Démanteler Booking, vraiment ?

Démanteler Booking, vraiment ?

L'Europe a l'ambition de revoir les relations entre les plateformes et les consommateurs mais aussi les hébergeurs, dans le secteur du voyage. Pour autant, il est illusoire de parler de démantélement des OTAs comme Booking comme le rêvent déjà certains. Comme on dit au rugby, ça rapportera plus de "travailler sur les fondamentaux" que de parier sur une disparation d'acteurs qui font désormais partie et du paysage et de l'écosystème tout entier ...

Le 15 décembre dernier, l'UE annonçait l'engagement de nouvelles (et plus fortes) règles pour mieux régir les relations entre les consommateurs et les plateformes et, dans une autre mesure, les professionnels (comme les hébergeurs, par exemple) et les plateformes de distribution (comme les OTAs). Selon l'UE: "Les nouvelles règles permettront de mieux protéger les consommateurs et leurs droits fondamentaux en ligne et rendront les marchés numériques plus équitables et plus ouverts pour chacun".

Si toutes les plateformes sont dans le viseur de l'UE (d'Amazon à facebook), celles du voyage en ligne, et notamment Booking, sont aussi dans la ligne de mire: "Les plateformes qui touchent plus de 10 % de la population de l'UE (45 millions d'utilisateurs) sont considérées comme étant de nature systémique et seront soumises non seulement à des obligations spécifiques de contrôle de leurs propres risques, mais aussi à une nouvelle structure de surveillance". Et de rajouter que ces nouvelles dispositions conféreront "des pouvoirs spéciaux à la Commission en ce qui concerne la surveillance des très grandes plateformes, y compris la possibilité de les sanctionner directement".

Les ambitions de l'UE, en la matière, sont clairement énoncées (et louables, faut-il le souligner) puisque la commission europénnne indiquera qu'elle "imposera des sanctions en cas de non-respect des dispositions, notamment des amendes pouvant aller jusqu'à 10 % du chiffre d'affaires mondial (...) afin de garantir l'effet utile des nouvelles règles. En cas de récidive, ces sanctions pourront comprendre l'obligation de prendre des mesures structurelles, pouvant aller jusqu'à la cession de certaines activités si aucune mesure de même efficacité n'est disponible pour garantir la mise en conformité".

Il n'en fallait pas tant pour que certains commencent donc à rêver à un démantélement en bonne et due forme de toutes ces grandes plateformes, Booking en tête... Si l'illusion du démantélement est à la mode (aux US comme en Europe), il y a souvent un monde entre le rêve (ou la revendication somme toute "poujadiste") et la réalité. Voici pourquoi ...

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Un rapport de force qui doit s'équilibrer

Dans un récent rapport, l'HOTREC (l'association qui regroupe toutes les associations professionnelles hotelières au plan européen) rappelait que les réservations provenant des OTAs étaient passées de 20% en 2013 à 30% en 2019 chez les hôteliers européens et que, Booking, à lui seul, représentait 65% de ces réservations.

Booking étant une entreprise - au départ, hollandaise, et donc européenne avant d'avoir été rachetée par l'américain Priceline - domine donc logiquement le marché européen. Au même titre qu'Expedia domine (avec Priceline aussi) le marché américain.

Quel que soit l'OTA (Booking ou Expedia), leur domination ne s'est pas faite en un jour et, force est de constater qu'ils n'ont pas pu vendre des chambres sans que les hôteliers leur en aient donné l'autorisation... Si leur domination s'est, à ce point, imposée c'est que les OTAs ont pris conscience de l'importance du marché digital plus rapidement que les hôteliers eux-mêmes (pour rappel, plus de 40% des hôteliers, encore en 2021, ne proposent pas de moteur de réservation sur leur site ...). Au jeu du marketing en ligne, les OTAs sont devenus très très forts et "ont plié le match" à coups de milliards d'achats de mots clés. Ils ont maîtrisé les techniques markating d'acquisition de clients sur les moteurs de recherche comme Google, sur les réseaux sociaux ou par le biais de stratégies de distribution-affiliation qui pèsent jusqu'à 50% de leur business annuel... comme personne avant eux dans l'univers du voyage.

