C'est la dernière impression qui compte !

C'est la dernière impression qui compte !

Les premières impressions sont belles, mais les dernières sont celles qui comptent vraiment en hôtellerie. L’enjeu est de rythmer le séjour avec des séquences agréables, pour ne pas tout concentrer sur le seul moment de l’arrivée. La psychologie et l’impact émotionnel jouent énormément dans cette stratégie fondée sur la mémorisation. Maîtriser ce processus, c’est améliorer la qualité de service et imprimer des souvenirs chez les clients, pour les fidéliser et les transformer en relais positifs de votre hébergement.

En décortiquant une expérience de voyage, on trouve 6 moments, dont l’addition compose un ensemble cohérent : la recherche et le choix de la destination (1), la réservation (2), le départ de chez soi (3), le séjour en lui-même (4), le départ du lieu de séjour (5) et l’arrivée chez soi (6). À moins d'un séjour fade, tout n'est pas linéaire entre l’étape 1, celle de la projection abstraite vers un “ailleurs”, et l’étape 6, celle d’un bilan spontané, comme lorsqu’on a vu un excellent film qui nous revient à l’esprit le lendemain du visionnage. Entre temps, nous l’avons vu, l’enthousiasme vécu par les clients connaît des hauts et des bas, il est donc important de provoquer leurs impressions lors des temps forts.
Si, comme les experts de l'hospitalité, on saucissonne l’intérieur du séjour, une autre donnée fondamentale est celle de l’impression dégagée par un lieu. "La première impression est toujours la bonne", dit la maxime bien connue… et bien mensongère, selon Laurence Bernstein, fondateur du cabinet de conseil Protean Strategies (Toronto, Canada).

Ne pas tout donner lors de l’accueil

En hôtellerie, la primeur donnée à la première impression est donc une croyance répandue. Les hébergeurs consacrent du temps, de l’énergie et de l’imagination pour s'assurer que l'arrivée sera spéciale, en espérant que ce moment sera déterminant pour la suite. Oui, l’arrivée n’est pas la suite, l’enveloppe n’est pas le contenu. Laurence Bernstein fait dans la demi-mesure subtile : "Soyons clairs, je ne préconise pas une arrivée et un enregistrement banals, mais je déconseille que trop d’accent soit mis sur l’arrivée, au détriment, en fait, du départ". Exemple : il est plus authentique d’appeler un client par son nom lorsqu'il quitte l'hébergement que dès son arrivée, alors qu’on ne le connaît qu’en distanciel (plateforme de réservation, téléphone etc), car cela fait un peu … téléphoné. Dans le pire des cas, l’arrivée du client est scénarisée, façon amazing, mais au moment du départ, certains propriétaires peuvent parfois donner le sentiment d'être soulagés, en consacrant un temps minimum à ce moment crucial, souligne l'expert international.

Parmi les solutions concrètes pour doser les moments de l’expérience de séjour, les propriétaires réservent souvent une offrande de bienvenue, par exemple du vin ou des fruits dans les chambres. En réalité, "Une surprise en fin de séjour aura un impact potentiel supérieur", selon Laurence Bernstein, qui a fait ses armes dans la vente et le marketing chez Westin Hotels. Bien sûr, il est possible de prévoir un cadeau d’arrivée ET un cadeau de départ, mais il faut que le budget suive. Pour les hébergements ruraux, certains égards, qui ne coûtent que du temps, n’ont pas de prix : être reçu avec des plantes fraîchement cueillies, si possible odorantes, est une attention de grande valeur : thym, romarin, genêts etc, sont des exemples déclinables dans toutes les régions.

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Produire du mémorable parmi les 20 000 moments vécus par jour

Le but que nous recherchons est de rendre un maximum de moments mémorables, sur le principe du plaisir, du réconfort, de petites parenthèses de bonheur.

Mais, attention, il y a de la concurrence ! Nous vivons, en effet, environ 20 000 moments par jour, de quoi passer par toutes les couleurs de l’arc-en-ciel des sentiments. Il s’agit donc de viser et de créer des moments importants, susceptibles d'être mémorisés, et, dans ces moments, d'exprimer avec force l’image incarnée par un hébergement, de toutes dimensions.

