Accor parie sur "l’hospitalité augmentée" et le "lifestyle"
Jamais comme auparavant, l'hôtellerie n'a été mise au défi de se repenser de fond en comble en aussi peu de temps. Sans rupture brutale avec le passé - le confort pour faire dodo reste le socle de tout séjour - les nouvelles formes d'hospitalité poussent les feux et transforment les hôtels en des "places" où l'on ne se contentera pas seulement d'aller dormir. Sébastien Bazin, par exemple, le patron du groupe Accor, il y a une opportunité unique à ce que le géant mondial transforme ses hôtels en lieux de vie et se dirige tout droit vers ce qu'il nomme déjà "l’hôtellerie augmentée" !
Le Covid a soulevé des phénomènes et accéléré des tendances qui ne demandaient qu’à émerger. Le glissement n’est pas brutal, il se passe tout en douceur, preuve de sa durabilité, et n’a certainement pas encore livré tous détails.
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Techniquement, la généralisation du paiement sans contact, l’hygiène et le nettoyage renforcés figurent parmi les acquis de cette transformation.
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Géographiquement, les régions de campagne font l’objet d’une révélation (y compris pour le marché immobilier) car certains urbains stressés ont pris conscience, pendant les confinements, de l’intérêt du grand air, voire de l’absurdité d’une vie 100 % en ville.
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Géographiquement (bis), se dépayser pas loin de chez soi est la grande découverte: la staycation a sauvé de nombreux hébergeurs, notamment en 2020.
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Sociologiquement, le voyageur n’est plus un simple client en quête d’un toit et d’un lit, il recherche une expérience complète et envisage l’hébergement comme un vrai "chez soi" éphémère. En quelque sorte, le logement lui appartient, le temps du séjour. L’hôtel devient bien plus qu’un hôtel.
Ce n’est pas encore une lame de fond, mais c’est un fait notable : exercer son (télé)travail depuis un hébergement devient plus habituel. Dans ce "chez soi", le voyageur veut faire comme chez lui, c’est-à-dire, aussi, gagner sa vie, et pourquoi pas inviter des amis etc. C'est l'arrivée possible du salutaire workation (télé-travailler depuis l'hôtel) qui est désormais une réalité dans de nombreux établissements en quête de sursauts durables ... et rentables.
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Vivre, travailler et se divertir en hôtellerie
Le groupe Accor a ajusté ses stratégies depuis le début de la pandémie, avec en ligne de mire le concept "d’hospitalité augmentée" résumé par un slogan qui risque de devenir sa marque de fabrique future : "Live, Work, Play".
Cette notion est constamment enrichie par le groupe, pour répondre aux besoins changeants des clients. Les services et expériences de style de vie proposés se veulent "sur mesure et personnalisés" afin que les clients puissent "vivre, travailler et se divertir", indique le PDG, Sébastien Bazin.
Si l’on considère que, dans la plupart des cas, travailler est l’exact contraire de s’amuser, ce sont deux volets différents (et complémentaires) de la vie quotidienne qui doivent être rendus possibles en hébergement. Question travail, l’aménagement d’espaces dédiés est recommandé. Question divertissement, l’accès aux abonnements Netflix et Amazon Prime des clients est de plus en plus possible sur les écrans des chambres, avec des solutions technologiques de type Chromecast. Ce service en chambre est important, car les consommateurs transportent dans leurs téléphones ou leurs tablettes une véritable identité de contenus, avec leurs séries favorites etc. Les faire se sentir "comme à la maison", c’est leur permettre de retrouver ce patrimoine personnel lié à leurs abonnements.