Donc, c'est à juste titre, comme le rappelle l'HOTREC, que "les OTA sont devenus des partenaires commerciaux incontournables des hôtels" tout en indiquant que l'enjeu du moment est plutôt de les forcer à adopter des méthodes plus fair pour maintenir une relation saine et équilibrée avec ces derniers: sur la propriété des données clients, sur la notion de parité tarifaire et de stocks, sur la gestion des règles d'annulation, sur la publicité en ligne sur la base des noms commerciaux des hôtels, etc ...

Pour Marie Audren, Directrice Générale de l'HOTRE: *"L'annonce faite par la Commission européenne donne aux hôteliers l'espoir que cette relation devienne véritablement bilatérale, où les établissements s'engagent avec les plateformes sur un pied d'égalité"==.

Au plan européen, dans les instances hôtelières représentatives, on est donc très loin d'exiger le moindre démantélement ... même si certains espèrent que l'UE se rende jusqu'à cette extrêmité; ce qui devra s'imposer aux arguments de défense des OTAs; le premier étant que l'hôtelier n'a pas que Booking (ou Expedia) pour se distribuer ...

Le direct reste la clé

Comme le rappelle Glenn FOGEL, le "boss" de Booking: "Mon principal concurrent, c'est le site de l'hôtel (ou de la maison d'hôtes) lui-même ..." A ce jour, un site correctement organisé et structuré (avec moteur de réservation, etc ...) réalise un minimu de 27% de réservations d'un hôtel. Certains hébergeurs, encore mieux organisés, y réalisent même jusqu'entre 40 et 60% de leurs réservations !

Et comme toutes les études l'ont démontré, un internaute va toujours chercher à réserver en direct, c'est-à-dire sur le site de l'hôtelier, s'il y trouve les mêmes conditions de prix et la même facilité pour réserver. Voire pour annuler ... On l'a vu dans la première période de déconfinement, les réservations directes ont cartonné car les voyageurs qui réservaient à quelques heures de route de chez eux trouvaient stupide de passer par un OTA plutôt que de trouver l'hôtel ou la maison d'hôtes en direct ! Chez les clients elloha, les réservations directes sont même passées de 61% à 71% ...

L'argument des OTAs contre une éventuelle vélléité de démantélement est donc tout trouvé : 1) l'hôtelier dispose aujourd'hui de moyens technologiques, simples et bons marchés pour se vendre par ses propres moyens sans le moindre obstacle "digital" 2) si l'hôtelier n'est pas à l'aise avec les modalités de partenariat proposées par l'OTA, libre à lui de ne pas travailler avec la plateforme et d'investir sur sa réservation directe ou d'autres plateformes (moins importantes) ...

En clair, la question de la dépendance d'un hébergeur vis-à-vis d'un OTA ne vaut que pour ceux qui ne font pas d'efforts constants en matière de réservation directe. Booking l'affirme souvent: "Ce que nos commissions représentent, c'est notre capacité à générer du trafic, à attirer du client sur notre plateforme et donc, chez nos hôteliers partenaires ... Libre à chacun de génerer son propre trafic par ses propres moyens, uniquement, s'il le souhaite" ... Mais c'est là que tout se complique pour la réservation directe...

Générer de la réservation directe n'est, en effet, pas si facile que "d'ouvrir ses chambres sur Booking le lundi et de recevoir ses premières réservations le mercredi" - comme le soulignent de nombreux hoteliers - car c'est bien ce qui se passe pour les établissements qui décident de se vendre sur un OTA comme Booking: l'efficacité commerciale est immédiate ! Le risque d'addiction peut donc s'imposer assez rapidement au vu des efforts à consentir pour gagner par soi-même de tels volumes de réservations...

Et ce ne sont pas certaines chaines qui diront le contraire: alors qu'elles sont censées générer du "business semi-direct" à leurs adhérents, il est patent que 90% des réservations qu'elles leur rapportent proviennent des OTAs. Difficile pour ces dernières, dans les prochains mois d'arbitrages financiers par les hôteliers, de justifier de leur utilité commerciale ... à l'exception de leur programme de fidélité (et encore, pour les plus importantes comme Accor).

Aide-toi et le Ciel t'aidera !

