La nouvelle tendance du "démarketing" hôtelier

La nouvelle tendance du "démarketing" hôtelier

Dans de nombreux pays, la grande industrie hôtelière emploie un stratagème malin pour s’offrir une image d’authenticité : elle fait disparaître sa marque, pour paraître proche et attentionnée. Une tendance dont les hébergeurs indépendants peuvent tirer profit, en mettant en valeur leurs qualités "naturelles", qu'ils n'ont pas besoin de surjouer ou d'inventer.

À l'heure où certains se demandent s'ils doivent rejoindre un réseau, une chaîne, suivre la tendance au "démarketing" qui semble s'installer en Amérique du Nord (où les chaînes sont reines) devrait permettre de temporiser la décision ... Finalement, le modèle européen (dominé par les indépendants plutôt que par les chaînes) semble plus porteur d'opportunités. La tendance vaut le coup d'être observée ...

"Les indépendants ont intérêt à être le contraire des hôtels de marque fades", affirme Mailys Pensivy, Présidente d'AMC Hospitality (gestion de revenus hôteliers, Chicago). Leurs hébergements doivent se connecter au côté émotionnel des clients, sans les prendre pour du "bétail" à loisirs !

Les gros professionnels du secteur ont compris que la qualité des petits, c’est l’identité forte et le service complémentaire, qui peut englober un vaste catalogue de plaisirs vrais : vente de produits du terroir, développement durable, culture, etc. Des services "plus" difficiles à mettre en oeuvre, paradoxalement, au niveau d'une "grosse machine hôtelière".

Dans une perspective de marché où il faudra plus compter sur les voyageurs "d'agréments" que sur la clientèle "business", prendre en compte cette inclination est plus-que-vitale pour l'avenir.

Les voyageurs de 2021 ne veulent plus les mêmes expériences de voyage que leurs amis et voisins, ils recherchent des vacances uniques conçues à la main, loin des grandes chaînes qui proposent un cadre impersonnel. Ils préfèrent l’artisanat, c’est-à-dire les hébergements exploités individuellement, construits autour des concepts de passion et de service. "Cet accent mis sur les voyages expérientiels est une tendance durable", observe John Smallwood, PDG de Travel Outlook (US), qui livre un jugement sans appel : "Malgré tous leurs efforts, les grandes chaînes hôtelières ne seront jamais en mesure de reproduire une passion authentique". Pourtant, elles sont de plus en plus nombreuses à vouloir faire copain-copain avec les clients qui recherchent une expérience unique ou qui considèrent valorisant de fuir les séjours standardisés.

En passant pour indépendant, on déploie une image bien plus attentionnée, en accord avec l’époque. Ce démarketing imaginé par les départements de R&D de certaines grandes chaînes US consiste à rebaptiser les propriétés individuelles, afin d’éviter l’association de marque. Mais les hôtels indépendants et de charme "dépassent de loin leurs plus grands concurrents en créant des expériences de voyage uniques et authentiques", tranche J. Smallwood. Sur un continent - l'Amérique du Nord - où les "marques" d'hôtels sont dominantes (90% des établissements), le retour à un modèle plus "européen", plus traditionnel, semble être à l'ordre du jour...

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Chambres d'hôtes : un succès confirmé

En France, les hôtels de moins de 50 chambres comptent pour plus de 72% du parc national et la tendance se confirme en faveur d'établissements plus petits encore, plus aptes et plus agiles pour trouver leur marché sans trop compter sur la clientèle business.

Les spécialistes l'ont bien compris en lorgnant aussi sur les maisons d’hôtes qui constituent 10% des hébergements touristiques marchands en France. Si l'on y rajoute les hôtels "indépendants" (ni en chaîne "intégrée" de type Accor, ni en chaîne "volontaire"), on atteint un seuil pratiquement de 50% (pour les établissements de moins de 20 chambres). Si l'on ajoute, enfin, que seuls 74% des hôtels arborent un classement étoilé (les autres concentrant leurs efforts sur la "nouvelle" commercialisation), le Small is Beautiful" semble de plus en plus s'imposer ...

À la croisée des chemins avec le covid et le reflux des séjours "affaires" qui étaient plutôt le secteur de chasse des "grands" hôtels, les "petits" (moins coûteux à faire fonctionner et donc plus "agiles" en ces temps compliqués) semblent pouvoir tirer leur épingle du jeu; ce qui donne quelques idées aux plus gros.

