L'Europe des locations de vacances s'est mise d'accord
Ce 2 mars, les ministres de la compétitivité des pays européens se sont mis d'accord sur la manière de collecter et de partager les données relatives aux locations de vacances. Le sujet avait déjà fait l'objet d'une proposition de règlement en novembre dernier et se traduit désormais par des mesures qui vont mieux encadrer l'immatriculation (obligatoire) des locations de vacances et le rôle des grandes plateformes comme Airbnb ...
C'est la fin de la récré sur le sujet du marché des locations de vacances ... Cette semaine, l'Europe a arrêté sa position sur la manière - à l'échelle de tous les pays de l'Union - de mieux encadrer ce marché qui leur "filait entre les doigts" et créait potentiellement des distorsions avec le reste de l'économie touristique; notamment, le secteur "marchand" (hôtels, maisons d'hôtes, campings, etc).
Des données uniformisées
Pour l'Europe, un des principaux obstacles à la maîtrise de ce marché tient au fait que "les données des plateformes en ligne qui opèrent sur le marché de la location de logements à court terme ne sont actuellement pas normalisées en raison de la diversité des règles et des différentes méthodes établies par les États membres" et d'affirmer que, selon les nouvelles règles, les États membres vont mettre en place un "point d'entrée numérique unique" national pour la transmission des données entre les plateformes de location à court terme en ligne et les autorités publiques.
L'idée est que la collecte d'informations (qui loue, combien de fois, à quel prix, pour quels volumes et quels prix de clients, etc) relève de la responsabilité des plateformes telles que Airbnb (1 million de loueurs rien qu'en Europe), Abritel-Vrbo, LeBonCoin, Booking, etc...
Pour l'Europe, cette collecte unifiée des données est vitale pour agréger des statistiques fiables sur ce marché à l'échelle européenne (mission confiée à Eurostat) et pour mieux mesurer ses impacts sur les ménages et l'économie.
Selon l'Europe, en l'état actuel des informations en sa possession, la plupart des loueurs du continent tirent entre 3000 et 4000 euros par an de revenus additionnels de la location de leur bien immobilier, en courte durée ...
Un numéro d'enregistrement obligatoire
Comme nous le rappelions en novembre dernier (voir ci-dessus), à compter de maintenant, "chaque maison, appartement ou chambre proposé à la location pour un nombre limité de jours par an devra afficher un numéro d'enregistrement, afin que les autorités compétentes puissent connaître l'identité de l'hôte, c'est-à-dire la personne qui souhaite louer le logement".
Déjà en vigueur dans quelques pays (quelques villes françaises l'imposent), cette mesure sera généralisée à tous les pays et, comme pour mieux verrouiller le tout, l'Europe imposera aux grandes plateformes comme Airbnb ou Booking de supprimer de leurs listings les propriétaires qui ne sont pas en mesure de justifier d'un numéro d'enregistrement. En doublant la charge de la responsabilité sur les plateformes, l'Europe se dote d'un levier déterminant puisque, désormais, la plupart des "loueurs" passent par ses plateformes pour remplir leur planning. Difficile, dès lors, d'échapper à la règle car des pénalités pèseront sur les OTAs pour chaque location de vacances affichée, incapable de fournir un numéro d'enregistrement.
Par ailleurs, l'Europe a précisé cette semaine que "les plateformes en ligne devront faire des efforts raisonnables pour procéder à des contrôles aléatoires réguliers afin de vérifier qu'il n'y a pas de déclarations erronées d'hébergeurs ou de numéros d'enregistrement invalides".
Derrière cette idée, la perspective d'un écrêmage des annonces est évident: sans avoir d'estimation précise, l'Europe et les organisations professionnelles (hôteliers, campings, etc) estiment qu'une grande proportion de propriétaires abandonneront le marché dès lors que leur visibilité et leur traçabilité - surtout ! - pourront être établies par ces nouvelles obligations.
