"Le choc des titans" selon Booking

"Le choc des titans" selon Booking

Dans un document publié ce weekend, la direction des "affaires publiques" de Booking pour l'Europe dresse l'éloge des petites et moyennes entreprises du tourisme qu'elle qualifie de "véritables titans" compte tenu de leur importance numérique dans l'écosystème du Vieux Continent. Après une lecture attentive du rapport, il est cependant évident que ce qui s'y lit entre les lignes est tout aussi important que le reste ...

On le sait, en Europe particuluièrement, l'économie est portée par les petites entreprises (moins de 250 salariés et moins de 50 Millions d'euros de CA, tout de même). Dans le tourisme - qui crée près de 10% de la richesse annuelle du Vieux Continent - les TPEs et PMEs pèsent même 99,8% de l'ensemble ! C'est dire si, pour un opérateur qui veut se frayer un business dans ce milieu, savoir compter sur les TPEs et PMEs est une première étape incontournable. Et c'est manifestement le cas pour Booking qui, avec son dernier rapport, chante une ode remarquable aux small business.

À lire de près ce document produit en partenariat avec Statista, pour Booking, hors des TPEs et PMEs (des hébergeurs indépendants aux professionnels des loisirs), point de salut ! D'autant plus que ses principaux défis sont de ne pas voir se reproduire en Europe les modèles américains essentiellement basés sur des chaînes d'hôtels et donc, des hébergeurs de moins en moins indépendants. En effet, les grandes chaînes américaines (qui regroupent des dizaines, voire des centaines d'enseignes différentes) jouent de leur taille croissante pour affirmer une part toujours plus importante d'indépendance à l'égard des OTAs. À l'aide de coûteux programmes de fidélité, par exemple, elles multiplient les actios marketing pour capter la plus large part de clients en direct avec, pour objectif, de ne plus dépendre majoritairement des OTAs à l'horizon 2030 !

De l'autre côté de l'Atlantique, la structure de l'industrie hôtelière (et donc, son destin) est totalement l'opposée de celle que nous connaissons en France et dans le reste de l'Europe: une majorité d'hôtels "sous bannière" et une minorité d'hôtels indépendants. Sur nos terres européennes, c'est tout l'inverse et c'est ainsi que beaucoup aimeraient que cela reste; Booking en tête ...

Des OTAs bénéfiques ?

Dans son rapport, Booking prend donc le contrepied de la réalité que vit sa maison-mère (Priceline) aux Etats-Unis. Son angle d'attaque ? "Small is beautiful !" et "Vive l'indépendance !". Surtout lorsqu'elle se conjugue avec un rapport gagnant-gagnant avec les OTAs.

Selon ce document, par exemple: "80 % des hôtels indépendants interrogés en 2021 par la Commission européenne ont signalé une augmentation des réservations après avoir rejoint des agences de voyages en ligne".

Autre flêche décochée dans le rapport pour démontrer que les hôtels n'ont finalement pas si besoin de rester affiliés à une chaîne : "Le déclin de la valeur de l'affiliation à une chaîne est le plus notable parmi les établissements bon marché (...)" (que Booking appelle les "premiums"). Et de démontrer qu'avec l'émergence des OTAs et celle des avis clients, ces derniers ont eu plus d'impact sur la reconnaissance de telle ou telle adresse par le public que le fait de se rattacher à une marque en particulier.

Source : Booking 2025

Pour Booking, grâce à "ce mécanisme d'instauration de la confiance et de signalisation de la qualité", les OTAs permettent aux hébergements indépendants de bénéficier d'une "proposition de valeur fondamentale (...) et d'une synergie évidente dans l'ensemble de l'écosystème. L'amélioration de la qualité de l'information, associée à une plus grande transparence et accessibilité, crée un triple avantage pour les voyageurs, les hébergements et les plateformes, qui sont mieux à même de faire correspondre l'offre à la demande".

En clair, pour Booking, les avis clients valent désormais plus - aux yeux des clients - que les classements hôteliers "traditionnels" et leurs étoiles.

Autre argument (plus politique, celui-là ...), selon le rapport de Booking, les OTAs auraient permis l'émergence d'un plus grand nombre d'offres rurales en permettant aux propriétaires de rendre leur offre plus visible et plus rapidement sans l'aide de personne: "Si l'on considère le marché européen de l'hébergement dans son ensemble, on constate que pour chaque euro dépensé pour un séjour en milieu rural, plus de cinq sont dépensés dans les villes" affirme le rapport. Et d'étayer en ajoutant que "les avantages des plateformes numériques de voyage pour l'hébergement rural en Europe sont étayés par des données" précises que le cabinet Oxford Economics aurait dressées en 2019 - une année de référence pour les voyages. Selon Booking, citant ce rapport: "Plus d'une vente de plateforme sur trois concernait des hébergements dans des zones rurales. C'est plus du double de la part de 16 % des ventes dont bénéficient les hôtels ruraux sur l'ensemble du marché européen".

