Le chèque est-il l'avenir de la communication des territoires ?
Cet été, de nombreuses destinations ont créé des chèques pour attirer des vacanciers chez les pros de leur territoire. Au-delà du buzz de ces actions, il est fort probable que cette méthode devienne désormais une arme à part entière de l'arsenal marketing des destinations ... et pas seulement, en période de covid...
Le covid et ses conséquences ont totalement rebattu les cartes dans toutes les dimensions du tourisme et des loisirs:
- les pros se sont digitalisés à vitesse Grand V,
- les voyageurs ont transformé leur téléphone mobile (déjà grand témoin de leurs vacances avec les fonctions photo) en moteur de réservation, en guide "local" (GPS et Google My Business) et en moyen de paiement,
- les territoires ont revu de fond en comble - pour certains - leur façon d'employer leur budget au bénéfice de l'économie de leur destination.
Ce dernier point est important car il pose la question du rapport - ou, disons-le, pour être plus direct - du Retour sur Investissement (ROI) des actions de communication engagées jusque là au nom des territoires. À y regarder de près, depuis des années, ce sont des centaines de millions d'euros qui ont été employés dans des créations de logo, de marques territoriales, de campagnes TV ou sur les réseaux sociaux, etc ... des sommes en constantes progression encouragées par la concurrence, souvent incongrue, que se livrent sur les mêmes marchés des destinations voisines de quelques kilomètres seulement.
Aperçu (partiel) des marques territoriales créées en France (source : http://www.marketing-territorial.org/)
Certaines destinations ont changé de "religion"
En prévision de l'été dernier - que d'aucuns jugeaient probablement très chaotique - de nombreux territoires ont changé de braquet. Peu ou proue, se sont dégagées trois tendances.
La première était de faire comme si de rien n'était et de maintenir les plans promos prévus pour le printemps en vue de booster les réservations de l'été. Imaginez un Club Med ou un Pierre & Vacances maintenir ses investissements publicitaires comme si de rien n'était ... En réalité, peu de destinations ont pris ce risque car trop d'inconnues pesaient sur les dates de déconfinement et sur les conditions dans lesquelles allaient se dérouler les vacances estivales. Le maintien de ces gros budgets serait revenu à "jeter l'argent par les fenêtres". Et à rendre des comptes à des pros, sur le terrain, asphyxiés par une situation des plus oppressantes.
Investir le digital, oui ... mais en étant des plus agiles !
La seconde tendance a été de décréter des pauses budgétaires (et salutaires) ou des virages marketing à 180°. C'est le cas du Morbihan, dans le Top5 des destinations françaises, qui a illico négocié l'annulation de sa campagne TV nationale (plusieurs centaines de milliers d'euros) pour se repositionner sur le marché "local" sous forme d'affichage "classique" et de relais massifs sur les réseaux sociaux: "Notre démarche s'est voulue hyper-réactive. Dès que l'on a perçu que le marché serait essentiellement local, on a repositionné nos budgets sur la promotion à destination de nos clients locaux et extra-locaux. On a investi les affiches "traditionnelles" et on s'est jeté à corps perdu dans les réseaux sociaux pour pousser nos destinations et les offres de nos pros auprès des différentes communautés de voyageurs et d'amoureux de la Bretagne" souligne Patrick Levy, le CEO de Morbihan Tourisme. Après le succès de cette stratégie estivale, l'action s'est poursuivie "sur l'arrière-saison" en élargissant la cible au marché national (qui, à l'époque, pouvait se déplacer sans trop de contraintes partout en France). Résultat ? Le Morbihan s'est ainsi classé première destination française sur les réseaux sociaux, devant l'Auvergne (grande destination de l'été 2020) et Savoie Mont Blanc (autre best seller post-premier-confinement). Il faut dire que l'année 2020 a été très concurrentielle: sur les 3 principaux réseaux (facebook, instagram et twitter), 617 destinations françaises (rien que ça !) se livrent une lutte de tous les instants pour s'attirer les grâces des voyageurs. Là aussi, preuve est faite que non seulement le tourisme est digital mais que le digital n'a d'intérêt que pour ceux qui sont agiles et réactifs...
Pour le Morbihan, le mix pour sauver l'été 2020 a reposé sur des campagnes à visées locales et extra-locales (l'investissement national et international a été stoppé en prévision d'un marché "bloqué") et sur l'arrière-saison.
Un ROI indiscutable pour la première fois
La troisième stratégie (qui n'est pas incompatible avec la première mais forcément limitée par l'arbitrage des moyens financiers) a été de réorienter les budgets promotionnels vers des actions "purement commerciales". Ces actions ont consisté à émettre des "chèques" d'une valeur allant de 50 à 300€ (selon les destinations) en remboursement d'une partie du séjour (ou de l'activité) chez un pro de la destination. La promesse était simple: "Réservez chez un de nos pros et nous vous remboursons 100€ sur présentation de la facture de votre séjour".
Ce genre de stratégie est très novateur chez les autorités du tourisme: pour la première fois, l'argent passe directement entre les mais du voyageur (et du professionnel !). Et, miracle (comme dans la grande distribution depuis des décennies avec ses bons promos et ses bons d'achat), ça marche ! En tous cas, à la différence d'une campagne publicitaire très généraliste, le calcul du fameux retour sur investissement est désormais, non seulement possible, mais incontestable puisque l'argent est versé en contrepartie de la preuve d'une réservation chez un pro de la destination.
