L'hôtel de demain sera comme une grande maison de vacances ... à proximité

Comme à chaque crise, il y a des exemples de résilience absolue qui interpellent. Dans l'univers de l'hotellerie, nombreux sont ceux qui se sont réinventés, partout dans le monde, ces derniers mois. Et nombreux sont ceux qui se préparent déjà à vivre une exploitation hôtelière "de demain" complètement bouleversée. Parmi les concepts les plus avancés, aux US notamment, on plaide pour un hôtel qui devienne une "grande maison de vacances" de proximité ... Pas seulement pour se mettre à l'abri des crises, mais parce que la situation actuelle a fait naître de nouvelles tendances chez les consommateurs. Decryptage ...

Probablement qu'il restera ancré l'idée que l'on peut s'évader ... tout près de chez soi et que, même sans limites de déplacements, ne faire que quelques dizaines de minutes de voiture ou de train suffisent pour souffler un peu, voire beaucoup, plusieurs fois dans l'année ... Cette tendance (autrefois considérée comme un marché de niche dans l'hotellerie) vient de faire son entrée fracassante dans les business models de nombreux hôtels (ou grands groupes) à travers le monde. Ce n'est plus "small is beautifull" mais "local is beautifull" !

Si le coronavirus a secoué le secteur de l'hôtellerie avec la question "comment diversifier ses ressources lors d'une pandémie ?", la question qui se pose désormais est "que faire dans l’éventualité de nouvelles répliques, de nouveaux variants ou de nouveaux virus ?". Au-delà de l'intérêt plus-que-croissant pour la clientèle "locale", le changement de comportement des voyageurs a été fulgurant: qui aurait cru, il y a deux ans, que la demande d'attentions "plus-plus", d’attitudes rassurantes, de précautions bienveillantes serait devenue aussi forte et ce, dans tous les secteurs de l'hotellerie (éco, premium, luxe) ? Une victoire a été acquise, car les pros de l’hébergement ont développé de nouvelles méthodes et des réflexes qui sauront être utiles à l’avenir.

Convaincus que cette tendance est désormais un "actif" pour l'avenir d'une certaine hotellerie, des grands groupes et des agences spécialisés revoient complètement leurs copies pour l'aménagement des hôtels (et des offres !) pour le futur proche. Par exemple, en Californie, l’agence HKS (spécialisée dans le design d'hôtels et de services) s’est démenée pour identifier des stratégies à déployer dans les hôtels pour diversifier les flux de revenus lors de la crise (et donc, aujourd’hui, lors des éventuelles futures crises). Son rapport "Hotel & Redefining the Guest to Design Business Resilient Hotels" s'impose désormais comme une référence de ce genre de réflexions.


Selon les spécialistes, l'hôtel va de plus en plus devenir une maison ... Et les maisons (d'hôtes), de plus en plus des hôtels (au niveau des services)

Pour ces spécialistes, 81,7% des profits d'un hôtel proviennent de la "nuit" (vente de chambres) alors que la nuit, le sommeil ne représentent que 30% de l'activité humaine. C'est donc une opportunité pour les hôteliers d'explorer ces 70% restants pour développer leur nouvelles sources de revenus.

Et de préciser que la vision du client - du "guest" en anglais et dans le reste du monde ! - doit changer. Selon leur schéma ci-dessous, on ne doit plus distinguer les guests en 3 catégories mais en plusieurs dizaines de segments qui sont autant d'opportunités de (nouveaux) marchés pour les hébergeurs.

Redéfinir le client de l'hôtel

2020 et 2021 auront révélé l’existence du marché des voyageurs de proximité qui restent la partie la plus intéressante (et réactive !) à développer dès maintenant. Ces clients qui se déplacent en voiture ont sauvé une large partie de l’industrie hôtelière, tout en créant une nouvelle façon de voyager, davantage "comme à la maison" que d’ordinaire. "L’hôtel du futur sera une destination en soi, conçue pour accueillir tous ceux qui franchissent la porte, y compris ceux qui habitent la région", suggère l’architecte Michael Strohmer, de HKS. Cette maison du bonheur aura ses clients, adaptés à un temps nouveau, riche en partage, et interactions avec les autres.

