Le tourisme post-Covid pourrait être "frugal"
Le “monde d’après” le Coronavirus ne sera pas un copier-coller du monde d’avant. L’alphabet de l’hébergement a été bouleversé, avec quelques certitudes : la sobriété sera plus forte, la notion de temps sera plus importante, l’implication des touristes sera (peut-être) moins superficielle. Bienvenue dans l'ère de la frugalité ...
La fin du Covid-19, c’est pour quand ? En attendant les résultats de la soixantaine de vaccins testés dans le monde, l’expérience vécue depuis plus 7 mois (confinement, relâchement, restrictions) ne laisse entrevoir aucune perspective crédible, dans l'immédiat. Le “monde d’après”, c‘est d’abord apprendre à faire avec, sans attendre que 2019 revienne en 2021 ou 2022. Changer d’approche, c’est vite dit ! Le défi, c’est changer les règles, les analyses et les stratégies. Pour l’hébergement, rien ne sera plus jamais comme avant.
« Faire mieux avec moins »
Cette expression choquante rappelle l’ancienne crise de 2008, d’origine spéculative. L’actuelle, d’origine sanitaire, invite les entreprises du tourisme à se surpasser, avec moins de moyens, pour survivre en 2020 et réussir en 2021. Dans l'hôtellerie, par exemple, il va falloir compter avec des taux de remplissage proches du seuil de rentabilité, sans plus, soit 50% en moyenne. Cette analyse est portée par l’universitaire new-yorkais Navi Radjou, conseiller en innovation et leadership, défenseur de l’«innovation frugale». Cette vision basée sur l’effort permanent consiste à produire davantage de valeur économique (mais aussi sociale et écologique) tout en optimisant les ressources disponibles. Pour faire court, l’innovation reposant sur l’absence de moyens existe déjà, avec AirBnB, Uber et Blablacar, qui se veulent les héros d’une “économie du partage”. Cette notion peut être la source du tourisme de demain.
Comment affronter l’avenir frugal ?
Ne tournons pas autour du pot, il est inquiétant d’envisager le futur proche (2021) comme une période de frugalité. Mais ce n’est pas la fin du monde. Les professionnels du tourisme peuvent repenser leur manière de travailler dans l’ère post-covid, selon trois principes qui découlent de la théorie de "l’innovation frugale"; en clair "jouer sur les fondamentaux de l'hospitalité" :
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Engager intimement les clients, pour comprendre leurs nouveaux et vrais besoins, associés à leurs valeurs : abordabilité, simplicité, sécurité, sociabilité, durabilité et désirabilité. Cela peut sembler abstrait mais, ramenés à votre établissement et/ou votre destination, vous pourrez sans souci identifier les bonnes déclinaisons...
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Fluidifier et assouplir toutes les ressources : certains hôtels américains transforment leurs espaces vides en magasins et espaces de coworking (on rejoint là l’économie de partage). L'hébergement reste donc le coeur de métier mais il se transforme "à la marge" grâce à l'agilité commerciale qu'exige la période ...
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Régénérer les gens, en matière de santé et de bien-être : soins, médecine douce, gastronomie locale propices à la revitalisation du corps et de l’esprit des clients. Le concept de frugalité rejoint assez vite celui de l'écoute et de l'attention de soi. Sans transformer votre établissement en spa des "Mille et une nuits", mettez en avant tout ce qui - chez vous - peut être vécu comme une expérience de bien-être, encore plus si cela ne passe pas par des éléments sophistiqués.
Le tourisme durable, c’est sérieux surtout chez les jeunes
Et puis, crise ou pas crise, il faut se projeter vers le futur proche. Après le sujet sanitaire, celui du développement durable occupe de plus en plus les esprits. Tôt ou tard, votre établissement devra donner le change sur ce sujet auquel la crise sanitaire vient de donner un coup de projecteur innattendu. A terme, le tourisme durable en construction peut réduire vos coûts tout en produisant un impact positif sur la société et sur la planète. La génération des 25-40 ans y est plus sensible que les plus anciennes. La frugalité, forcée par le Covid, est un impératif stratégique pour passer les caps difficiles en 2020 et 2021, sans fanfaronner, avant de réussir l’avenir. L’économie de moyens (on part près de chez soi, en pratiquant le staycation et l’écologie (avec carrément la criminalisation de l’avion pollueur !) sont les paramètres d’un certain tourisme de demain. Il faut ajouter le flexcation, qui consiste à travailler en vacances, dans des lieux de choix : Skype et Zoom éliminent les distances et rapprochent tout le monde, le déplacement n’est plus obligatoire.
La nécessité de se repositionner sur des normes éco-responsables est aussi - soulignons-le - un des sujets d'investissements légers mentionnés dans les dossiers de demande de PGE...
Fini le tourisme pressé, place au tourisme raisonné
Le Covid-19 va permettre au “tourisme raisonné” de remplacer le “tourisme effréné”, selon Carlo Ratti, directeur du centre de recherche au Senseable City Lab, du Massachussets Institute of Technology (MIT). Ce chercheur voit venir un tourisme davantage fondé sur la durée, selon sa tribune publiée le 2 octobre dans Le Monde. Les séjours seront plus longs, ce qui invite à réfléchir sur les périodes choisies par les touristes. La sédentarité du client (opposée à l’excès de nomadisme, lors de vacances trépidantes) réduira la propagation de l’épidémie, car la “fréquence des déplacements” est aussi importante que la “distance parcourue”, affirme le MIT. Les mobilités seront modifiées : on voyagera « raisonné » en passant plus de temps au même endroit plutôt que de courir d’un lieu à l’autre. Cette semaine, par exemple, Booking expliquait que ses clients avaient réservé, en moyenne, à 250 Kms de chez eux maximum...
Une autre vertu de cette évolution (qui reste à démontrer), est la prise de responsabilités : les touristes raisonnés seraient davantage connectés aux lieux et rechercheraient une intégration et une contribution à la vie locale.
Si rester plus longtemps au même endroit réduit le risque de propagation du Covid-19, cet argument sanitaire, qui dirige déjà les grandes politiques d’Etat, guidera votre stratégie commerciale. Carlo Ratti prédit une démocratisation de l’industrie touristique signifiée par ces séjours de longue durée (auparavant réservés aux publics aisés), aidés par le flexcation. Des destinations peu connues pourraient attirer davantage de visiteurs et produire de nouvelles aventures humaines. Dans l’immédiat, cela ne coûte pas grand chose de tester ce monde d’après, en offrant des réductions aux voyageurs qui restent plus longtemps... La tendance est là, le marché y poursuit sa croissance ... cette piste reste l'une des plus sérieuses à investir pour les prochaines saisons.