2023, la fin des suppléments ?
Dans le grand tourbillon des changements que traverse le tourisme - à la vitesse de la lumière - depuis ces dernières années, il est probable que l'une des prochaines (et imminentes !) révolutions aboutisse à couper la tête des ... suppléments. Et si, 2023 était l'année de la transparence et du "tout compris" ?
Au départ, le prix de la nuitée est bien de 100 euros mais, aussitôt cliquée la première page et l'envoi vers le "détail", le prix subit une inflation de près de 12 ou 20 %, voire plus ! Une (mauvaise) surprise pour le consommateur qui voit là se rajouter des frais de ménage, de location de linge, des frais de dossiers, de services, etc ... Au final, la bonne affaire à 100 euros se traduit par une nuitée au prix souvent moins compétitif que celui du voisin, un hôtel ou une maison d'hôtes qui pratique, historiquement, le "tout compris". Pourquoi pas ne pas facturer l'électricité au kilowatt par exemple ou encore le nombre de feuilles de papier toilette ?
Souvent appelés - dans une gymnastique intellectuelle assez particulière - les "options obligatoires", les suppléments ont de moins en moins la côte ... chez les consommateurs, pour commencer, les grands patrons du voyage (voir plus loin) et les décideurs politiques. À commencer par le plus puissant d'entre eux - POTUS - (pour) President Of The United States.
Cette semaine, en effet, Joe Biden lui-même (reprenant le motif de nombreuses plaintes de voyageurs) a exigé que, pour mieux protéger les consommateurs, "les suppléments soient inclus dans le coût annoncé de la chambre car ceux-ci ne sont, en aucun cas, facultatifs ... Ne pas les inclure est frauduleux et trompeur !".
En finir avec les "frais surprise"
Pourquoi un tel courroux présidentiel ? Surtout, vous semble-t-il, pourquoi abordé un un thème aussi secondaire rapporté à la guerre en Ukraine, les tensions internationales ou encore l'inflation ? Justement, c'est là que ce sujet trouve son origine.
Depuis plusieurs semaines, les US font face à une pression sans précédent pour contrer les effets de l'inexorable montée des prix (comme jamais, depuis quarante ans aux US). Et son administration en charge de la consommation (la Federal Trade Commission) a pointé du doigt que cette inflation trouvait aussi son origine dans les "frais injustes et trompeurs cachés dans tous les secteurs".
Il n'en fallait pas plus pour que, à titre d'exemple, dans son allocution de ce mercredi, Joe Biden n'hésite pas à pointer du doigt deux secteurs sensibles : les concerts et les évènements (en physique ou à distance) sur les billets desquels les revendeurs appliquent des frais supplémentaires qui rendent plus compliquée la consommation "culturelle" et les frais liés aux nuitées, aux réservations de séjour qui rendent la consommation de voyages de plus en plus incertaine pour de nombreux américains (la semaine dernière, 44% d'entre eux déclaraient même devoir renoncer à leurs vacances en raison de l'inflation).
Pour le gouvernement américain et son Président, il faut donc en finir (et tout de suite !) avec les "frais surprises" qui plombent le porte-monnaie et le moral des américains. L'affaire n'est pas anecdotique puisque, récemment, un procès intenté par le procureur général de Washington contre Marriott International a allégué que le leader mondial de l'hôtellerie avait engrangé des centaines de millions de dollars à partir de ces seuls "frais surprises" (aux US, les hôtels pratiquent un affichage tarifaire plus complexe que, chez nous, en Europe). Les fameux suppléments risquent bien de vivre, en 2023, leurs derniers jours et ce, d'autant plus que Joe Biden compte des soutiens de poids dans cette bataille contre l'opacité des prix.
Une pratique "honnie" par les voyageurs
Les suppléments sont bien un anachronisme, une anomalie spatio-temporelle ... à l'heure où la majorité des recherches de voyages et de réservation se fait via internet, où la transparence des prix est reine, la transposition des pratiques tarifaires anciennes n'a plus de sens. Pire, elle se retourne contre les professionnels eux-mêmes à travers des tombereaux d'avis et de commentaires négatifs sur cette pratique des "options obligatoires" imposées aux voyageurs dans les toutes dernières étapes de leur réservation.