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Small (and rural) is beautiful"

Le succès des "petits hébergements" repose sur l’envie de réserver des nuitées dans un lieu où l’on pourra créer des souvenirs durables, pas seulement des expériences de voyage à l'emporte-pièce. Les modes d’hébergement en maisons d’hôtes ou en hôtels de "petite taille" reposent sur les envies d’authenticité, qui sont devenues un phénomène sociétal que l’on peut relier aux valeurs de proximité et même de circuits courts. En Amérique du Nord comme dans la vieille Europe ...

En quelque sorte, les indépendants sont à l’industrie hôtelière ce que le bio est au commerce de quartier. Aujourd’hui, quel hypermarché n’a pas aménagé son petit espace aux allures d’épicerie, pour réduire l’immensité de sa "grande surface" et retrouver une taille humaine ? Plus ancrés, plus vrais, les hébergements indépendants donnent l'image de favoriser l’échange et le partage, souvent l’immersion dans la vie locale et le sentiment de vivre une expérience, tandis que les géants du sommeil ne peuvent opposer que la perfection d’un intérieur trop parfait pour certains.

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Pour les indépendants, cette tendance est une chance

En Europe et en France, la tentation de camouflage des grandes marques est marginal, mais il est l’occasion de préparer les hébergeurs indépendants à une éventuelle déconcentration (apparente) des chaînes hôtelières selon le modèle américain.

La menace du copier-coller industriel n’est pas significative pour les faiseurs de vrais séjours, mais la mise en avant des atouts des indépendants est une façon de redécouvrir leurs avantages et de "bétonner" leurs positions. En tirant parti des avantages concurrentiels qui influencent la décision d’achat de séjours, il est même possible de prendre des parts de marché sur les hôtels de marque.

Les 5 facteurs qui font préférer l’hôtel, selon STR Research (fournisseur de données sur l’industrie hôtelières, Tennessee, US), sont :

  • L'emplacement
  • Le prix et le rapport qualité-prix
  • La politique d'annulation
  • Le séjour précédent
  • Les avis positifs / recommandations personnelles
    Données : mai 2021.

Les notions de marque et de "miles" n'intéressent que la clientèle "Affaires" dont on peut se demander, à ce jour, si elle reviendra vraiment à ses anciennes habitudes de consommation hôtelière. Pas certain ... pour un long moment encore.

Par différenciation, les "petits hôtels" et les chambres d’hôtes ont tout à gagner en misant sur 6 aspects :

  • La souplesse : les indépendants peuvent mettre à jour rapidement, et tout le temps, leurs contenus sur toutes les plateformes digitales et répondre au désir du client de vivre une nouvelle aventure. Ils ont intérêt à travailler activement avec les offices de tourisme, acteurs du marketing touristique, et agences de développement touristique, pour être inclus dans leurs campagnes. Les hôtels indépendants ont beaucoup plus de flexibilité que les gros pour s'associer avec des entreprises locales (ventes croisées, recommandations de restaurants, caves viticoles, brasseries, spas, petites boutiques)...

  • L’histoire des lieux : le design des espaces communs et des chambres raconte une histoire, mais ce n’est pas suffisant. La personnalité d'un hôtel doit transparaître tout au long de l'expérience client. Le personnel doit connaître l’histoire des lieux, pour la partager avec les clients.


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Parmi les autres atouts qu'un indépendant peut rapidement mettre en avant (et surtout, sur son propre site internet !):

  • L’info à la carte : par temps de Covid, un hôtel qui a une page dédiée avec une liste à jour des attractions ouvertes et des restaurants, accompagnée de brèves descriptions, sera d'une grande valeur pour les clients qui hésitent.

  • L’accompagnement : guider le client tout au long de la planification de l'ensemble de son voyage est un atout de fidélisation et de recommandation.

  • La politique d'annulation : l’envoi d’un e-mail type, mais personnalisé, récapitulant les caractéristiques de l'hôtel et les événements ou attractions à vivre autour, est une solution pour réduire les annulations de séjours.

  • Séjour précédent : l’augmentation des escapades en voiture, en raison du Covid, constitue un programme de fidélité pour les indépendants, qui ont intérêt à mettre en place des stratégies de captation de séjours répétés (réductions pour les clients réguliers, cartes-cadeaux).

En résumé, tirer parti de la tendance au "faux" est une opportunité pour les hébergeurs indépendants, qui peuvent s’affirmer tels qu’ils sont, sans surjouer. Les clients ne sont pas dupes, ils sauront reconnaître l’absence d’artifices et préféreront l’original à la copie.