L'affirmation est d'ailleurs étayée par cette déclaration : "Cela créera également des conditions de concurrence équitables avec les autres acteurs du secteur du tourisme (tels que les hôtels, les auberges ou les résidences hôtelières) et contribuera à lutter contre la fraude". Fin de citation ...
Plus de transparence
Outre ce cadre légal et réglementaire, l'Europe entend déployer de nouveaux dispositifs pour rendre ces nouvelles obligations plus accessibles aux propriétaires volontaires (afin qu'ils s'y conforment plus aisément) et, surtout, aux voyageurs eux-mêmes: "Les États membres veulent permettre aux citoyens de comprendre les lois et les exigences relatives à la fourniture de services de location de logements de courte durée sur leur territoire. Il s'agit notamment des exigences concernant l'accès à ces services et leur fourniture". Mais aussi, on l'a vu, à la transparence sur les prix et la fin des tarifications à tiroir comme le prix de base additionné, quelques pages plus tard, d'une kyrielle "d'options obligatoires" (ménage, location de draps ...) contre lesquelles se dressent de nombreuses autorités publiques; y compris, aux US avec Joe Biden lui-même (voir ci-dessous) ou encore, Brian Chesky, le propre patron d'Airbnb.
La mise en application de ces mesures va devoir s'adapter selon l'état général des règlementations déjà existantes entre les pays des 27. Cependant, pour l'Europe, il y a urgence car les locations de vacances représentent déjà un quart du total des hébergements touristiques au sein de l'Union. Devant l'essor de ce marché, porté par la puissance de plateformes comme Airbnb ou Booking (qui propose de plus en plus de locations), la volonté communautaire est de réguler vite et bien sans perdre d'opportunités de coopération afin de maîtriser au mieux de marché tentaculaire.
Pour rappel, en mars 2020, la Commission a déjà signé un accord volontaire avec les plus grandes plateformes sur le partage de données, "mais l'accord n'était pas juridiquement contraignant" comme le souligne l'Europe. Deux ans plus tard, en juillet 2022, la coalition des villes touristiques réunies sous "L'Alliance des villes européennes sur les locations de vacances à court terme", avait appelé la Commission à proposer une législation sur l'enregistrement et le partage de données afin de mieux contrôler les activités des plateformes et des hébergeurs au niveau local. Cette demande fut suivie de la proposition de règlement publiée par la Commission le 7 novembre 2022 et que le Conseil vient d'adopter dans le cadre de son "orientation générale".
De son côté, Airbnb a positivement accueilli la nouvelle. Déjà, en décembre dernier, sa direction générale affirmait : "Nous pensons également que l'Union européenne peut en faire plus. Au-delà de cette proposition, Airbnb a toujours insisté sur la nécessité d'une approche plus coordonnée des services de location courte durée et du tourisme en général sur le marché européen. (...) Nous appelons également à un renforcement du rôle de la Commission européenne pour garantir un système d'enregistrement équitable et proportionné au niveau local."
Et de préciser que : "Trop souvent, les règles locales applicables aux locations courte durée sont contraignantes et compliquées à respecter pour les hôtes, en particulier ceux qui ne le sont que de façon occasionnelle. À Berlin, par exemple, tous les hôtes sont tenus de suivre un processus d'enregistrement et d'autorisation hors ligne fastidieux, même s'ils accueillent des voyageurs dans leur résidence principale. Cette proposition de règlement précise les caractéristiques d'un système d'enregistrement équitable et proportionné pour les hôtes dans tous les États membres de l'UE, dans le respect du marché unique".
Cette décision, arrêtée cette semaine, constitue donc une grande avancée dans la maîtrise accentuée du marché des locations de vacances à l'échelle européene. Il est fort probable que des ajustements soient faits à l'issue des débats et que des adaptations mineures soient opérées pays par pays. Mais, une chose est certaine, le marché est désormais en train de rentrer dans le rang ...
Ci-dessous, les débats des ministres de la compétitivité et des commissaires européens, le 2 mars 2023