Booking à fond sur le paiement !

Booking à fond sur le paiement !

Pendant des années, Booking a construit sa popularité - et sa réputation ! - sur la facilité de réservation. Le fameux "Réservez maintenant, payez plus tard !" (ou mode "postpaid") a longtemps été (et, est toujours, sa marque de fabrique). Désormais, sans changer radicalement de modèle, Booking fait du paiement un sujet central de sa stratégie 2023 pour des raisons évidentes de performance ...

Durant des années, deux concurrents se sont confrontés sur l'univers des réservations. Et, avec eux, deux modèles économiques différents :

  • le modèle "Agency" où l'OTA ne prélevait aucun fonds au moment de la réservation et laissait cette tâche à la charge de l'hébergeur. C'est le modèle promu, depuis sa création, par Booking: le client donne sa carte bancaire en garantie au moment de la réservation et règle son séjour, directement auprès du propriétaire, lors de son départ. Booking se charge ensuite d'adresser une facture de commission à l'hébergeur (qui se presse de la payer afin de ne pas être "blacklisté" par l'OTA),
  • le modèle "Merchant" (ou Marchand) où l'OTA encaisse la réservation sous sa propre responsabilité et en adresse le solde (déduit de sa commission, prélevée au passage) au propriétaire à la fin du séjour du client. C'est le modèle promu, depuis ses débuts, par le rival de Booking, l'américain Expedia.

Il faut croire que l'arrivée de nouveaux acteurs (dont Airbnb) a quelque peu boulversé les usages en vigueur puisque, ces derniers temps, chacun des deux prescripteurs des deux modèles dominants ont revu leurs codes. C'est le cas de Booking qui, depuis quelques années, glisse régulièrement vers le modèle "Merchant" et, si possible, le mode "prepaid" ...

4 réservations sur 10 en mode "Merchant"

A y regader de près, les rapports financiers annuels des grands OTAs sont toujours très instructifs sur leur façon de faire. Et l'on voit bien, concernant Booking, que le "glissement" vers le modèle "Merchant" est bien engagé depuis 2018 et qu'il semble désormais irréversible (voir ci-dessous). Si au premier trimestre 2022, la part des réservations encaissées par Booking (et non par le propriétaire) était de 40%, l'an passé à la même époque, elle n'était que de 27% ! C'est dire l'accélératin du leader européen sur ce terrain ... sensible.

Cette évolution en dit long sur la manière dont Booking voit son avenir. Pendant ses débuts, en effet, le modèle "Agency" (Booking laissait encaisser l'hébergeur) lui avait permis de nourrir une croissance à deux chiffres basée sur la constitution d'un "catalogue" très vaste. En effet, pour réussir, Booking se devait de s'imposer comme "le plus grand supermarché hôtelier de la planète" et, pour cela, la société néerlandaise devait séduire (et convaincre) des hôteliers de lui concéder du stock. En proposant un modèle où l'hébergeur encaisse le client, Booking a rassuré ces derniers qui lui ont donné du stock contre une prise de risque minime : ce modèle les assurait de toucher l'argent directement, la "petite agence de voyages" qu'était Booking à l'époque ne leur laisserait donc aucune "ardoise" en cas de défaillance économique et, plus important, l'hôtelier pouvait rester maître du prix affiché (puisque, à la différence d'Expedia, Booking ne traitait que des prix publics sur lesquels il prenait ensuite sa commission).

Si l'on fait un bond de plusieurs années et que l'on s'intéresse à la situation actuelle, les conditions changent pour plusieurs raisons :

  • Booking veut devenir une agence de voyages à part entière et son ambition est de vendre tous les produits rattachés à un séjour : l'hébergement, bien sûr, la voiture de location, les vols et, même les activités de loisirs sur place. Dans ce cas, le fait d'encaisser "ses" clients devient un impératif à plus d'un titre : en terme d'expérience-client (ne pas payer autant de fois que l'on a de prestations dans son "panier") et, surtout, en Europe, en termes de responsabilité juridique (cf. la directive sur les "voyages à forfait)
Blog elloha : Booking se lance dans la réservation d’activités cet été : ça va secouer !
Selon le blog du channel manager elloha, jusqu’à présent, ce n’est pas la vente des activités qui avait fait “chou blanc”, mais le fait de mobiliser une offre la plus large possible. En effet, il est bien plus difficile de “connecter” des offres d’activités que d’hébergements.