Le message est clair: sans les OTAs, point de salut pour les offres touristiques situées en zones rurales (et donc, l'incitation à y faire investir de nouveaux entrepreneurs). Qu'il s'agisse d'Airbnb, Booking ou leurs rivaux, ces offres n'auraient jamais réellement percé sans le levier de trafic de ces mastodontes...

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Lors de la conférence annuelle Trends 2025 donnée par elloha, ce 8 janvier, les professionnels participants ont considéré leur bilan 2024 plutôt (voire très bon) pour 56% d'entre eux tandis que 39% l'ont considéré moyen (39%) à mauvais (pour 5%). Pour 2025, l'année est perçue (à date) comme plutôt bonne (55%), voire très bonne (9%) et moyenne (31%) à mauvaise (5%). Si la priorité 2025 sera d'augmenter les revenus (55% des répondants), la réduction des commissions facturées par les OTAs ne concerne que 8% des intentions prioritaires; ce qui devrait donner des justifications aux arguments développés par Booking dans son dernier rapport sur les "titans".

Plus pro-rural, plus "pme-friendly", les OTAs se présentent sous un jour volontairement positif en Europe où le match "OTA versus chaînes" n'est pas prêt de commencer (ni d'être en voie d'être gagné comme aux US). Ce positionnement s'explique aussi par la pression qui s'exerce désormais sur le Vieux Continent en matière de règlementation comme le DMA (Digital Market Act, voir plus bas) ou encore, d'un pays à l'autre, où émergent des règlementations de plus en plus restrictives pour tous les acteurs de la filière, des hébergeurs aux distributeurs.

Et, dans ce rapport, Booking n'hésite pas à souligner ce qu'il considère comme un rapport équilibré entre les OTAs, en général, et les entreprises du tourisme: "Dans une étude réalisée en 2024 par Statista, 74 % des dirigeants (NDLR: d'entreprises touristiques) interrogés en Europe ont indiqué que les plateformes de voyage en ligne rendaient leur entreprise plus rentable, seul un cinquième d'entre elles étaient neutres et moins de 10 % n'étaient pas d'accord. Bien que perçus comme une industrie de services, les hôtels d'aujourd'hui sont essentiellement des entreprises immobilières, les propriétaires utilisant le service à la clientèle comme un outil pour maximiser le rendement financier au mètre carré. Cependant, le caractère hautement périssable des produits (une chambre d'hôtel invendue ne peut pas être stockée puis remise en vente) fait qu'une distribution efficace est vitale pour la rentabilité de l'hôtel. Chaque vente supplémentaire contribue aux coûts fixes, ce qui fait que la vente de chaque nuitée de chambre au prix optimal est essentielle au succès à long terme. Dans l'ensemble, nos résultats montrent que les avantages de la participation des OTA l'emportent largement sur les coûts, ce qui se traduit par une augmentation claire et substantielle du résultat net des hôtels. Cela remet en question les idées reçues sur la collaboration avec les OTA, les résultats démontrant clairement que, si l'on considère l'ensemble des recettes et des coûts, les hôtels qui travaillent avec Booking sont plus rentables, les coûts indirects des directeurs étant absorbés par l'augmentation des recettes qui en résulte, ce qui permet d'améliorer les performances financières".

Evidemment, tous les hôteliers ne seront pas d'accord avec de telles affirmations et les rapports de force entre Booking (et les autres OTAs) évoluent rapidement selon les pays ou les acteurs en présence dans des perspectives qui ne montrent pas encore de points de rupture; chacun ayant encore largement besoin de l'autre pour de nombreuses années encore ...

