Paris veut contrer durablement la relance des "locations Airbnb"
Le match Airbnb-Paris est relancé ! Alors que le tourisme parisien semble montrer des signes de reprise, la capitale souhaite lutter contre une "Airbnbisation" de ses quartiers. Un nouveau règlement applicable en 2022 vise à taper au portefeuille les propriétaires concernés, pour les dissuader de recourir aux plateformes. Airbnb et Paris, c’est une histoire d’amour vache, relancée juste au moment où la plateforme, partenaire des J.O. de 2024, signe le meilleur trimestre de son histoire.
Anne Hidalgo, maire de Paris et Nathan Blecharczyk, cofondateur d’Airbnb.
Imaginez donc : à compter de l'an prochain, donc dans quelques semaines, pour chaque mètre carré transformé en location, il sera imposé aux propriétaires de transformer le triple de mètres carrés de locaux commerciaux en logements. Le coup est dur pour ceux qui pensaient se créer de nouvelles opportunités de rendements locatifs sur la capitale. Il faut dire qu'entre Airbnb et Paris, l'histoire d'amour est pour le moins compliquée ...
"La France est notre premier marché international (...) Paris était notre première ville au monde en 2019", a déclaré Nathan Blecharczyk, cofondateur d’Airbnb, justement à Paris, le 4 novembre. Cette déclaration d’amour n’est pas partagée, car la capitale est en défiance avec la plateforme. Le dirigeant du géant de la location de logements de vacances, qui s’exprimait lors du sommet "Destination France", doit faire face à la grogne de la municipalité dirigée par Anne Hidalgo.
Alors que les touristes reviennent progressivement, la mairie avertit : "Nous ne voulons pas retrouver la situation d'avant la crise sanitaire, avec des quartiers entiers livrés à ces hôtels clandestins", lance l’adjoint au Logement, Ian Brossat, dans les Échos du 8 novembre. Si ce n’est pas une déclaration de guerre, avec des mots qui dénoncent une "piraterie organisée", c’est au moins une bataille que veut engager la capitale. En effet, Paris prévoit de durcir son dispositif contre les locations de meublés touristiques, dont Airbnb est devenu le fer de lance... sans pour autant être le seul sur le marché (ce phénomène de "résumé" vise aussi Uber et McDonald’s, qui concentrent les rancoeurs envers le transport libéralisé et le hamburger industrialisé, mais ne sont pas seuls sur leur marché respectif).
Le problème principal rencontré dans la capitale : de nombreux propriétaires ont transformé des surfaces de pieds d’immeubles, qu’il louaient à des commerçants, en hébergements bien plus rentables. Depuis 2015, 89.000 m2 de surfaces commerciales ont été transformés en hébergements hôteliers. Cela représente 36% à Paris Centre, soit un huitième des commerces…
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Quelles sont les intentions de Paris ?
Le contexte politique n'est pas étranger à cette foucade: Anne Hidalgo est candidate à la présidentielle et le sujet du logement sur Paris, le centre névralgique de son électorat, est plus-que-sensible. Airbnb n'en est, dès lors, que plus fortement visé, compte tenu aussi de son statut incontesté de "Gafam" (ces puissantes sociétés qui dominent l'internet mondial).
En décembre, la mairie de la capitale présentera donc un plan stratégique qui mobilisera tout ce qui est de son ressort juridique pour contrer les locations meublées touristiques exploitées par les plateformes digitales. Cette intention a été présentée le 9 novembre à l’occasion de l’installation d’un "Observatoire de la location meublée touristique à Paris".
Deux nouvelles dispositions seront soumises au vote des élus :
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- Un durcissement des règles dans les quartiers ultra-touristiques, à l’attention des propriétaires candidats à la transformation de leur résidence secondaire en location meublée. Les propriétaires devront ainsi compenser au triple la transformation de chaque m2 de logement en location saisonnière par la création de surfaces habitables à l'année, de bureau ou de commerce. Cette mesure doit "dissuader les propriétaires de transformer des logements en Airbnb dans ces quartiers", souligne Ian Brossat. Le Marais, Montmartre, les quartiers des Champs-Elysées et de la tour Eiffel ainsi que le quartier Latin sont visés.
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- Les transformations de commerces situés en rez-de-chaussée en meublés touristiques (grosse tendance de ces derniers mois) devront, également, être validées par l’Hôtel de Ville (les communes françaises y sont autorisées suite à un décret paru en juin). Une commission sera créée pour examiner les demandes, tandis que la transformation sera interdite, sur le principe, dans les zones à forte pression touristique et dans les rues où le commerce est protégé par le Plan local d'urbanisme, mais aussi s’il existe des "risques de nuisances", révèle la mairie. La volonté municipale est aussi de "protéger le petit commerce et l'âme de nos quartiers", estime l’élu.
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Airbnb loves Paris, mais…
Airbnb adore Paris (21 642 "active rentals" au 9 novembre 2021), plus que Rome mais moins que Moscou, comme le précise notre graphique.
Rappelons que la plateforme californienne est l'unique bouc émissaire de ses opposants, puisqu’elle n’est pas la seule à opérer sur le marché de la location touristique !
En matière de résultats, Airbnb a bouclé son 3e trimestre 2021 avec un record, supérieur à l’avant-crise, soit un chiffre d’affaires de 2,2 milliards de dollars et un bénéfice net de 834 millions de dollars, c’est-à-dire 36% de plus qu’au 3e trimestre de 2019. C’est "notre trimestre le plus rentable de tous les temps, près de 4 fois plus élevé qu’il y a un an", précise un communiqué.
Ces performances ont de quoi rendre la Ville de Paris vindicative à l’égard de la plateforme, avec laquelle elle a déjà eu maille à partir. En septembre 2020, la justice européenne a validé la loi française vouée à réguler la location d'appartements pour de courtes durées. Bruxelles avait indiqué : "La lutte contre la pénurie de logements destinés à la location de longue durée constitue une raison impérieuse d'intérêt général justifiant une telle réglementation". Ce combat judiciaire face aux propriétaires a interdit que les résidences principales ne soient louées plus de 120 jours par an.
Airbnb reste dans le collimateur de Paris alors qu’une remontada du tourisme (à laquelle Arnaud Montebourg est étranger ...) se profile et que de nouvelles habitudes seront prises. Or, la plateforme s'en sort très bien, globalement dans le monde, un peu grâce au Covid, alors que l'hôtellerie traditionnelle a souffert comme jamais, à cause du virus.
Juste avant la pandémie, en juin 2019, 10 villes européennes (Paris, Amsterdam, Berlin, Bruxelles, Vienne, Barcelone, Bordeaux, Cracovie, Munich et Valence) s’étaient liguées pour demander à l’Union européenne de faire le gendarme envers Airbnb et consort. Cette fois-ci, Paris est concernée par une problématique particulière, avec de fortes chances de réussir à réguler certains excès. Mais 2022 entretiendra encore le paradoxe entre la forte présence d’Airbnb à Paris et la défiance municipale… en attendant l’épisode des J.O. de Paris 2024, dont la plateforme est carrément partenaire.
Présence d'Airbnb à Paris, 9 novembre 2019. Source : Airdna.
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