Comment le "staycation" peut survivre au Covid

Comment le "staycation" peut survivre au Covid

Les vacances locales, ou "staycation", ont été la bouée de sauvetage de l’industrie touristique française pendant le Covid. Elles peuvent durer, car les Français ont découvert que ces congés de proximité sont de vrais congés. Mais leur avenir dépend de l’imagination des hébergeurs, invités à proposer des offres divertissantes et des partenariats. Bien plus que d’autres pays, la France est bien positionnée, car ses habitants savent jouer à fond la carte bleu-blanc-rouge.

Ce n’est pas la première fois que l’on se demande si une conséquence du Covid va durer après le Covid. Le "staycation" (stay+vacations) est visé par cette interrogation stratégique, car la période 2020-21 a révélé à une belle proportion de clients que la sensation intégrale de vacances est procurée par les séjours près de chez soi, à la seule condition d’un dépaysement.

Les mille et une variétés paysagères, géographiques, culturelles (etc) françaises, sur un territoire relativement restreint (comparé aux US ou à l’ensemble de l’Europe) offrent une gamme de destinations très jalousée. Par temps de tourisme tricolore (faute de pouvoir voyager à l’étranger ou dans une région française trop éloignée), le "staycation" est le mode de vacances parfaitement adapté à la France, en attendant un desserrement des normes sanitaires.

Le succès touristique de l’été 2021, le deuxième avec Covid, repose largement sur la présence de Français qui ont voyagé à un jet de pierre de chez eux, ou n’ont pas hésité à parcourir 700 ou 1000 km, comme auparavant, pour rejoindre leur lieu de villégiature. Sur l'île de antillaise de Saint-Martin, l’opération "I am Saint-Martin Staycation", clôturée le 7 septembre, a fourni des vacances locales à 4600 personnes qui ont profité de 13 000 bons de réduction délivrés gratuitement par l’Office de Tourisme auprès de 81 entreprises partenaires. Les résultats, impressionnants, ont couronné le "consommer local", souligne la présidente de l’OT, Valérie Damaseau.

Cet automne, le tourisme profite encore de la résistance du "staycation". Et après ? Si le coronavirus a profondément modifié la vie des Français et leur manière de partir en vacances, le seul fait de tenter le staycation a créé un goût de revenez-y chez un certain nombre de consommateurs.

Le succès de ce genre de campagne a de quoi faire réfléchir : pendant des années, les organisations locales investissaient des fortunes en campagnes et salons à l'étranger en vue d'attirer une clientèle improbable ... alors que la stimulation "intelligente" du marché local apporte autant de résultats économiques sinon plus ...

Nature, télétravail, budget réduit : staycateur, qui es-tu ?

Les raisons de s’offrir un séjour en staycation sont multiples : elles reposent sur un retour à la nature, une période de télétravail depuis un lieu agréable, ou un budget rétréci par la crise (plus près, c’est moins cher). "Les Français, comme leurs voisins, ont été contraints de réinventer leurs vacances", analyse Vanguelis Panayotis, président du cabinet MKG Group, qui observe des profils en recherche de "plus de local, d’authenticité, de lien avec la nature et le terroir". Le staycation, associé aux congés ou au workation (congés+travail mêlé), ouvre des tendances qui ne sont pas encore celles du post-Covid, mais certainement plus celles du monde d’avant.

A l’origine, le gouvernement a interdit les sorties à plus d’1 kilomètre, puis 10, puis 100 kilomètres de chez soi. Cette contrainte a suscité l’imagination des hébergeurs et de leurs clients frustrés, trépignant avec leurs valises. "Ils ont redécouvert leur espace régional", observe Guy Raffour, fondateur du cabinet de prospective touristique du même nom. Par opposition au staycation, cet observateur évoque les "vacances de migrations", les plus classiques, avec un déplacement relativement long vers des lieux très fréquentés.

Il existe trois profils d’adeptes du staycation, selon Hélène Michel, chercheuse à Grenoble école de management :

  • Les performeurs : ils vivent dans une ville et s’offrent l’ascension de la montagne, un parcours de randonnée ou une attraction incontournable, dans la proximité.

  • Les collectionneurs : adeptes de chiffres performatifs, ils se lancent dans un trail avec 2000m de dénivelé, une descente de fleuve en 4 heures etc.

  • Les joueurs, qui souhaitent quitter les sentiers battus, cherchent des sensations et s’interrogent : "Qu’est-ce qui me correspond ?".

L’envie de gravir une montagne ou de visiter un musée proche de chez soi n’est certainement pas l’enjeu du siècle, mais les vacanciers de proximité ont besoin de "s’inventer une histoire", observe cette enseignante. Elle avance le concept de *"micro-aventures" recherchées par les staycateurs, qui veulent "ramener du merveilleux", indépendamment de la distance. Le paramètre "loin" s’est estompé, au profit du plaisir et de l’épanouissement. Attention ! Le staycation correspond surtout à des personnes relativement cultivées, qui trouvent plaisir dans la proximité, par rapport aux autres, qui ont besoin de se distinguer (le reporting des dernières vacances reste un vecteur de positionnement social). Certains publics assimilent encore la distance à la qualité et au prestige. "Il faut pouvoir jouer avec les codes du tourisme", souligne Hélène Michel.

