Ils réclament le remboursement de commissions à Booking !
L'Europe serait-elle en train de "s'americaniser" sur le plan judiciaire, aussi ? Avec le lancement de plusieurs actions collectives (appelées class action de l'autre côté de l'Atlantique), certains hôteliers européens souhaitent récupérer une partie des commissions payées à Booking - et qu'ils considérent comme indues - du temps où le champion des OTAs pouvait encore appliquer la fameuse clause de "parité tarifaire". L'issue de ces actions reste, cependant, très incertaine ...
Après la France et le lancement récent d'une action collective (lire notre article), d'autres pays européens (via des groupements d'hôteliers) s'engagent dans un nouveau bras de fer judiciaire avec Booking pour obtenir d'importantes indemnités financières en réparation des années dites de "parité tarifaire" où les hôteliers, sous contrat avec l'OTA, estiment avoir vu leur liberté concurrentielle grandement entravée. Si l'action prospère, ces derniers demanderont à ce leur soit remboursé jusqu'à 30% des commissions payées durant la période 2004 à 2024 ...
Cette nouvelle étape judiciaire est, cette fois-ci, lancée par une coalition d’associations hôtelières nationales de plus de 25 pays européens, soutenus par HOTREC, l’organisation européenne qui représente 47 associations de ce type dans 36 pays de notre continent.
Pour les plaignants, cette initiative fait suite à l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 19 septembre 2024 (voir plus bas), qui a confirmé que les clauses de parité tarifaire imposées par Booking – et empêchant les hôtels de proposer de meilleurs prix ailleurs; notamment sur leur propre site – violaient le droit de la concurrence de l’UE.
Une cession de créances à une fondation ?
Pour les hôteliers européens engagés dans ces actions (par ou avec d'importants cabinets d'avocats et qui seront rémunérés "au succès"), "ces clauses, en place pendant deux décennies, ont non seulement limité la liberté tarifaire des hôtels, mais aussi gonflé artificiellement les commissions payées, au détriment de leur autonomie et de la concurrence". La période observée est celle qui va de 2004 à 2024, selon les pays, car dans ce laps de temps, de nombreux pays (comme la France, qui en fut le pionnier), les lois nationales ont largement prohibé ces pratiques depuis ...
Comme pour toute action collective, leurs promoteurs s'activent à leur donner la plus grande publicité possible afin de stimuler les hôtels à s'engager dans la bataille. Pour la nouvelle action soutenue par l'HOTREC, les hôtels ont jusqu’au 31 juillet de cette année pour rejoindre le "mouvement".
La procédure est coordonnée par la Stichting Hotel Claims Alliance et sera portée devant les tribunaux néerlandais, pays où est établi le siège de Booking (voir plus bas).
Pour Booking, ces accusations sont, non seulement, contestables, mais leur fondement semble tout aussi dénué de base solide. Pour les dirigeants de la plateforme, le jugement de 2024 n'indique pas que les clauses pratiquées précédemment aient pu générer un préjudice avéré, quantifiable et donc, réparable. Nul doute qu'une armée d'avocats planche déjà sur une réplique musclée en prévision de la prochaine étape devant les tribunaux ...
Cependant, ce genre d'action - relativement nouvelle en Europe, pour les hôteliers, en particulier - doit encore convaincre les propriétaires de s'y engager les yeux fermés. En effet, selon l'usage, les hôteliers vont devoir se regrouper et céder leurs créances à une "stichting" (une fondation créée pour défendre leurs intérêts).
D'ailleurs, comme pour anticiper sur les inquiétudes des hôteliers, les promoteurs de l'action collective affirment que "les intérêts des hôtels participants sont protégés ... car des représentants de l'industrie hôtelière siègeront au conseil consultatif de la Stichting (... qui) sera soutenue par des professionnels expérimentés. Grâce à la cession des créances à la Stichting, les hôtels concernés ne seront donc pas parties directes au litige potentiel contre Booking et n'auront pas à supporter de frais ou de risques financiers. C'est la Stichting qui exercera toutes les créances cédées, en son nom propre et à ses risques. (Cependant), outre une éventuelle action en justice, la Stichting tentera d'obtenir un règlement amiable et équitable avec Booking (NDLR: en clair, une transaction financière ... plutôt qu'un long et mauvais procès)."
Pour cela, les promoteurs de l'action ajoutent que, grâce à l'approche collective couvrant les hôtels de toutes les juridictions européennes, "la Stichting disposera d'une position forte dans ces négociations".
Plusieurs facteurs pourrait, cependant, contrecarrer cette action: la première (ce que l'on vient de voir), suppose que les hôteliers établissent leur préjudice et en délègue la revendication à un tiers; ce qui reste un procédé avec lequel les hôteliers peuvent ne pas se sentir en confiance. Le second porte sur la question de la parité tarifaire elle-même: en dépit des lois successives les autorisant à pratiquer des tarifs différenciés entre leur site et Booking (mais aussi les autres OTAs), au final, une faible proportion d'hôtliers s'étaient mis à profiter de la "libération de cette contrainte". Selon une étude récente de l'HOTREC (voir ci-dessous), en 2024 encore, un hôtelier sur deux continuait d'appliquer les mêmes tarifs sur tous les canaux (voire même, de vendre plus cher sur leur site) ... Des agissements contradictoires que les défenseurs de Booking ne manqueront certainement pas de souligner comme pour illustrer que ces clauses n'étaient si gênantes pour certains.