La flexibilité au service de la durabilité ?
À l'heure où certains s'interrogent sur comment rendre le tourisme plus "bienveillant", des résultats concrets démontrent que si l'offre est soutenue sur des "périphéries", l'objectif de durabilité (par la baisse d'une pression concentrée sur un seul point et une seule période) peut être sérieusement visé sans pour autant compromettre toute croissance forcément vitale pour les entreprises touristiques et leurs millions d'emplois ...
Overtourism (pour sur-tourisme), tourisme durable (pour des équipements et des pratiques touristiques plus respectueux des équilibres), tourisme bienveillant (plus difficile à conceptualiser ...), les concepts, les conférences et les "lettres ouvertes" autour du tourisme et de la durabilité foisonnent en France et partout dans le monde depuis quelques temps. Pour beaucoup (en général, ceux qui ne sont pas à proprement parler des entrepreneurs du tourisme), cela passe par réduire l'afflux de touristes (comment ?!). Pour d'autres, plus engagés dans les actions concrètes (et les résultats), cela passe par des sratégies de développement plus innovantes.
Car, la notion de pression touristique n'est pas la même d'un endroit à l'autre de la planète. On ne peut pas, en effet, comparer la pression touristique que subit Barcelone douze mois par an, par exemple, avec celle d'une destination bretonne qui ne subit cette "pression" que 2 à 4 mois par an. Dans un cas, il est opportun de parler de sur-tourisme, d'impact négatif sur les milieux et de conséquences tragiques en matière de logements permanents. Dans l'autre, on doit plutôt parler de régulation des flux et de capacité à gérer les fameuses "ailes de saison" (sujet serpent-de-mer, d'ailleurs jamais résolu par les différents stratèges en charge de ces questions).
Que ce soit donc en Bretagne, au fin fond de la Corrèze ou sur les plages d'Argeles (premier spot européen de camping), la régulation du tourisme ne porte pas sur les mêmes enjeux, ni sur les mêmes méthodes. Croire, par conséquent, que toute situation doit se traiter de la même manière d'un bout à l'autre de l'hexagone est une erreur manifeste dans laquelle s'engouffrent de nombreux "sachants".
Il existe pourtant des actions concrètes - menées par des opérateurs privés - qui éclairent sur une partie des solutions aux enjeux de sur-fréquentation. La "réservation flexible" version Airbnb montre que des évolutions rapides sont même possibles.
Déjà 5% des réservations !
Si l'on scrute de près le dernier rapport publié par Airbnb, sur le thème de "Comment Airbnb soutient le développement durable en Europe", on y apprend que sa récente solution de "réservation flexible" génère des effets directs et bénéfiques sur ces questions de sur-fréquentation.
Lancé en mai 2021, ce mode de réservation permet à un voyageur (un guest dans le jargon Airbnb) de se faire proposer une destination et une date en fonction de son degré de "flexibilité". En clair, se voir proposer des lieux et des dates "hors des sentiers battus" dès lors que l'on a un peu plus de liberté pour partir que les "autres". t ça marche !
L'été dernier, soit un an après son lancement, Airbnb affirmait que cette fonction avait déjà été utilisée dans plus de 2 milliards de recherches dans le monde entier ! Et, déjà, 1 réservation sur 20 est réalisée sur la foi des propositions "flexibles" suggérées aux guests par les algorithmes de Airbnb ... Mais,ce n'est pas tout, ces propositions permettent de constater ô combien les voyageurs sont également disposés à sortir des sentiers battus. Ce qui représente aussi une opportunité pour de nombreuses adresses situées hors des grands carrefours de vacances.
Hors des sentiers battus
Selon le rapport dressé par Airbnb, la fonction de recherche "flexible" détournerait avec succès ses nouveaux adeptes vers des zones touristiques moins denses (voir plus bas); ce qui aurait donc, à terme, l'avantage de disperser les touristes en divers points d'un territoire et pas seulement sur un seul ...
Selon Airbnb, "les clients utilisant les outils de recherche flexibles réservent moins souvent dans les 20 destinations les plus populaires sur Airbnb en Europe (-17,5 %) et plus souvent dans les communautés les moins visitées classées en dehors des 400 meilleures destinations d'Airbnb (+35,5 %), par rapport aux clients réservant via les sites traditionnels". Avis aux gestionnaires de destinations : si vous voulez attirer des voyageurs sur vos destinations "périphériques", incitez donc vos hébergeurs à se distribuer sur Airbnb ... Cela pourrait rapporter plus que des campagnes promotionnelles de plus en plus difficiles à imaginer tant les messages (sans offres) ont démontré la faiblesse constante de leur impact.
Autre phénomène : les clients réservant via l'outil de recherche flexible d'Airbnb sont également plus susceptibles de réserver en dehors des 10 % de dates les plus populaires (-7,3 %) et sont plus susceptibles de réserver des nuits en semaine (+5,7 %). Là aussi, très concrètement, l'on peut mesurer l'impact concret et immédiat d'un "marketing de l'offre" versus un "marketing de l'image" ...
Selon ses propres analyses, Airbnb affirme que "la recherche flexible aide également à rediriger les clients à environ huit kilomètres de leur emplacement initial prévu dans les villes, par rapport aux chercheurs traditionnels sur Airbnb".
C'est le cas des zones touristiques saisonnalisées, mais aussi et surtout des grandes villes menacées de sur-tourisme : selon Airbnb, les analyses au niveau du quartier des utilisateurs de recherche flexible pour les villes d'Amsterdam (+32,5% vers les quartiers moins touristiques), Barcelone (-13% sur les quartiers les plus touristiques), Lisbonne (+42,6% vers les quartiers dits de périphérie), Londres (+29%), Prague et Rome montrent un changement constant de la réservation dans les quartiers les plus populaires en faveur des réservations à la périphérie des villes ou dans d'autres zones "moins touristiques".
Marketing de l'offre versus "de l'image"
Même si la flexibilité ne concerne, pour l'instant, qu'un "petit 5%" des recherches et des réservations sur Airbnb, l'on voit bien que cette combinaison donne des résultats concrets en matière de "gestion des flux" touristiques. Cela confirme aussi que l'offre seule peut susciter une telle demande et que tout marketing sur les "ailes de saison" qui ne comporterait pas un catalogue conséquent d'offres en ce sens n'aurait aucun sens.
Parler de tourisme durable ne suffit plus et passer à l'action (concrète, en phase avec le marché et les acheteurs) s'impose pour tester, éprouver et susciter des solutions qui, toutes mises à bout, permettront de mieux répartir la pression touristique dénoncée de-ci, de-là. Il n'y a pas de solution miracle, mais un panel certainement très large de mesures à prendre et d'expériences (comme celle décrite ici) desquelles s'inspirer ...
Annoncer la fin du tourisme de masse est un sujet, somme toute, assez périlleux pour des élus (et autres responsables publics) qui n'ont plus, pour certains, que ces sujets à la bouche; car l'idée principale que "moins de touristes" est un objectif "durable" peut laisser pantois plus d'un opérateur (entreprise) touristique pour qui le touriste reste le seul générateur de son chiffre d'affaires et donc, de la valeur ajoutée captée sur la destination.