Le ménage des chambres devient une option ?

Le ménage des chambres devient une option ?

Avec la baisse du taux d’occupation et une concurrence devenue plus ardue, la stratégie tarifaire de certains hôtel s’est orientée à la baisse. Mais, cette tendance a ses limites; notamment, celle de la rentabilité économique. Certains hôteliers ont peut-être trouvé un moyen de poursuivre cette baisse : rendre le ménage optionnel. Du jamais vu et pourtant, ça risque de marcher ...

Et si le ménage de la chambre d'hôtel devenait une option, comme le dîner ou le petit-déjeuner ou, plus simplement, comme dans une location de vacances "classique" ? C'est pourtant ce qui est en train d'arriver chez de nombreux hôtels du monde entier qui voient là une occasion de modifier plus loin encore leur modèle économique.

Hilton ouvre le bal du ménage éventuel

On croyait depuis toujours que le ménage quotidien, dont on bénéficie à l’hôtel, faisait partie des essentiels, car l’experience de la nuitée, c’est aussi le plaisir de ne rien faire et se laisser dorlotter, contre rémunération.

Cette attente fixée dans les habitudes (ne fait-elle pas partie de l'ADN de l'hôtellerie ?) pourrait bien devenir un souvenir "à la papa" ! La tendance des clients à rester plus longtemps conduit certains hôtels à rendre permanents des changements intervenus pendant la pandémie, comme proposer un ménage quotidien uniquement sur demande, et ajouter des options comme l'enregistrement mobile ou sans contact.

Aux US, un sondage de l'American Hotel and Lodging Association, en août 2020, révélait qu'une forte proportion de clients sont favorables à l'élimination du ménage quotidien pendant la pandémie. Depuis, certains hôtels suivraient la voie indiquée par ces consommateurs. Hilton a annoncé en juillet 2021 qu'il rendrait le ménage quotidien facultatif dans la plupart de ses hôtels US, à l'exception de ses marques de luxe Waldorf Astoria et Conrad. "Tout au long de la pandémie, nous avons découvert que les clients appréciaient la flexibilité du ménage à la demande, et que leur ressenti en matière de confort était variable selon si quelqu'un entre dans leurs chambres après leur enregistrement", observe Meg Ryan, directrice principale de la marque Hilton. Chez Marriott, on laisse aux clients le soin de "choisir leur cadence préférée de services d'entretien ménager pendant leur séjour", explique Julie Rollend, directrice des relations publiques.

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© Hilton

Vers un syndrome Ryanair

Le changement annoncé élargi à d'autres chaînes et d'autres hôtels indépendants pourrait être plus rapide qu’imaginé, car il permet de réduire les coûts, et la poussée des consommateurs forcera les décisions.

L’hôtellerie serait alors placée sous syndrôme Ryanair : le roi des opérateurs aérien low cost propose d’abord des tarifs secs, mais toutes ses options sont payantes. Résultat, le client n’a généralement pas envie d’un vol spartiate, alors, dans l’euphorie du voyage, il consomme des options en vol et fait augmenter sa propre facture. Christopher Anderson, professeur à l'École de gestion hôtelière de l'Université de Cornell (New York), voit venir ce modèle à la carte "similaire à celui adopté par de nombreuses compagnies aériennes dans lesquelles les clients peuvent choisir les services pour lesquels ils sont prêts à payer"... des compagnies qui "deviennent de plus en plus populaires"...

Cet observateur prédit que "si les coûts sont réduits et les prix sont ajustés en conséquence, le consommateur sera gagnant". *Ces interrogations croissantes ont fait titrer le New York Times du 26 juillet : "What’s the Price of an Uncleaned Hotel Room?"*.

Du côté des professionnels, tout n’est pas si simple, car le ménage quotidien devenu une option impose alors un "gros ménage" en fin de séjour, par exemple hebdomadaire. Une femme de ménage à Hawaï affirme que son travail est épuisant car une chambre qui lui exigeait auparavant 45 minutes à nettoyer prend maintenant deux fois plus de temps en raison des séjours prolongés et de l’absence de ménage quotidien (plus de temps, plus de pagaille).