De deux choses l'une, soit l'on parle d'option (et donc, d'une proposition "facultative") que le client peut accepter ou refuser, soit l'on parle de supplément (donc, obligatoire) et, par conséquent, il est bien plus simple de l'inclure dans le prix de la nuitée comme le font les hôteliers, les campings ou les maisons d'hôtes depuis toujours.
Car, cette pratique du "supplément" (à la différence des US où elle touche aussi les hôtels) est plutôt l'apanage des "loueurs particuliers". Historiquement, cette pratique répondait à une logique de coût réel : "Je vous loue mon gîte, mais si vous venez en plein hiver, vous risquez de consommer plus de chauffage, donc je vous facture un surcoût de chauffage, un supplément de bois, etc". Cela partait d'un "bon sentiment" - être transparent sur les prix et les coûts - mais, cette pratique a été dévoyée, ces dernières années avec internet. Pourquoi ?
Au tout début, sur Airbnb, par exemple, ou son rival Vrbo (ex-HomeAway ou Abritel), le supplément était partie prenante du tarif: ces plateformes avaient, en effet, pour priorité de rassembler un maximum d'offres "alternatives" venant de propriétaires "particuliers" qui avaient leurs propres pratiques (dont, celle des "suppléments"). Pour les attirer et lever tous les obstacles, ces plateformes ont donc intégré le fait que le prix n'était pas un élément unique ou monolithique, mais un assemblage de plusieurs éléments : la nuitée à proprement parler plus le ou les éventuels suppléments ... sans compter les frais de service imposés et facturés par la plateforme elle-même comme Airbnb. Mais ça, c'était avant.
En réalité, pendant des années, tout le monde a trouvé son compte dans cette pratique et les plateformes elles-mêmes : en n'affichant, sur la première page que le prix de la nuitée, les prix proposés par les "hébergements alternatifs" sont immédiatement apparus plus avantageux que ceux proposés par les "hébergeurs marchands" que sont les hôtels, les campings et les maisons d'hôtes. Très vite, cette pratique du prix (sans supplément, au départ de l'affichage) a donc contribué à la popularité des hébergements "alternatifs" et des plateformes qui les proposaient. C'est indéniable. Mais ça, c'était avant, aussi !
Retournement de situation cette année avec l'inflation, le recours de plus en plus frénétique à la comparaison des prix et la recherche d'une optimisation absolue de son budget "vacances". C'est là, à y regarder de près, que les consommateurs se sont rendus compte que, une fois rajoutés les suppléments et divers frais annexes et de dossier, les prix n'étaient pas si "transparents" que cela, d'une part, et au fond, pas si compétitif, non plus, que ceux des hébergements "marchands". Ce constat n'est ni anecdotique ni passager: des plateformes comme Airbnb ou Vrbo ressentent même un désaveu des voyageurs, voire un reflux de leur plateforme en raison de cette pratique devenue honnie. Raison pour laquelle, aussi, les grands patrons de ces plateformes militent contre la fin des "suppléments".
Booking, Airbnb ... même combat !
Il y a donc fort à parier que les "suppléments" soient, a minima, des "répulsifs puissance 10" pour les voyageurs en 2023 et que, au-delà de Joe Biden lui-même, d'autres grands décideurs leur fassent la guerre et finissent par avoir leur peau cette année-même ...
Le coup le plus dur contre les suppléments a certainement été porté par le cofondateur d'Airbnb, Brian Chesky, lui-même qui a tweeté: "Je vous ai entendu haut et fort – vous avez l'impression que les prix ne sont pas transparents. À partir de décembre (NDLR: 2022), nous commencerons à déployer l'option permettant d'afficher le prix total dans les pays où les exigences d'affichage des prix ne sont pas en vigueur. Le prix total comprendra tous les frais avant taxes et sera affiché dans les résultats de recherche, ainsi que sur la carte, le filtre et la page de liste".