Cependant, astucieusement, le rapport de Booking rappelle une évidence en s'appuyant sur les données de l'Hotrec (le groupement européen des principaux syndicats hôteliers) pour souligner que : "Les petites et moyennes entreprises de l'hébergement touristiques exercent un contrôle direct sur les réservations, tout en bénéficiant d'un accès à divers canaux de distribution, que ce soit par l'intermédiaire de voyagistes, d'agences de voyage en ligne ou des médias sociaux. En 2023 (selon une étude de l'Hotrec), près de 55 % des réservations auront été effectuées directement auprès des hôtels, que ce soit en ligne ou hors ligne. Cela comprend les réservations directes en ligne, qui représentent 33,8 %, et les réservations directes hors ligne (par téléphone, en se rendant sur place, etc.), qui représentent 21,2 %. Cette préférence soutenue pour les réservations directes met en évidence la résilience et l'adaptabilité du secteur, même face aux perturbations numériques".

Pour Booking, donc, pour un hôtel dans la moyenne, qui se digitalise correctement et maîtrise ses process de distribution: "Les plateformes de voyage en ligne ne représentent que 29,1 % de l'ensemble des réservations, réparties entre plusieurs plateformes telles que Booking, Expedia, HRS, Hotels.com, Trip.com, et bien d'autres encore. Selon les résultats de l'étude, aucune plateforme ne représente plus de 20 % de l'ensemble des réservations, ce qui la place résolument derrière la distribution directe en ligne et hors ligne. Des recherches indépendantes (avant la pandémie) estiment que ce chiffre est encore plus bas, aucune plateforme ne dépassant une part de 15 % du total des réservations". ==Au-delà, ce serait donc la faute de l'hôtelier (ou de sa chaîne); ce qui, admettons-le, n'est pas tout à fait inexact ...

Source : Booking et Hotrec
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Le spectre de la "chainification": Selon le rapport de Booking, l'Europe reste préservée d'un phénomène très américain où plus de 72% des hôtels dépendent d'une chaîne. Pour Booking, la "mégatendance" à l'origine de cette évolution (américaine) de l'industrie du tourisme est liée à "la possibilité de parcourir de plus longues distances pour moins cher; ce qui rend la proposition de valeur des grandes chaînes hôtelières de plus en plus attrayante". Cependant, pour le champion du monde des réservations, "les relations locales et la reconnaissance du nom d'une auberge familiale n'ont pas grand-chose à envier à une visibilité nationale ou mondiale". Si l'Europe et l'Amérique latine, où les établissements indépendants jouent un rôle beaucoup plus important, se situent à l'autre extrémité du spectre de la "chainification", c'est avant tout parce que "les établissements indépendants trouvent des moyens créatifs pour rester compétitifs" et donc, ne pas s'éloigne d'une forme de dépendance pour une autre ...
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Prévenir les risques

Ce document n'émane pas pour rien des "affaires publiques" de Booking (en Europe). Cette direction est celle qui se charge de protéger les intérêts du groupe face aux menaces institutionnelles qui pourraient peser sur son avenir. Avec la reconnaissance de Booking comme "contrôleur d'accès" en Europe au titre du DMA (voir plus haut), des responsabilités plus fortes vont peser sur le portail leader et ce, d'autant plus que Google ne ménage pas non plus ses efforts pour démontrer que ces mesures (qui s'appliquent aussi à lui) peuvent avoir des "effets de bord" incontrôlés pour les hôteliers (voir plus bas).

D'ailleurs, le rapport sous-tend un propos résolument politique en affirmant que "les petites entreprises doivent faire face à des incertitudes économiques" et que, dans ce cas, "elles se tournent vers des politiques gouvernementales de soutien pour assurer la stabilité et la croissance". Sont-elles aussi bien entendues que les chaînes ? Pas évident, à en croire le document de Booking: "Alors que les politiciens, qu'il s'agisse de maires de petites villes ou de commissaires européens, donnent souvent la priorité aux PME, dans le secteur de l'hébergement, nous constatons que les grandes chaînes d'établissements considèrent les politiques gouvernementales comme bénéfiques à leur réussite commerciale. Leurs homologues plus petites et indépendantes sont moins convaincues.."

Le ton est donné : 2025 sera une année de grandes manoeuvres politiques dans l'univers du tourisme où les grands acteurs (Google, Booking, Airbnb pour l'essentiel) vont tenter de justifier un statu quo destiné à profiter, en priorité, aux "petits", aux entreprises du tourisme (cette masse colossale toutes catégories confondues) où la paix sociale et économique sera la priorité des gouvernants en ces heures de restrictions budgétaires et de turbulences économiques. Rappelons, à ces fins, que le secteur de l'hôtellerie et de la restauration est parmi les premiers à être touché par la vague de défaillances d'entreprises que connaît notre pays (et l'Europe) depuis la fin de l'année précédente. D'ici à ce que la colère gronde plus fort encore contre les gouvernements ...