Nouveau call-to-action

Le Covid a engendré des changements dans la manière de consommer les séjours, car les clients sont devenus prudents et ouverts à de nouvelles pratiques, inspirées ou non de la seule situation sanitaire... Ils exigent une hygiène irréprochable et l’envie de préserver leur bulle, en restant avec des personnes qu’ils connaissent bien : famille, amis. Les consommateurs choisissent un hébergement, ils y restent et apprécient ne pas être trop dérangés dans l’espace d’intimité prévu pour quelques jours. La pandémie a instauré ou renforcé ce concept de "chez soi éphémère", qui contribue à la qualité d’un bon séjour en chambre d’hôtes.

La gestion de cet espace privatif a imposé une évolution dans l'approche de l'industrie en matière de services tels que l'entretien ménager et l'enregistrement (check-in). Ce changement est invité à devenir permanent, c’est-à-dire à survivre au virus, car il a fait découvrir le plaisir de ne subir aucune intrusion "étrangère", tout en allégeant le travail de l’hébergeur.

Cette réduction des tâches est déjà vécue dans l’industrie hôtellière américaine, qui a instauré le temps partiel. Près de la moitié des emplois supprimés dans l'industrie de l'hébergement pendant la pandémie (plus d’un million) n'ont pas encore été recréés, selon le Bureau of Labor Statistics. En France, les licenciements massifs opérés par les hôtels de luxe parisien sont significatifs : les 168 employés congédiés par Westin Paris Vendôme sont en majorité des femmes de ménage, qui seront remplacées par de la sous-traitance. Au Melia Paris-La Défense, 54 postes ont été convertis à la sous-traitance, essentiellement des femmes de ménage. Au Méridien Etoile, le licenciement de 245 personnes vise notamment le personnel d’étage et les gouvernants, tandis que les 260 employés remerciés par Marriott Rive Gauche géraient notamment l’entretien. Certes, on parle ici de sous-traitance "classique", mais il est également envisager dans d'autres hôtels d'autres catégories de recourir à des postes "freelance", un peu comme des livreurs Uber ...

Le dégraissage de l’hôtellerie, actuel et à venir, vise des fonctions qui pourraient bien être perçues comme "non essentielles", voire même désuètes. Si le ménage devient ringard, ce n’est plus une évolution, c’est une révolution !

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Louis Hansel / Unsplash

Et Uber Eats remplace le restaurant de l’hôtel !

La composition de séjours à la carte (avec ou sans ménage quotidien) ressemble donc à un choix sur Internet, où l’on coche et décoche des options en une fraction de seconde.

Parmi les formules montantes, dans l’hôtellerie, figure une autre évolution du service en chambre. Aux US (encore !), les entreprises de livraison de nourriture, de type Just Eat et Uber Eats, rendent le room service presque obsolète. Les clients zappent le restaurant de l’hôtel et sollicitent directement l’extérieur.

Plusieurs hôtels ont noué des partenariats pour moderniser leur room service en conséquence. En juin, le tout nouveau Resorts World Las Vegas a trouvé un nom à cette formule, "On the Fly", après avoir signé un accord avec Grubhub. On the Fly permet de commander dans 40 établissements, en passant par l’appli Grubhub ou en scannant les codes QR Grubhub situés dans les chambres. Le paiement est effectué auprès de cet opérateur, ou ajouté à la note de la chambre, de sorte que ce service externalisé peut revêtir une allure interne. Loin de refuser ce principe, le président de Resorts World Las Vegas, Selon Scott Sibella, parle d’un "tout nouveau niveau de confort".

Idem pour la chaîne d’appart-hôtels Sextant Stays (Floride et Louisiane), associée depuis ce printemps au livreur 2ndKitchen afin d’offrir un service "nouvelle génération", affirme son fondateur, Andreas King-Geovanis, car sa société fournit une prestation "sans qu'aucun restaurant sur place n’occupe de place ni se soucie des stocks, de la main-d'œuvre et de tous ces autres coûts". Trois à quatre restaurants ultra-locaux sont choisis, dans un rayon maximal de cinq pâtés de maisons, ce qui garantit un délai de livraison inférieur à 30 mn. En somme, le restaurant externe ajouté à l’hôtel est une option en devenir. Comme le ménage, elle fait partie des cases à cocher, par ses clients toujours plus libres, soucieux de leurs dépenses et de l’optimisation de leur budget.