Ce bras de fer qui agite Booking en Europe

Ce bras de fer qui agite Booking en Europe

L'Europe vient de bloquer le rachat de eTraveli (une société suédoise spécialisée dans les billets d'avion) par Booking. La raison ? Selon la Commission, si ce rachat à 1,7 Milliards de dollars se réalisait, Booking deviendrait incontournable dans la vente de voyages en Europe et son poids ne cesserait de croître dans les revenus des hébergeurs ... C'est la première interdiction du genre prononcée par l'Europe cette année et seulement la onzième du genre en dix ans !

Pour l'Europe, l'appétit croissant de Booking doit être limité ... et vite ! La Commission vient, en effet, de bloquer l'accord de rachat de eTraveli dont les services de réservations d'avion sont, cependant, intégrés depuis très longtemps sur le site de Booking.

Pour Didier Reynders, le Commissaire à la Justice: "L’acquisition d’eTraveli par Booking renforcerait la position dominante de cette dernière sur le marché des agences de voyages en ligne et entraînerait probablement des coûts plus élevés pour les hôtels et, éventuellement, pour les consommateurs". Pour la Commission, Booking détiendrait déjà plus de 60 % des parts de marché des OTAs en Europe selon une enquête menée auprès de 15 000 hôtels; une enquête au cours de laquelle les hôtels affirmaient craindre que l'accord ne renforce la capacité de Booking à augmenter ses commissions.

Glen Fogel, le boss de Booking (à gauche) au Skift Forum de NYC la semaine dernière (source : Skift)

"L'Europe a tort !" selon Booking et "Elle a bien fait" selon Ryanair

Pour l'Europe, "l'opération (eTraveli) aurait permis à Booking d'acquérir un canal principal d'acquisition de clients. Après l'hébergement, les services (de réservation de) voyages aériens constituent le deuxième plus grand marché (...) et le complément le plus proche de l'activité principale de Booking dans le domaine hôtelier." Ainsi, selon les décideurs européens, cette opération aurait permis à Booking de "renforcer sa position dominante et aurait encore consolidé sa position de négociation par rapport aux hôtels".

De son côté, Glen Fogel, le patron de Booking: "Je crois absolument qu'ils ont tort sur les faits, sur la loi et que leur politique est erronée" a-t-il déclaré lors du Skift Forum qui s'est tenu à New York la semaine dernière. Pointant la raison principale au refus de l'Europe (un risque d'augmentation des prix et des commissions), ce dernier a rajouté : "Si nous facturions trop cher (NDLR: nos commissions), personne ne contractualiserait avec nous. C'est aussi simple que cela !" Et puis, selon ses propos, les hôtels ne se font pas prier pour se passer (partiellement) de Booking: "Il n'est pas surprenant de constater qu'en haute saison, nous obtenons moins de chambres qu'en basse saison. Si nous n'apportons pas de valeur à un hôtelier, ce dernier est libre de ne pas utiliser notre service … Tout comme s'il n'aime pas le prix de la commission. Il est libre de ne pas utiliser notre service ..." a surenchéri le patron de Booking pour qui le rachat de eTraveli ne changera rien à sa façon d'opérer et de se développer. Un discours direct et réaliste qui, bien que venu des US, se heurte à l'opposition frontale des autorités européennes pour qui "les mesures correctives offertes par Booking, suite au rachat de eTraveli, ne répondaient pas adéquatement aux préoccupations de la Commission en matière de concurrence, d'une manière autorisant à conclure que la concurrence serait préservée sur une base durable".

Enfin, ce bras de fer n'a pas fait que des escarmouches: pour la compagnie irlandaise Ryanair, "la décision de la Commission européenne dans cette affaire est donc une bonne nouvelle pour les consommateurs du monde entier" a déclaré la compagnie dans un communiqué. Pour le roi européen du "low cost": ""Les consommateurs qui réservent des billets d'avion sont souvent attirés par les sites web des agences de voyage en ligne (OTA) qui annoncent des "tarifs bas", pour ensuite payer des frais beaucoup plus élevés pour les bagages, la réservation des sièges et d'autres services"...

Affaire à suivre, en conséquence, car si l'opération de rachat a été bloquée, Booking ne désarme pas et déclare qu'elle continuera à travailler avec eTraveli: "Nous allons continuer à développer notre activité aérienne, qui se porte très bien. Ce refus de l'Europe ne nous permettra pas d'améliorer aussi rapidement et aussi facilement les produits de vol ... mais nous n'abandonnons pas l'objectif de promouvoir de nouveaux services et de nouveaux produits qui profitent à la société". Et de conclure que "Big is not necessarily bad" (NDLR: Être un Géant n’est pas nécessairement mauvais) ... Sauf "si vous abusez de vos pouvoirs" comme l'a précisé lui-même le boss de Booking, la semaine dernière.

👮‍♂️
L'opération a été notifiée le 10 octobre 2022 à la Commission, qui a ouvert une enquête approfondie le 16 novembre 2022. Le 9 juin 2023, la Commission a adressé une communication des griefs à Booking. La Commission a pour mission d'apprécier les fusions et les acquisitions entre entreprises dont le chiffre d'affaires dépasse certains seuils (voir l'article 1er du règlement sur les concentrations) ou pour lesquelles elle a acquis compétence en vertu d'un renvoi de la part des États membres (voir l'article 4, paragraphe 5, et l'article 22 du règlement sur les concentrations) et d'empêcher les concentrations qui entraveraient de manière significative l'exercice d'une concurrence effective dans l'EEE ou une partie substantielle de celui-ci. La grande majorité des concentrations notifiées ne posent pas de problème de concurrence et sont autorisées après un examen de routine. À partir de la date de notification d'une opération, la Commission dispose en général d'un délai de 25 jours ouvrables pour décider d'autoriser cette opération (phase I) ou d'ouvrir une enquête approfondie (phase II). Au cours des dix dernières années, la Commission a autorisé près de 3 500 concentrations. L'interdiction décidée aujourd'hui est seulement la 11e concentration bloquée par la Commission au cours de la même période.