Le fisc va traquer plus fort les réservations
Qu'il s'agisse de réservations en ligne ou de simples annonces (avec numéro de téléphone à contacter pour louer un bien), les réservations réelles ou supposées feront parties des prochaines cibles du fisc. Depuis la semaine dernière, un décret permet aux fonctionnaires de Bercy d'employer l'intelligence artificielle pour repérer les écarts de revenus entre ce que déclarent certains contribuables et ce qu'ils ont vraiment touché ... notamment, à travers les plateformes d'annonces et de réservations.
Vous avez publié une annonce de location sur un site grand public (ex: LeBonCoin) et vous n'avez rien déclaré comme revenu locatif ? Et pourtant votre bien se situe sur l'un des spots touristiques les plus cotés de l'hexagone ? Bizarre, non ? Jusqu'à présent, ce genre "d'acrobatie" pouvait passer inaperçue car elle devait tomber comme une évidence sous les yeux d'un contrôleur des impôts. Et vu le nombre d'annonces à traquer, la probabilité que le contrôle tombe sur le "bon" propriétaire était plutôt faible.
A partir de demain, et sur la base du décret publié la semaine prochaine, les plateformes d'intelligence artificielle du fisc seront capables de recenser toutes les offres publiées en ligne, d'en identifier le propriétaire et de vérifier dans ses déclarations si des revenus locatifs "cohérents" y ont été déclarés... Dans le cas contraire, il est fort possible que l'administration fiscale soit tentée de demander quelques explications au passage. Et, inutile de répondre qu'il s'agissait d'amis ou de cousins à qui le bien a été prêté à titre gracieux: l'intelligence artificielle sera aussi capable de recenser les avis écrits sur votre bien par vos "cousins et amis". Et, grâce à la puissance illimitée de ses serveurs, ces contrôles pourront toucher des milliers de contribuables à la fois.
Selon Jérôme Fournel, le patron de ce service fiscal, déjà fin 2019, 25% des contrôles fiscaux étaient inspirés par les premiers essais de recours à l'intelligence artificielle. C'est dire si, avec ce décret, l'administration disposera d'un arsenal encore plus puissant pour déceler plus de cas "douteux" et donc, engager encore plus de contrôles fiscaux.
C'est donc désormais officiel depuis la parution du décret, la semaine dernière, la mesure insufflée par Gérald Darmanin, alors qu'il était encore ministre du budget, et qui a été votée en loi des finances 2020, entre en vigueur pour les trois prochaines années "à titre expérimental".
Cette mesure autorise les services de Bercy à faire usage de l'intelligence artificielle pour repérer les fraudeurs éventuels dans l'entrelac des réseaux sociaux et des plateformes en ligne: une annonce de bien à louer, une belle photo de piscine (non déclarée), des avis publiés sur des adresses déclarées comme non proposées à la réservation ... les serveurs de Bercy sont désormais autorisés à tout passer au crible (à l'exception de ce qui nécessite un identifiant et un mot de passe pour accéder aux informations ... comme un extranet de plateforme de réservation, par exemple).
Dans le domaine du tourisme, les sites d'annonces de biens à louer constituent évidemment un "terrain de jeu" idéal: LeBonCoin, AirBnB, HomeAway ... toutes ces plateformes où des biens de "particuliers" sont proposés à la location de particuliers font partie des cibles prioritaires car les défauts de déclaration y sont souvent légion ... Ajouté à l'obligation d'afficher le numéro d'enregistrement de la location de meublé et celle de mentionner s'il s'agit d'un loueur professionnel ou pas, ces nouvelles mesures risquent de décourager pas mal de particuliers de s'aventurer dans les réservations "underground".
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Car c'est bien sur cette économie "de particulier à particulier" que l'intelligence artificielle devrait commencer à s'appliquer. Les professionnels (et notamment, les loueurs professionnels), en effet, sont plus facilement "traçables" grâce aux déclarations de TVA, de taxes de séjour, aux livres d'achats de marchandises qui permettent de reconstituer un chiffre d'affaires, etc ... En l'occurrence, si ce recours à la "vérification massive" peut faire froid dans le dos, certains professionnels harassés par la concurrence des particuliers risquent de voir la mesure plutôt d'un bon oeil. La peur du "gendarme" peut, en effet, dissuader certains propriétaires de jouer avec le feu; voire même de continuer à proposer leur bien en location.
Car, sur un marché à plusieurs milliards d'euros, la "part des anges" reste très importante et Bercy a conscience que cette économie collaborative lui échappe en grande partie. D'ailleurs, parmi les autres mesures mises en place, celle qui consiste à collecter les taxes directement via les plateformes est déjà dans le tuyau. L'autre mesure - reposant sur la bonne volonté de ces mêmes plateformes - étant qu'elles communiquent régulièrement à Bercy la liste et les montants des bénéficiaires des revenus tirés, pour le cas du tourisme, des réservations.
Certains contribuables - s'appuyant sur les réserves émises par ma CNIL en 2019 - dénoncent déjà une mesure liberticide qui, cependant, a été validée par le Conseil constitutionnel à condition que "la traque fiscale numérique" reste limitée dans son champ d'action; d'où la faculté "seulement" de ne surveiller que ce qui est affiché sur le web (petites annonces incluses).
Il faut dire que pour Bercy le jeu en vaut la chandelle puisque les "mouchards" sont capables de travailler jour et nuit sur des centaines de milliers d'annonces et de profils et, grâce au génie de l'intelligence artificielle, de s'adapter régulièrement pour affiner leurs indices de recherche. Autant dire que, même s'il s'agit d'une période expérimentale, les trois prochaines années risquent de paraître très longues aux aventuriers de la location saisonnière "occulte".