Parité tarifaire: l'Autorité de la Concurrence fait le point

Saisie par les syndicats hôteliers et le groupe Accor contre les pratiques des OTAs (et de Booking en particulier), l'Autorité de la Concurrence a publié, hier, un bilan d'étape mi-figue, mi-raisin ...

1) Les faits

  • le 2 juillet 2013, les syndicats hôteliers et le groupe Accor saisissaient l'Autorité de la Concurrence pour "dénoncer les clauses anticoncurrencielles mises en oeuvre par les OTAs". En ligne de mire, notamment, les clauses de parité tarifaire imposées par Booking qui interdisaient à un hôtel de vendre ses chambres à un prix inférieur sur son site ou sur ceux d'un OTA concurrent de Booking,
  • le 21 avril 2015, l'Autorité française de la Concurrence adoptait une décision sur les pratiques - jugées illégales - de parité tarifaire et de prix imposées par Booking aux hôteliers. Pour elle, en permettant aux hôtels d'afficher des prix différents sur les OTAs, cette décision devait permettre à de nouveaux OTAs d'émerger face à Booking et donc, inciter Booking à baisser ses taux de commission. Dans cette décision toutefois, rien n'interdisait à Booking d'imposer une paritaire dite "restreinte", soit le fait d'interdire à un hôtelier de vendre moins cher sur son site que sur la plateforme leader.
  • le 15 mai 2015, Booking publiait une Charte des Bonnes Pratiques (voir notre article à ce sujet) dans laquelle la plateforme s'engageait à respecter l'ensemble des dispositions énoncées par les autorités françaises à compter du 1er juillet 2015.
  • le 6 août 2015, le parlement français adoptait la Loi Macron qui reprenait l'ensemble des dispositions prises devant l'Autorité de la Concurrence et, en plus, interdisait aussi le principe de parité tarifaire entre le site d'un OTA et celui d'un hôtelier. En clair, un hôtelier pouvait désormais afficher des prix inférieurs sur son site (sans être obligé de faire adhérer les clients à son programme de fidélité). Cette loi a fait des émules en Europe puise l'Allemagne a voté un texte similaire le 30 janvier 2016.

2) Un bilan difficile à établir

Le bilan publié hier par l'Autorité de la Concurrence intervient un peu plus d'un an après la mise en oeuvre des nouvelles pratiques par Booking et les autres OTAs.

Mais, selon l'Autorité, ce bilan semble arriver trop tôt dans le temps pour démontrer des résultats significatifs et cela, en raison de deux facteurs principaux: "Il est ainsi possible que l’étude de la situation actuelle du marché ne révèle pas l’intégralité des effets des engagements. En effet, ceux-ci peuvent ne pas se matérialiser immédiatement après leur entrée en vigueur".

Et de préciser aussi que "s’ajoute, au cas d’espèce, un contexte exceptionnel : celui des attentats terroristes qui ont frappé la France et sévèrement affecté le secteur touristique." Ce qui semble rendre plus difficile l'analyse de la situation et des résultats.

Enfin, selon l'Autorité, dresser un bilan sur les engagements pris en juillet 2015 est rendu plus difficile encore en raison de l'évolution du cadre juridique puisque, entre temps, est intervenue le vote de la Loi Macron qui faisait sauter le dernier verrou de parité tarifaire et "dispose que « l'hôtelier conserve la liberté de consentir au client tout rabais ou avantage tarifaire, de quelque nature que ce soit, toute clause contraire étant réputée non écrite ». Dès lors, comme le rappelle l'Autorité, "l’adoption de ces dispositions a conduit Booking.com à supprimer les clauses de parité tarifaire, y compris restreinte, de ses contrats standards avec les hôteliers".

L'Autorité prévient donc les lecteurs de son rapport: ce dernier n'a que peu de recul et les résultats sont "distordus" par des évènements exceptionnels qui ont complexifié l'analyse.

3) Les commissions n'ont pas baissé

Selon le rapport de l'Autorité et "selon l’ensemble des parties, les taux effectifs de commissions de Booking.com perçues sur les nuitées hôtelières vendues n’auraient pas baissé depuis l’entrée en vigueur des engagements et de la loi Macron."

Il faut rappeler, en effet, que selon l'Autorité: "La liberté tarifaire et commerciale acquise par les hôteliers devait leur permettre d’octroyer de meilleurs prix et/ou de meilleures disponibilités aux OTA qui leur offraient un meilleur service qualité/prix. En retour, cette différenciation des conditions commerciales devait induire une pression concurrentielle entre les OTA, susceptible de les conduire à baisser leurs taux de commission et/ou à augmenter la qualité des services offerts aux hôtels afin de conserver leur attrait pour les consommateurs."

Pour les hôteliers, notamment l'UMIH et le GNC, le volume des commissions prélevées aurait même franchi un nouveau cap avec un total de 500 Millions d'euros perçus par Booking auprès des hôtels français, en 2016.

Ces chiffres - que Booking n'a pas confirmé - résulteraient de sa nette croissance dans le poids des réservations effectuées pour le compte des hôteliers : toujours selon les syndicats, sa part de marché serait de l'ordre de 60 à 70% des réservations en ligne en 2016.