Selon le département des Charentes (ex-Charente et Charentes Maritimes), il est démontré que "1€ investi en chèques-cadeaux a rapporté 13€ à l'économie touristique locale, directement chez les producteurs concernés". Dans ce département hautement touristique, 8400 bons d'une valeur de 100€ ont permis de rembourser une partie des vacances aux clients de la destination. Selon Gallic Guyot, Directeur Exécutif de Charentes Tourisme: "35% des bénéficiaires de l'opération sont même venus dans les Charentes pour la première fois !" À la différence d'autres destinations qui ont réservé ces chèques aux "soignants" (comme "Le Repos des Héros" lancé par Béarn Pays Basque Tourisme), les Charentes, comme le département du Gard d'ailleurs, ont ciblé tous les types de clients. Les deux stratégies poursuivaient deux objectifs : faire parler de la destination et rapporter des réservations à leurs pros. Dans les deux cas, elles ont parfaitement bien fonctionné.
En région PACA (désormais dénommée "Sud"), le marché local a, lui aussi, été stimulé par le versement de chèques vacances d'une valeur de 500€ aux salariés résidant dans la région, "ayant travaillé au contact direct du public durant la période de confinement et dont le quotient d'allocations familiales était inférieur ou égal à 1 000 euros". Cette mesure s'accompagnait d'une autre innovation: les fonds étaient crédités sur la nouvelle application Chèques Vacances Connect (lancé par l'ANCV). Totalement dématérialisé, le "CVCo", en jargon technique, a permis une distribution rapide des fonds aux bénéficiaires (qui les ont récupéré sur leur mobile) et, surtout, d'un reversement ultra-rapide aux professionnels concernés (car il n'y a plus de traitement "papier").
Une solution pour booster, pas une perfusion
La distribution de chèques est une solution redoutablement efficace ... mais, elle n'est pas "La solution miracle" et sa généralisation est quasi-impossible, sinon impensable. L'urgence de l'été 2020 a dicté cette stratégie à la fois défensive et offensive. Elle a permis aux destinations de comprendre que cette arme doit désormais compter dans leur arsenal d'actions marketing.
On n'invente rien: dans la grande distribution, des opérations de ce type (certes, financées par les fournisseurs) permettent de booster certaines périodes de l'année où la consommation est plus compliquée, où le consommateur est plus réticent à dépenser son argent. Il n'est donc pas interdit de croire que ces opérations se multiplieront, à certaines périodes de l'année, même après le retour à la normale post-covid, car leur efficacité est démontrée (versus des publicités aux retours impossibles à quantifier).
Encore faudra-t-il "taper juste" et monter des opérations qui ciblent les bons publics et les bons marchés: c'est là aussi que devra compter l'expertise des DMOs sur la connaissance de la clientèle de leur destination.
Les pros, de leur point de vue, sauront s'associer à ce genre d'opérations et, en quelque sorte, ils pourront même "partager l'addition": on peut imaginer que, dans un futur proche, lorsque 100€ seront "offerts" à un voyageur, la moitié sera "apportée" par le pro lui-même, sous forme d'une réduction qui lui coûtera bien moins cher qu'une commission versée à un OTA. A charge pour la destination d'investir un peu plus de son côté dans la promotion de ces opérations commerciales sur les réseaux sociaux, notamment. Mais, là aussi, grand avantage, le ROI (Retour sur Investissement) sera immédiatement mesurable: combien ont été investis, combien a-t-on rapporté aux pros ? Qui a gagné quoi versus des réservations qu'il n'aurait pas obtenu à cette période ou sur ces marchés ou si ces réservations étaient passées par des OTAs ? De nouvelles questions (ô combien exaltantes) vont désormais se poser entre pros et DMOs ... mais, cette fois-ci, sur du concret et sur une logique de retours vraiment mesurables.
Intensification des actions à l'approche de l'été 2021
Ces différentes mesures démontrent qu'il est possible de mener des actions dont le bénéfice est immédiat pour l'économie locale et les pros du tourisme et des loisirs. Pendant des années, en effet, les budgets de communication ont perdu en efficacité du fait de la concurrence, de l'inflation des coûts publicitaires et il a été de plus en plus compliqué de mesurer le retour sur investissement de ces campagnes comme le ferait un "privé".
Pour 2021 la question se pose donc de savoir si ces stratégies seront reconduites ou pas ou si les destinations vont revenir aux méthodes plus "traditionnelles". Le contexte de l'été prochain sera assez proche de celui de 2020 et il devrait donc encourager ce genre d'initiatives plutôt qu'un retour aux dépenses publicitaires "à l'aveugle".
Par ailleurs, avec la crise, beaucoup d'élus (qui financent et/ou dirigent ces structures) ont redécouvert que le tourisme c'était avant tout de l'économie et donc que leur rôle était de faire se rencontrer l'offre et la demande plus que de créer des marques ou d'enrichir les medias publicitaires sans retour quantifiable. Investir sur des actions proprement commerciales n'est pas un péché ni un aveu de faiblesse: c'est reconnaître que la seule action valable en tourisme repose sur le fait d'apporter "du business" à ses entreprises locales. Elles sont l'offre et ont, pour cela, intrinsèquement un grand pouvoir d'attraction mais elles ont besoin d'amorcer leur marché et d'être "boostées" à certains moments de l'année, sur certaines cibles de clients ... et pas seulement en période de crise.