Mais ce n'est pas la seule explication : l'un des enjeux majeurs des grands OTAs est de maîtriser "leur" clientèle car elle est constitutive de la valeur de leur fonds de commerce. En mode "Agency", la propriété est partagée avec l'hébergeur alors qu'en mode "Merchant", elle est la propriété exclusive de l'agence. Le fait d'encaisser sous son nom une réservation transforme donc Booking d'intermédiaire en commerçant en bonne et due forme et lui permet d'agir librement sur "ses" clients.

Cette faculté va lui permettre, entre autres, d'avoir les coudées plus franches sur son fameux programme de fidélisation (Genius). Comme pour les grandes chaines hotelières, en effet, la fidélisation des voyageurs est la "clé" pour les faire revenir à vous, les inciter (en leur offrant des avantages et des "miles") à consommer plus souvent chez vous, etc. Dans un modèle "Agency", bâtir un programme de fidélité puissant atteint rapidement ses limites car le programme dépend alors du bon vouloir des hébergeurs. En mode "Merchant", vous êtes libre d'organiser votre programme de fidélité comme vous l'entendez; au besoin, en rognant votre marge (sa commission, pour Booking) pour offrir plus d'avantages aux voyageurs et les garder sous votre propre "maîtrise commerciale".

Blog elloha : Booking muscle son programme “Genius” en vue de la reprise
Selon le blog du channel manager elloha, à la reprise, nous allons assister à une véritable course de vitesse entre les trois grands acteurs de la réservation en ligne: les OTAs, les grandes chaînes hôtelières et les hôtels indépendants.

Une autre explication tient aussi au fait que les hébergeurs sont rarement "à la page" de tous les moyens de paiement utilisés par les voyageurs (clients de Booking). Prenons l'exemple d'un voyageur belge: ce dernier a l'habitude d'utiliser son compte Bancontact, le moyen le plus populaire dans le "plat pays". Si un client de Booking réserve une chambre en France et que, sur place, l'hébergeur n'accepte pas Bancontact, non seulement ce voyageur vivra une expérience de réservation négative mais, de plus, cela pourra nuire à Booking. En encaissant le client "en direct" et lui offrant la plus large palette de moyens de paiement, Booking s'assure non seulement de convertir plus de clients, mais aussi de leur donner une meilleure satisfaction.

Nouveau call-to-action

L'exercice est également valable pour le fameux "Achetez Maintenant, Payez plus Tard" promu par les nouveaux modèles de paiement en "3 fois sans frais". Les voyageurs d'Europe du Nord plebiscitent carrémment ce mode de paiement (qui n'est pas un crédit à la consommation ...) et seule une part minime d'hébergeurs (à part ceux qui utilisent elloha 😉) ont adopté ce "facilitateur de business". Booking propose et continuera de proposer des moyens de paiement nombreux pour toucher et satisfaire un maximum de voyageurs car, en offrant une large palette de paiements, son taux de conversion ne s'en trouvera qu'amélioré. D'où la nécessité de convaincre un maximum d'hébergeurs (qui ne sont pas en mesure de les proposer) de le faire ... à leur place.

Les locations de vacances en ligne de mire

Autre explication pour cette évolution irréversible: Booking ne joue pas seulement contre un grand concurrent (Expedia) mais contre deux compétiteurs (Airbnb aussi !). Et là, le modèle "Merchant" se justifie d'autant mieux. En effet, la stratégie de Booking étant d'offrir le catalogue le plus large au-delà des hôtels, des campings et des maisons d'hôtes, son ambition est de ramener à lui les locations de vacances (villas et appartements).