Laurence Bernstein, spécialiste en stratégie de marque expérientielle pour les plus grands et les plus prestigieux des hôtels de la planète, fournit des clés pour les adresses à taille humaine. Que faut-il en retenir ? Par évidence, le défi est de fournir une expérience à la hauteur des attentes promises par le site web de l’hébergement (images, mots, esprit, qualité de navigation) et par son implantation. Dans la mesure où les bons et les mauvais souvenirs se fixent de façon identique dans la mémoire, l’hébergeur doit fournir de l’imprévu positif : un service non programmé, non préconçu par l’imagination, produit un réel effet de surprise, tout en produisant ce vécu.

La mémorisation de la “marque” de l’hébergement est alors plus forte chez le client, tandis que l’hébergeur maîtrise l’image générée par les lieux, car l’effet produit n’est pas accidentel, mais calculé. L’expérience est plus marquante. Un secret de fabrication ? Chaque moment doit être “suffisamment important pour être mémorisé par le client et suffisamment différencié pour tenir la promesse de la marque”. Cette mémorisation de l’expérience dépend de ce que le cerveau retient parmi la multitude de choses reçues ou ressenties quotidiennement : images, voix, mots, idées, sentiments, désirs (etc) reçus, mais pas tous imprimés par l’individu. Agir sur ce “souvenir de soi”, comme le décrit le psychologue et économiste américano-israélien Daniel Kahneman, c’est procurer un bien-être proche des moments qu’un père ou une mère réservent à leurs enfants. Le reste des expériences disparaît, tout simplement, selon ce prix Nobel d'économie 2002.

Nouveau call-to-action

La fabrication d'expériences fait partie de l’art du séjour, elle est liée au lien émotionnel vécu. En différenciant la “méta-expérience” (intégralité du séjour) et la micro-expérience, Laurence Bernstein met le doigt sur l’intérêt de provoquer, produire ou favoriser de petites séquences, qui contribuent à la mémorisation générale (positive, naturellement !) du séjour. Mais les scientifiques du comportement sollicités par l’expert sont formels : les événements ne sont pas évalués selon la moyenne de l’addition de toutes les composantes micro-expérientielles, mais selon le dernier événement et l'événement "au sommet” (celui qui ressort le plus dans l’esprit). Les clients sont plus susceptibles d’associer un séjour à l'expérience la plus marquante et à la dernière expérience. Cela souligne l’enjeu de bien les traiter lors du départ. Comment ? Une carte de remerciement, de la briocherie et de l’eau pour le trajet retour, le journal du jour, des mots bienveillants etc.Daniel-Kahneman
Daniel Kahneman © GrupoBCC

Le pire, c’est l’indifférence

L’expérience américaine vécue par Laurence Bernstein est résumable par sa phrase "Je ne me souviens pas vraiment où j'ai séjourné à Phoenix" : l’hôtel qu’il a choisi dans cette ville n’était ni agréable ni désagréable, mais juste insignifiant. Pour les hébergeurs indépendants, en France, l’analyse est identique. Les clients se souviennent d’un endroit auquel ils ont confié leur nuit, ils le notent positivement et en parlent autour d’eux, si ce lieu offre des moments ... "marquants". Le manque d’âme dans la bienvenue, dans le départ ou entre les deux, ne laisse aucun souvenir, même pas négatif. Laurence Bernstein insiste, avec comme dernier exemple un séjour dans un magnifique hôtel du désert de l'Utah : architecture design, vues géniales sur le désert, spa, tout y était...mais le service n’était pas là. Les prestations, même incomparables, sont un atout de base, mais les stimulations produites vers le client modifient son ressenti. Ce qui fait la différence, c'est bien l'humain et son attitude, comme le démontre l'Observoire Touristique de Barcelone. Dans une étude sur 2019, publiée en juin 2020, il annnonce les notes données par les touristes : le caractère et l’amabilité des hôtes reçoivent 8,49 sur 10, contre 7,14 pour le bruit de la ville.
Notre conclusion rappelle les beautés froides : esthétiquement parfaites, mais désinscarnées. Pour un lieu de séjour, c'est idem. Seul un hébergement doté d’une âme bien vivante sera recommandable et recommandé. Se concentrer sur le service est un moyen de différencier son adresse.