Même s’il est ailleurs, le client est donc chez soi avec ce déménagement tout en souplesse. L’accès direct à Netflix et Amazon Prime va finir par figurer dans l’offre standard des hébergements, comme l’eau, le chauffage, le Wifi et la TV. Pour les hébergeurs, il s’agit de garantir la portabilité de ces bagages abstraits constitués par les préférences audiovisuelles des voyageurs. Sans trop anticiper sur la tendance, la conclusion qu’il faudra finir par établir est que l’hôtellerie n’est pas seulement associée aux "vacances", elle rime de plus en plus avec "séjours", pour bosser et se la couler douce.
Pour le côté travail, un sondage prédit un avenir radieux pour la "workation" : 65% des télétravailleurs interrogés par Travel Daily News (US) déclarent que leur productivité a augmenté lors de leurs périodes de télétravail… de quoi remettre donner du crédit aux hébergements adaptés. Ce pourcentage révélé le 13 juillet s’accompagne d’un constat fondamental : le télétravail contribue à réduire le stress. S’il manquait un argument, ce problème est réglé. Aux hôteliers de savoir saisir la balle au bond ...
Hôtel The Hoxton Williamsburg, New York © Accor
Le lifestyle est le pivot du séjour augmenté
Le segment des hôtels lifestyle, qui se multiplient, jouit de la "croissance la plus rapide" parmi les différents secteurs de l’hôtellerie. Il est le "plus rapide à rebondir après la pandémie", observe Sebastien Bazin. Selon le boss, seuls ces établissements, dotés d’une personnalité et d’une vraie authenticité, sont capables d’accueillir des néo-clients en recherche de séjours complets et tous azimuts : "Nos hôtels et lieux lifestyle sont des destinations authentiques où nous créons des expériences uniques", avec "une atmosphère vibrante, une excellente nourriture et boissons et du divertissement". Ces destinations attireraient aussi bien les voyageurs que les locaux, et elles commencent même à figurer parmi les attentes les plus fortes. Accor, qui a plus d’un tour dans son sac et redouble d’imagination pour optimiser ses gains, nourrit une "forte ambition" de transformer ses hôtels en "véritables lieux de vie". Cette mutation était aux aguets avant le Covid, elle prend ses aises.
Partant de ces 4 socles identifiés, Accor transforme les hôtels en "lieux qui offrent plus qu'un simple lit et une douche". Le champ des possibles a les mêmes limites que celles de l’imagination ! Le groupe, en partenariat avec Ennismore (Londres), avait déjà annoncé son envie d’agir plus vite, en novembre 2020. Dès la fin 2019, il avait lancé le programme de fidélité lifestyle "Accor Live Limitless", inséré dans un écosystème global, englobant le coworking, la conciergerie et l’animation. En août 2021, il met le turbo et annonce la création du plus grand opérateur mondial de l’hôtellerie lifestyle, qui est "l'un des moteurs les plus prometteurs de notre croissance future", assure Sebastien Bazin. Les deux associés vont tripler le nombre d'hôtels lifestyle d'ici 2023, des adresses qui représentent 25 % de leurs prévisions de développement.
En conclusion : anticiper pour gagner
La groupe Accor dispose de la force de frappe nécessaire pour créer un appel d’air. En identifiant les signaux d’une tendance au séjour intégral (bien-être, loisirs, travail), il peut se permettre d’accompagner la demande émergente (par une sorte d'élite) et de devancer l’élargissement de cette demande à des millions de clients. Pas d’empressement ! Sébastien Bazin reconnaît que le groupe souhaite renforcer sa "stratégie d'hospitalité augmentée" en fournissant des services de haute qualité et diversifiés au-delà de l'hôtellerie traditionnelle, mais qu’il s’agit d’un "virage à long terme".
Les hébergeurs indépendants doivent coupler ces informations (issues de la puissance d’observation globale d’Accor) à leur propre capacité d’action et de rectification, pour, eux aussi, enrichir les séjours des clients. Si l’évolution actuelle est douce et tranquille, à moyen et long terme, la transformation des hébergements en lieux de vie, de travail et de jeu, bouleverse l’idée-même d’hébergement, qu'elle convertit en résidences secondaires.