Toutefois, selon PhocusWright, le spécialiste du secteur, sa part de marché serait plutôt passée de 40% en 2015 à 44% en 2017.

Il faut quand même rappeler que les dispositions françaises avaient pour but de peser sur la baisse des taux de commission et pas forcément sur les volumes des commissions perçues.

Pour Booking, qui a communiqué ses conclusions intermédiaires à l'Autorité, "le maintien de ses taux de commission s’explique par le fait qu’il offrirait le meilleur rapport qualité/prix du marché aux hôtels" et que cela se traduit par la poursuite de ses investissements marketing mais aussi la croissance de son trafic et de ses volumes de réservation qui satisfont ses clients hôteliers.

Baisser ses commissions consisterait donc à baisser la qualité de ses services; ce que n'envisage pas Booking.

La (dis)parité tarifaire n'a pas handicapé Booking

Selon le rapport intermédiaire de l'Autorité, "en outre, aucun élément présenté dans le cadre de ce bilan ne tend à indiquer que cette différenciation tarifaire aurait entraîné une pression concurrentielle accrue sur Booking.com."

Et de rajouter que "à cet égard, les éléments transmis à l’Autorité dans le cadre de ce bilan ne donnent pas de signe visible d’un développement de la concurrence entre OTA, en fonction d’autres critères plus qualitatifs ou quantitatifs (parts de marché, qualité de l’offre, etc.)".

**En clair, le rapport précise bien que le fait d'avoir permis aux hôtels d'afficher des tarifs différents d'un OTA à l'autre avait eu - pour le moment - aucun effet d'aiguiser la concurrence entre eux.

Booking n'a donc pas eu besoin de baisser ses taux de commission pour obtenir un meilleur inventaire ou de meilleurs prix de la part des hôteliers.

# Les ventes directes n'auraient pas progressé

Ce point est crucial car la question - pour un hôtelier - n'est pas d'éliminer les OTAs de ses sources de vente mais bien d'en dépendre le moins possible.

Pour cela, développer les réservations directes, reste le seul et unique moyen de progresser en terme d'indépendance commerciale et économique.

Or, à la lecture des contributions des syndicats auprès de l'Autorité, il semble que les "*hôteliers estiment que les engagements et la loi Macron n’ont pas permis le développement de leurs canaux de réservation en direct, en particulier via les programmes de fidélité des chaînes hôtelières. Toutefois, les éléments communiqués à l’Autorité de la concurrence dans le cadre de ce bilan ne permettent pas d’apprécier le développement des offres de fidélité des chaînes hôtelières, ni d’évaluer l’efficacité des campagnes de promotion mises en œuvre par les syndicats hôteliers afin de développer la réservation en direct auprès des hôtels.*"

Ainsi, selon un sondage réalisé par le SYNHORCAT auprès de ses adhérents, sur les effets de la Loi Macron en terme de maîtrise de leur distribution directe:

  • 69% déclarent n'avoir rien vu changer depuis 2015,
  • 25% considèrent que la loi a eu un effet positif voire très positif,
  • 5==% déclarent que la loi a eu un effet négatif== (lequel ?) voire très négatif.

Ainsi, comme le souligne le bilan d'étape: "selon ces mêmes chiffres, la part des ventes en ligne réalisée via les sites internet des hôtels ne semble pas avoir augmenté alors même que la loi Macron, en offrant une plus grande liberté commerciale aux hébergements devait leur permettre de reconquérir une partie de leur clientèle.

Là aussi, on peut s'interroger: les hôteliers ont-ils vraiment mis en pratique ces nouvelles libertés que leur offrait la loi ? De notre point de vue, non ! Soit pour des raisons techniques (leur plateforme n'est pas adaptée), soit pour des raisons d'organisation et de temps.

L'Autorité entend s'autosaisir

On le voit, et on en comprend les raisons, ce rapport d'étape ne dit pas grand chose sur les effets des dispositions prises successivement:

  • trop peu de recul,
  • les données présentées par les deux parties (hôtels et Booking) ne semblent pas très étayées de l'avis de l'Autorité,

Toutefois, la croissance galopante de Booking et les effets induits que dénoncent les hôteliers laissent dire à l’Autorité de la Concurrence qu'elle "==restera particulièrement vigilante sur l’état de la concurrence dans ce secteur et n’exclut pas de s’autosaisir si l’évolution concurrentielle du secteur le nécessite et si de nouvelles pratiques potentiellement anticoncurrentielles sont mises à jour."==

Pour l’Autorité - outre la concurrence entre OTAs et la pression des commissions exercées sur les comptes des hôtels - *il y a aussi une mission de surveillance au profit du consommateur qu'elle se doit d'accomplir afin que "les consommateurs puissent effectuer des choix éclairés et bénéficient d’une information loyale des OTA, ne faussant pas la concurrence entre les hôtels".

Pour l'heure donc, rien de neuf sous le soleil: un nouveau bilan d'étape est prévu néanmoins au 1er juillet 2017.

Au plan européen, les homologues de l'Autorité de la Concurrence continueront de se réunir pour analyser la situation à l'échelle de tous les pays de la communauté. Il est donc possible, qu'avec plus de données, les rapports publics deviennent plus parlants.