L’architecte Michael Strohmer © HKS
Les nouveaux consommateurs veulent voyager mieux. Cette formule n’est pas imaginée par de doux rêveurs, elle correspond à une certaine évolution du marché. A Paris, le directeur général du Ritz, Marc Raffray, veut transformer "the" hôtel en "un lieu de vie et une destination". Pour cela, il souhaite fidéliser (aussi) la clientèle parisienne, avec la création d'une boutique gourmande, Ritz le Comptoir, en juin. "Si les propriétaires pensent différemment à ce que peuvent être leurs clients, ils seront à la pointe pour des expériences d'accueil et augmenteront leurs chances de surmonter les obstacles économiques", lance ce grand manager. Carrément ! Le concept de client serait-il en évolution ? Oui. Si la définition élargie du client d’hôtel englobe trois catégories (visiteurs de courte durée / tourisme d’affaires et vacances, visiteurs de longue durée -jusqu’à plusieurs mois-, et visiteurs locaux), ce dernier profil est aussi un individu désireux de s’épanouir dans un lieu, d’y évoluer comme s’il était en extérieur. Le "client dodo" se transforme en personne qui voudrait bien avoir un rôle, comme dans la société habituelle. Pour le coup, c’est une révolution.

Connecter les gens entre eux, le nouveau job des hébergeurs

Bien évidemment, l’ingénierie nécessaire à la redéfinition de l’expérience hôtelière, en mode plus social et même participatif, est d’abord une question d’approche. Il n’est pas question de démolir des murs pour rebâtir un hébergement adapté ! Réinventer les espaces d’un hébergement pour attirer une clientèle plus large et redéfinie, en favorisant les liens entre les individus, est rendue possible par l’aménagement d’une salle événementielle (event space). Ce lieu d’échanges et de dialogue, voire de rencontres, transforme l’expérience d’hébergement en expérience sociale, comme le bar d’un grand hôtel ou une résidence hôtelière classique. Il n’est pas question seulement de convivialité (à la charge de propriétaires), mais d’un lieu propice à aller vers autrui, grâce à une ambiance et des activités qui permettent d’établir des connexions. Il s’agit bien de cela : un logement, des clients-habitants, des interrelations entre eux. "What else ?" Et pour cause ! Les hébergements sont particulièrement bien placés pour favoriser une dynamique sociale et culturelle, mais ils n’assument pas toujours ce rôle. "Briser les barrières et créer des espaces où chacun peut se sentir à l'aise est essentiel pour créer une connexion entre les clients ainsi qu'entre les clients et l'hôtel lui-même",assure Michael Strohmer. Ce designer livre une recette d’aménagement d’intérieur : "En réduisant l'échelle de l'hôtel, la compression des espaces publics avec des structures permanentes ou temporaires, on rend l'expérience client plus engageante, active et invitante". Ces lieux de confluence humaine peuvent être préparés pour le coworking et les réunions, mais aussi des réceptions de mariages et autres célébrations, et pourquoi pas un petit marché de producteurs ou ... des séances de vaccination Covid ? Il s’agit de prévoir un grand espace flexible, polyvalent, qui donne une vie inattendue à l’hébergement. Les espaces de partage peuvent prendre place plus près de la rue, pour être plus ouverts sur la vie en général, plutôt qu’être localisés dans les zones les plus en retrait du bâtiment ! Autre recommandation forte de cet expert reconnu par les plus grandes chaînes hôtelières au monde.
Ces idées évidemment pas sottes ne sont valables qu'à condition que la fameuse "distanciation sociale" soit abolie... ce qui va finir par arriver!

Selon HKS, l'hôtel de demain devra mettre "en vitrine" toutes ses activités, aujourd'hui, connexes ou encore inexistantes.

Concevoir un lieu authentiquement authentique

Attirer des locaux (c'est l'un de nouveaux grands objectifs, mais cela peut valoir pour les autres) signifie proposer une expérience client au sein d’un lieu à identité, qui se distingue des autres. "La conception et les pratiques commerciales doivent résonner avec les clients locaux de manière réelle, ==enracinée dans une compréhension respectueuse des traditions et du patrimoine locaux"==, avertit l’architecte. Plutôt que de donner un zeste de culture régionale, il faut arriver à séduire les résidents. Les hébergements doivent être imprégnés de caractéristiques vraiment locales et ne "doivent pas être décorés avec des imitations impersonnelles de la culture du village ou de la ville". Plus crûment: les clichés pour touristes ne fonctionnent pas avec les gens du pays, qui n’ont que faire de photos encadrées d'attractions locales ou de souvenirs qui portent le nom de la ville, ce qui dénature une expérience authentique. Ultime conseil de l’architecte : à la place du recours aux clichés "standard", les hébergements ont tout à gagner en "s'associant à des partenaires locaux dans la conception et la décoration des espaces ainsi que dans la prestation de services. Laissez galoper leur inspiration en plus de la vôtre !". Des relations solides avec d'autres entreprises du territoire (agriculteurs, brasseurs, artistes, artisans) donnent un sentiment de vraie saveur locale… pour tous les visiteurs. Ce procédé permet d’entretenir des liens croisés avec le tissu économique proche, avec de possibles retours d'ascenseur. La conquête d'une clientèle locale déclarant que votre hébergement est désormais passé au statut de "Place-To-Be" passe forcément par là ...