Or, ce secteur est traditionnellement dominé par des propriétaires "particuliers" qui n'ont pas forcément de systèmes de paiement (ni en ligne, ni sur place). Airbnb a, de son côté, bâti son succès sur le fait de faciliter la vie des propriétaires (y compris, en encaissant pour leur compte). Booking, qui vise cette offre très très large, ne peut donc pas leur proposer des les référencer sans leur simplifier la vie de la même manière (en encaissant à leur place).

Désormais, donc, Booking va promouvoir le modèle "Merchant" auprès de tous ses partenaires hébergeurs (y compris, les hôteliers, qui étaient historiquement en modèle Agency). Pour cela, Booking multiplie les arguments :

  • en se chargeant du paiement des clients, Booking affirme simplifier la vie des hébergeurs, notamment les plus petits qui ne sont pas forcément les moins bien équipés en termes de paiement (voir ce que Stripe, par exemple, leur permet de faire),
  • en se chargeant de prévenir et de gérer les fraudes éventuelles aux paiements qui sont, quand elles surviennent, une charge supplémentaires pour les hébergeurs et des processus complexes pour récupérer les fonds. Dans un tel cas, c'est Booking qui assumera la situation et la perte financière éventuelle; ce qui est un argument de poids pour certains hébergeurs (même si, en général, les cas de fraude ne dépassent pas 1 à 2% du total des réservations ...),
  • en se chargeant de "positionner" de nouveaux moyens de paiements que certains hébergeurs auraient du mal à activer eux-mêmes en raison de leur contrat ancien avec leur banque ou d'un système de paiement quelque peu obsolète,
  • enfin, en prenant à sa charge (dès lors qu'il encaisse à leur place) toutes les contraintes reglementaires et opérationnelles liées aux normes de sécurité en vigueur en Europe, par exemple, avec le SCA (Strong Customer Authentification), qui place certains hébergeurs face à des engagements difficile à tenir en la matière.

L'indépendance a toujours un coût

Toutes ces mesures apportent de vrais "plus" à certains propriétaires lorsque ces derniers (comme pour Airbnb) s'en remettent intégralement à leurs distributeurs avec tous les avantages que cela peut leur procurer mais aussi, les inconvénients, comme la perte d'une certaine forme d'indépendance.

Par ailleurs, ces mesures ne sont pas sans coût : un propriétaire devra s'acquitter de frais à chaque réservation, comme celui qui consiste à recevoir le montant (net) de sa réservation via une carte bancaire virtuelle (3% en moyenne). Toutefois, en dépit de ce coût, tout ne devrait pas être négativement impacté : selon Booking, si un client réserve une offre "non remboursable", le paiement vous sera fait à J+1. Dans un autre cas (offre remboursable jusqu'au dernier moment), le débit de la carte bancaire virtuelle ne sera possible qu'après son départ.

Pour Booking, toutefois: "les clients qui choisissent de payer au moment de la réservation sont quatre fois moins susceptibles d'annuler. Le risque de non-présentation est également réduit, car les clients qui ont déjà payé sont plus attachés à leur réservation".

Mais, pour certains, le plus gros "risque" réside dans le fait qu'un distributeur en mode "Merchant" peut disposer des prix qui lui sont donnés (et de la commission) comme ils veulent. Cela signifie que si Booking veut rémunérer ses voyageurs affiliés à Genius avec des remises importantes, il sera souvent plus intéressant (pour un voyageur) de réserver sur l'OTA que chez vous ... car ce dernier sera potentiellement moins cher que le "meilleur prix garanti" affiché sur votre propre site ...