Et de rappeler que, cependant, "avant de confirmer leur réservation, les clients pourront toujours consulter une ventilation complète du prix indiquant les frais de service, les remises et les taxes d'Airbnb".
Glenn Fogel, de son côté, le big boss de Booking a multiplié les réprimandes les plus dures au sujet des suppléments. Plusieurs raisons ont présidé à ce courroux. D'abord, lorsqu'ils étaient facturés à l'arrivée du client, ces frais échappaient à la commission de Booking (une première tentative en 2019-2020 a même été lancée pour aller chercher de la commission sur ces "frais surprises"). Ensuite, avec l'avènement des plateformes d'hébergements dits "alternatifs", Booking s'est vu dévalorisé par cette avalanche d'offres "meilleur marché" en apparence que celles des hôtels hébergés dans ses pages (qui affichaient des prix sans suppléments). En exigeant que les suppléments soient intégrés dans le prix "à la nuitée" et dès les premières pages, Booking forçaient donc tous ses concurrents à jouer avec les mêmes règles du jeu.
Mais, ce n'est pas tout, aux US, la puissante "American Society of Travel Advisors" (ASTA) dénonce aussi ces mêmes suppléments comme carrémment "hors de contrôle" et totalement préjudiciables au consommateur. Ce qui est vrai, car à l'heure d'internet, la transparence est de mise dans les prix. Et à l'heure de l'inflation galopante et de la recherche des "bons plans" sur les comparateurs, les voyageurs veulent connaître le "juste prix" dès le départ. Découvrir le pot-aux-roses après plusieurs clics est non seulement considéré comme une perte de temps, mais se retourne naturellement contre le portail et le propriétaires, tous deux accusés de ne pas jouer la carte de la transparence.
En 2019, déjà, 64% des internautes déclaraient quitter la page de finalisation d'une réservation dès qu'ils s'apercevaient qu'elle comportaient des frais cachés jusque là ... C'est dire la déperdition d'argent et de réservations que supportent les plateformes ou les propriétaires "en direct" à ne pas jouer la carte de la transparence.
D'autres portails sont sur la même longueur d'ondes que les trois puissants (Booking, Airbnb et Vrbo): l'an dernier, des acteurs comme Windu ou LeBonCoin annonçaient (qu'à compter du 1er janvier 2023), ils afficheraient à l'internaute, et dès le début de sa navigation, le prix total de sa réservation, y compris les frais supplémentaires, tels que les frais de service et de nettoyage. Ce sera désormais la règle à une exception près : lorsqu’il sera impossible à la plateforme de calculer le tarif final, elle informera le client que des frais supplémentaires pourraient s’appliquer...mais sans dire combien et pour quoi !
I’ve heard you loud and clear—you feel like prices aren’t transparent and checkout tasks are a pain. That’s why we’re making 4 changes:
— Brian Chesky (@bchesky) November 7, 2022
1. Starting next month, you’ll be able to see the total price you're paying up front. pic.twitter.com/58zodrzU3g
En Europe, aussi !
Ce mouvement de fond contre les "suppléments" n'est pas qu'un débat americano-américain: en Europe, le sujet est déjà pris très au sérieux par l'Europe et les gouvernements depuis bientôt 3 ans. Entre les premiers constats, les nécessaires discussions avec les principales plateformes et les autorités nationales, l'Europe a bâti des principes sur le sujet.
Airbnb joue la carte des exigences européennes, moins par crainte que par clairvoyance commerciale, et entraîne de facto les autres acteurs dans ce mouvement de fond.
Cette année, des premières mesures sont annoncées pour mieux encadrer l'affichage des "prix en ligne" et la disparation des "frais surprise". Dans cette course à la transparence, cependant, le consommateur obtiendra plus rapidement gain de cause de la part des propriétaires et des plateformes car les supplémets n'ont plus la côte et l'inflation (comme le covid en son temps) en a été le révélateur irréversible.