Traque à la fraude fiscale : les robots des impôts à l'assaut des annonces publiées sur les grands portails

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Le débat en cours sur la loi des finances 2020 prévoit un contrôle des listings publiés sur les grands sites comme LeBonCoin. Objectif : identifier plus largement les annonces qui pourraient donner lieu à des fraudes fiscales ...

Le débat sur le projet de loi de finances 2020 suscite beaucoup d'émoi au sujet de l'article 57 qui prévoit un recours à l'intelligence artificielle par les limiers de Bercy pour cerner les fraudes fiscales opérées via les places de marché comme LeBonCoin, cité par les parlementaires.

Si cet article était adopté en l'état par les députés, le fisc pourrait lancer des algorithmes puissants à l'assaut de ces plateformes pour identifier plus de cas de fraudes aux impôts. En 2018, le recours a l'intelligence artificielle a concerné 18% des contrôles. En 2020, si cet article passait, elle irait jusqu'à traiter 35% des ciblages de contrôles fiscaux.

L'intelligence artificielle permet, en effet, de multiplier les "sondages" sur différents sites (y compris, les réseaux sociaux) à la recherche d'indices qui, une fois certains paramètres saisis par les ingénieurs qui la pilotent, permettent d'identifier des cas de fraudes potentiels. Dans le domaine du tourisme, cela porte évidemment sur la location de logements qui ne serait pas déclarée au final ou sur la vente de prestations qui échapperaient à la TVA, l'impôt le plus fraudé en France.

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En matière de tourisme, avec l'arrivée massive des locations de vacances sur des portails aussi populaires que AirBnB ou LeBonCoin, les revenus en ligne se sont multipliés pour de nombreux propriétaires ... et cela, au grand dam des professionnels de l'hébergement que sont les hôteliers et les propriétaires de maisons d'hôtes. Mais aussi, au grand desespoir des services fiscaux qui imaginent bien qu'une partie des transactions réalisées sous le couvert de ces annonces échappent, au final, à l'impôt sur le revenu (et ou à la TVA) ...

Selon les parlementaires spécialisés sur le sujet, des sites d'annonces comme LeBonCoin sont l'espace idéal pour traquer les fraudeurs à l'impôt sur le revenu. Noyée dans la masse, une annonce est difficilement repérable par un fonctionnaire des impôts et il lui est très difficile de reconstituer l'activité d'un loueur : combien de semaines ou de nuitées a-t-il mis en location, en fonction de l'état d'occupation de son calendrier, combien en a-t-il réellement vendu ... et, au final, combien en a-t-il réellement déclaré aux impôts ?..

Le weekend dernier, LeBonCoin affichait 101.324 annonces de locations de vacances sur son site !

Pour les services de Bercy et les parlementaires de la commission des finances à l'Assemblée Nationale, passer ces annonces au tamis de l'intelligence artificielle et les croiser avec les données déclarées par les propriétaires dans leur déclaration de revenus (ou de collecte de la taxe de séjour) est à portée de mains ou, plutôt, de code informatique.

Si l'article 57 de la loi de finances était voté en l'état, les "robots contrôleurs des impôts" de Bercy pourraient donc se lancer à l'assaut de sites comme LeBonCoin (cité par les parlementaires) ou AirBnB pour identifier les soupçons de fraudes cachés derrière certaines annonces de locations en ligne. Et, une fois le soupçon confirmé (après avoir croisé différentes sources; y compris les réseaux sociaux), déclencher un contrôle fiscal directement auprès du propriétaire en transmettant l'information aux contrôleurs (humains, cette fois-ci) de la direction locale des services fiscaux.

Les robots "nouvelle génération" ne servent pas qu'à préparer d'excellents cocktails. Ils pourront aussi déclencher (et conduire) un contrôle fiscal sur les locations de vacances, par exemple. Photo by David Levêque / Unsplash

Le débat est, toutefois, encore particulièrement houleux au sujet de ce fameux article 57 que certains députés (notamment, ceux du Modem) qualifient de "liberticide" car trop invasifs dans la vie quotidienne des citoyens et, surtout, trop systématiques. Pour ces députés, qui pensent être rejoints en ce sens par le Conseil Constitutionnel, le contrôle fiscal doit être "chirurgical" et défini au cas par cas par des contrôleurs (en chair et en os) même si ces députés reconnaissent que l'intelligence artificielle peut aider à dégrossir les soupçons les plus flagrants.

Selon les syndicats des fonctionnaires du fisc, le recours à l'intelligence artificielle et donc au contrôle systématique et massif est dangereux : non seulement, pour ces fonctionnaires, il risque de faire peser des soupçons sur des citoyens qui ne fraudent pas mais, de plus, cela diminue considérablement le regard modérateur qu'un contrôleur humain peut avoir sur l'examen d'un dossier fiscal. Pour une fois donc, contrôleurs et contrôlés sont du même avis...

Reste que le ministre des comptes publics demeure mobilisé sur cet article 57. Promis en novembre 2018 par Gérald Darmanin, ce dispositif viendra compléter le logiciel CFVR (ciblage de la fraude et valorisation des requêtes) de Bercy qui veut s'appuyer de plus en plus sur l'intelligence artificielle.

Validé par la CNIL, ce dispositif pourrait donc se renforcer sous une forme plus "industrielle" et voir le jour juste après le vote de la loi de finances 2020. Toutefois, le rapporteur du projet de loi, le député Joël Giraud, a proposé des "atténuations" du dispositif. Tout d'abord, il serait placé dans un cadre "expérimental" et son champ d'action serait limité à la recherche des délits majeurs, comme les activités occultes ou de contrebande, ainsi que les fraudes liées aux domiciliations fiscales frauduleuses. Mais, selon l'adage de "Qui peut le plus ...", nul doute qu'à terme ce dispositif sera étendu à des délits plus mineurs. Car, en la matière, le recouvrement de petits délits fait aussi les grandes rivières de rentrées fiscales...

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