hostiles aux va-et-vients des guests Airbnb ...
Pour Airbnb, "le coût de la vie continuant d'être extraordinairement élevé, le marché des appartements favorable à Airbnb offre aux locataires, qui sont plus susceptibles d'être surchargés de coûts, un moyen de gagner un revenu supplémentaire pour compenser les frais de subsistance grâce à leur location traditionnelle à l'année". Et pour cause, selon la plateforme, là où un host Airbnb tire, en moyenne, 3.000 $ de ses sous-locations, un host établi dans l'un de ces immeubles entièrement dédiés à Airbnb gagnerait, en moyenne, 4.500$, soit 50% de plus !
Pour Airbnb, "un revenu typique de 4 500 $ représente 2,5 mois de loyer et il est clair que les hôtes utilisent ce revenu pour les dépenses quotidiennes". Dans un récent sondage auprès des hôtes dans des appartements situés dans les "immeubles Airbnb", 68 % ont déclaré qu'ils utilisaient leur revenu d'hôte pour compenser les frais de subsistance, 37 % ont déclaré qu'ils payaient leurs voyages, 27 % ont déclaré qu'ils payaient leur dette de carte de crédit et 23 % ont déclaré qu'ils épargnaient pour devenir propriétaires.
Pour inciter les candidats à la location "partagée", Airbnb propose, en effet, à ses futurs hosts de recevoir une estimation de ses futurs gains de sous-location: "pour les estimations concernant les appartements, nous choisissons ces annonces en fonction du bâtiment, du nombre de chambres et du fait que l'appartement est partagé ou non. Nous excluons les annonces dont la durée moyenne de séjour est de 28 nuits ou plus. Pour les immeubles d'appartements adaptés à Airbnb avec un nombre limité d'annonces, nous utilisons d'autres annonces provenant de zones voisines. Les estimations au niveau des bâtiments sont basées sur la plus petite unité disponible".
850 villes américaines concernées !
Ce projet n'est, au fond, pas nouveau: déjà en 2017, des actualités avaient pré-annoncé cette évolution avec des deals comme ceux que Airbnb avait passé avec la compagnie immobilière Niido. Depuis, le concept s'était amendé sans faire grand bruit au point d'aboutir aujourd'hui sous une forme quasiment industrielle. Depuis novembre dernier, le programme serait ainsi passé de 175 bâtiments dans 25 villes marchés à plus de 250 bâtiments sur 37 cités qui représenteraient déjà plus de 80 000 appartements loués selon ce modèle !
Et Airbnb n'entend pas s'arrêter en si bon chemin puisqu'elle affirme avoir déjà reçu, cette année, plus de 3 000 demandes dans 850 villes américaines en mode "liste d'attente" ! 2023 sera donc une année encore très active sur ce front avec plus de 70 bâtiments supplémentaires.
Les candidats à l'ubérisation de la location Airbnb sont nombreux et les conditions économiques américaines devraient accentuer ce phénomène. Selon Airbnb, "aujourd'hui, 46 % des locataires aux États-Unis dépensent 30 % ou plus de leurs revenus pour se loger, ce qui signifie que près de la moitié de tous les locataires sont "surchargés de coûts", tandis que 23 % des locataires dépensent 50 % ou plus de leurs revenus pour se loger".
Certes, le phénomène est pour l'instant "bien américain" et doit encore prouver sa capacité à s'étendre sur des pays où les règlementations sont un peu plus contraignantes, comme en Europe. Cependant, ce nouveau modèle économique, s'il n'est prêt de bouleverser les zones rurales où progresse Airbnb à grands pas, pourrait sérieusement bousculer le métier (émergeant) des "nouveaux concierges" dans les grandes villes ou les stations touristiques (en particulier, à la mer) où des bailleurs-promoteurs pourraient privilégier un modèle assez proche de ce qui se passe aux US. Ces derniers recevraient l'assurance de toucher un loyer à l'année (alors que le concierge représente un coût sans garantie de remplissage) et d'avoir directement accès à des mini-concierges dans chaque appartement (avec, à sa charge, le ménage, la remise des clés, etc). Il y a là, sans nul doute, une présomption d'évolution du marché européen des plus sérieuses ...