En maitrisant le moyen de paiement, Booking dispose aussi d'un avantage certain sur sa distribution via ses partenaires "affiliés" car, ne l'oublions pas, au moins 50% des ventes réalisées par Booking le sont via des sites extérieurs (par exemple, le site airfrance.com propose la réservation d'hôtels via une interface Booking et perçoit des commissions de sa part, en ce sens). Jusque là, rien d'anormal et Booking agit loyalement comme un distributeur.

Ainsi, dans une communication récente à ses "affiliés" (ses re-distributeurs"), Booking annonçait que ="À partir du 1er janvier 2023, vous n'aurez accès à nos tarifs prépayés que si vous avez activé l'une des solutions de paiement en ligne (...). En plus des tarifs prépayés, une fois que vous aurez activé les paiements par Booking.com, vous aurez accès à un inventaire supplémentaire qui vous aidera à générer des revenus supplémentaires". En clair, côté distribution aussi, en adoptant les nouveaux modèles Booking, les distributeurs (et leurs clients) bénéficieront d'une gamme d'offres plus large ...

Les ambitions de Booking, dans l'univers du paiement, ne relèvent pas du caprice: l'an dernier, l'OTA a créé une division "Fintech" (technologie financière) dotée de 400 développeurs et ingénieurs. Pour son manager, Daniel Marovitz : "Si nous sommes capables de laisser les voyageur payer dans la devise de leur choix, s'ils sont capables d'étaler les paiements dans le temps, si les partenaires peuvent être payés, selon les juridictions... dans la devise de leur choix... ce sont tous des mécanismes qui sont vraiment puissants et positifs pour Booking et ses partenaires". De là à devenir, à terme, une banque pour les professionnels du tourisme ...

Volontariat ?

Pour l'heure, le programme "Paiements par Booking" est proposé aux hébergeurs sur la base du volontariat ... avant qu'il ne devienne obligatoire ? Par exemple, en indiquant que les hébergeurs enrôlés seraient mieux positionnés dans les listes de résultats ? Ou encore en y conditionnant l'accès au programme Genius ?

Dans tous les cas, si vous décidez d'y adhérer, mesurez bien les incidences que ce programme peut avoir sur votre propre stratégie tarifaire et les écarts éventuels qui peuvent se creuser entre vos prix sur l'OTA et ceux affichés sur votre propre moteur de réservation.

Au cas où, jouez aussi sur votre stock disponible sur les OTAs: ce peut-être un bon "garde-fou". En effet, cela peut vous permettre de "jouer le jeu" avec le nouveau modèle Booking mais de le limiter à une partie seulement de votre inventaire car il est impossible, à ce jour, d'en mesurer les effets (négatifs ou positifs) réels.

Jouez aussi sur la différenciation de vos politiques de paiement et d'annulation en fonction de vos offres et de vos canaux: cela peut avoir un effet d'équilibrer les risques de vous retrouver, sur un OTA, avec un tarif bien plus avantageux que le vôtre (mais avec des contraintes supérieures que ne manquera pas de relever le client).

Si vous n'avez pas les moyens de mettre en place un programme de fidélité, musclez vos méthodes de vente comme avec la mise en place d'un vrai dispositif d'upselling (voir ci-dessous) ou encore la mise en place de moyens de paiements plus complets et alternatifs...

La relation entre un hébergeur et un OTA (aussi puissant soit-il) n'est pas à exclure ou à se transformer en guerre permanente: l'OTA comme Booking a fait sa preuve de sa maîtrise de la distribution digitale et, à juste titre, en facture ses résultats via ses commissions.

Mais, un peu comme une compagnie "low-cost", les coûts additionnels peuvent rapidement gonfler la facture sous couvert de se faciliter la vie. En réalité, chaque hébergeur peut accéder aujourd'hui par ses propres moyens et à des coûts équivalents sinon moindres à ces technologies avancées de paiement. En faisant cet effort, un entrepreneur du tourisme n'y gagne pas que des marges supplémentaires, il y gagne surtout en indépendance ... et ça, cela vaut beaucoup plus que simplement l'argent.