Pour autant, aucun hébergeur ne doit perdre de vue que son indépendance commerciale est vitale, qu'elle constitue son fonds de commerce et donc la valeur de son patrimoine économique. Elle commence donc par le fait de "mettre le paquet" sur sa distribution directe et tout cela débute par des choses simples comme disposer d'un vrai site de réservation en ligne, d'afficher ses "meilleurs tarifs garantis" et de multiplier les offres spéciales, les promotions et les ventes de cartes-cadeaux pour attrapper autant de clients que possible ... qu'il faudra ensuite fidéliser avec un bon fichier-client et des envois réguliers d'emails et de newsletters. C'est le BABa ... Ce n'est donc pas en démantelant un OTA - aussi puissant soit-il - que l'indépendance d'un hôtelier sera garantie ...

À titre d'illustration, en France, alors que la loi Macron permet à un hôtelier de proposer sur son site (depuis 2015) de meilleurs tarifs que sur Booking, seulement 21% des hôteliers profitent de ce droit ! 8 hôteliers sur 10 sont aussi chers sur leur site (voire même plus chers) que sur Booking ...

On le voit bien, même dans des pays qui comme en France ont institué cette liberté tarifaire (en opposition aux anciennes clauses de parité tarifaire imposées par les OTAs), les hôteliers ont encore du mal à jouer leur indépendance et prioriser leur réservation directe ...

En même temps, il faut le dire, pour Booking comme pour l'hôtelier qui ne compte que sur le trafic en ligne, générer du trafic direct sur son site et son propre moteur de réservation est un enjeu colossal. Un enjeu qui en cache un de taille plus importante encore ...

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L'OTA est l'arbre qui cache la forêt

L'une des dispositions qu'entend prendre l'UE à travers la définition de ces nouvelles règles "digitales" est, entre autres, de promouvoir l'émergence de plateformes de distribution alternative ... aux OTAs.

En France, par exemple, il a été évoqué le projet de créer un "Booking à la française". Dans l'esprit de ses promoteurs, cela signifiait un OTA d'un genre nouveau, aux règles économiques plus respectueuses des relations entre la plateforme et les hôteliers, peut-être même basé sur un autre rapport que le paiement d'une commission ... L'enjeu est de taille car, pour ce nouvel entrant comme pour Booking, la condition pour s'imposer est de générer du trafic sur son site et, pour cela, il faut en passer par ... Google.

Car, en effet, c'est bien par ce mastodonte que tout commence pour la préparation d'un voyage. Booking et Expedia le savent très bien pour investir (en temps normal) un cumul de 13 Milliards $ chez Google en achats de mots clés et autres liens sponsorisés. Sans Google, aucun mastodonte ne pourra émerger. Et inutile d'imaginer, pour Google, générer du trafic à des fins de réservation hôtelière sans rien gagner au passage: le voyage est sa première source de revenus publicitaires...

Eliminer un acteur comme Booking ne règlera donc pas tout, bien au contraire, puisqu'il faudra bien, in fine se confronter à la toute-puissance de Google qui verra là une occasion inespérée de mieux "monétiser" son trafic et, même, de compenser le manque-à-gagner que les "futurs démantelés" n'iront plus lui payer.

Démanteler un acteur comme Booking n'a donc pas de sens si, comme nous le disons, dans la chaîne de valeur, il n'est que l'arbre qui cache la forêt ...

Ce n'est pas demain la veille

Les intentions de l'UE sont plus-que-louables (et notamment, quand on raisonne hors du seul champ du voyage en ligne) et il faut accompagner ces réformes qui 1) vont mettre du temps à se mettre en oeuvre et 2) en cas de contentieux, n'aboutiront à des démantelements avant des années.

La tout-puissance des OTAs restera donc une réalité pour de nombreuses années encore avec laquelle il va falloir composer. Mettons donc à profit tout ce temps pour être "focus" sur ce que vous pouvez maîtriser :

  1. est-ce que j'ai fait le nécessaire pour bien me vendre en direct ?
  2. est-ce que j'ai compris comment gérer une relation équilibrée avec les OTAs ?
  3. est-ce que j'ai vraiment besoin de payer des cotisations et des frais à des intermédiaires qui ne me rapportent plus grand chose ? Ces dépenses ne seraient-elles pas mieux employées dans mon marketing direct et l'acquisition de clients en direct ?

Voilà les questions essentielles à se poser et l'attitude à adopter : garder la main sur son destin plutôt que de s'accrocher à des chimères et garder la foi dans votre succès !

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