On peut ajouter une quatrième catégorie de staycateurs : les semi-permanent, pas loin des grandes villes. Ces nouveaux acquéreurs de résidences "semi-principales", selon Guy Raffour, y passent leurs vacances et y télétravaillent, jusqu’à "quatre jours par semaine". Leurs séjours sont non-marchands, mais ils participent au mouvement et vont certainement durer...

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En France, le staycation est une véritable force

Les pays européens ont vécu inégalement leur staycation, qui a pénalisé les plus dépendants des visiteurs étrangers. Les PIB de la Croatie, où le tourisme pèse 25 %, de la Grèce (20,2 %), du Portugal (17,2 %) et de l’Espagne (14,9 %) ont souffert davantage que la France (6%), bien moins dépendante, et mieux organisée en termes de tourisme domestique, comme l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Scandinavie. Le staycation a "limité les dégâts", affirme Charles-Henri Colombier, économiste du centre de recherches Rexecode. L’étude suivante, très originale, aborde la consommation touristique interne. Elle est produite par le Groupe d’études géopolitiques (Ecole normale supérieure de Paris). Si chaque pays ne pouvait compter que sur lui-même, que se produirait-il ?

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On constate la force des ressources propres de la France. L’autosuffisance de notre pays est solide.
Cet été 2021, comme le précédent, la fréquentation française "est venue compenser l’absence remarquée des clientèles étrangères", observe le comité régional du tourisme de Bretagne, qui a comptabilisé 54 millions de nuitées, comme en 2020. En Allemagne, les vacances nationales et locales ont profité à la Baltique et à la mer du Nord, avec 80 % des locations affichant complet en juillet et en août, selon la Fédération du tourisme allemand. En Ecosse, les campagnes, les parcs naturels et les côtes ont failli saturer sous la présence d’Anglais.

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L’avenir, c’est un mix entre staycation et vacances classiques

La persistance du staycation dépend des conditions qui ont renforcé dans le monde entier cette façon de prendre des vacances qui n’est pas vraiment nouvelle. Avec l'essor du travail à domicile, de l'enseignement et des réunions en ligne, de nombreuses personnes ont pu profiter de vacances… sans prendre de longs congés et le plus souvent en empruntant leur propre voiture. Comme dans une réaction chimique, l’addition de plusieurs éléments est nécessaire. La préoccupation du secteur hôtelier est de savoir si cette tendance va rester ou si elle disparaîtra une fois la pandémie terminée. Pour mieux cerner cet avenir qui paraît pointer son nez, il faut garder en mémoire les atouts qui font le succès du staycation. Se rappeler ces atouts est utile pour composer des campagnes de séduction auprès des clients.

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L’auteur de cette liste, Mandeep S Lamba, administrateur de l'American Hotels Association (CHA), tire une leçon : les voyageurs seront impatients de voyager vers de nouvelles destinations lointaines une fois la pandémie éloignée, mais ils trouveront l’équilibre "probablement avec des séjours et de courtes escapades de week-end dans des endroits plus proches de leur domicile". L’avenir serait donc au panachage entre tourisme classique et staycation. Les séjours proches, qui sont devenus une sorte de moyen de survie, pour les professionnels, pendant la pandémie, sont une opportunité à long terme pour les hébergeurs grâce aux changements de comportement de voyage. Ils peuvent aider à compenser la saisonnalité en augmentant le taux d'occupation dans les destinations de loisirs pendant la basse saison, et le week-end pour les hébergements urbains. Mandeep S Lamba invite les hôteliers à "faire preuve de créativité" et à "tester de nouveaux concepts attrayants pour créer des expériences uniques adressées aux clients locaux, afin de se différencier de leurs concurrents"”.

Concrètement, les offres de séjours correctement packagées et communiquées peuvent devenir un différenciateur décisif pour un hébergement et générer des revenus supplémentaires même après la pandémie.

Voici 5 préconisations de cet observateur des meilleurs exemples de la planète, pour fournir des expériences uniques à différents profils de consommateurs : couples (avec jeunes enfants ou pas), familles multigénérationnelles, voyageurs solo, avec animaux de compagnie, etc.

  • Un forfait soirée cinéma familiale, avec projection privée du film préféré, pop-corn et gourmandises.

  • La reproduction de voyages à l’étranger : déco spéciale… et même cartes d'embarquement de (faux) départs en avion.

  • Des partenariats avec des attractions locales (musées, parcs d'attractions, restaurants, promenades patrimoniales, ateliers de cuisine avec des chefs célèbres localement, dégustations de vins).

  • Des équipements adaptés aux animaux domestiques

  • Des équipements adaptés aux enfants : chambres avec tentes (!) et jeux de société.

Les brèves escapades, dans un rayon proche, peuvent donc durer en complément des destinations lointaines, une fois la pandémie apaisée. Ce prolongement de la tendance née du Covid dépend de la créativité des hébergeurs, invités à proposer de nouveaux concepts attrayants et à créer des expériences uniques aux clients locaux, pour se différencier de leurs concurrents.