Les locations de vacances prises entre deux feux

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Depuis ces derniers mois, les locations de vacances sont au coeur de l’actualité et des enjeux du voyage en ligne: avec la croissance ininterrompue de AirBnB (et des plateformes du même type), elles sont devenues un enjeu central à la fois pour les OTAs et les autorités publiques. Au point qu’elles semblent aujourd’hui prises en étau entre de nouvelles contraintes réglementaires et de nouvelles obligations commerciales … Sauront-elles s’adapter ou vont-elles revenir à l’ancien temps, celui où elles comptaient pour une catégorie « secondaire » dans l’univers du tourisme ...

Pendant longtemps, les locations de vacances ont vécu « sous les radars ». Personne ne se souciait trop de leur présence et elles étaient souvent considérées comme un domaine « secondaire » du tourisme. Derrière cette appellation générique, on loge aussi bien les appartements et maisons secondaires proposés par les particuliers que les gîtes ruraux (avec bannière ou non). Avec l’avènement de AirBnB et HomeAway, les locations de vacances sont devenues une cible de choix pour les grandes plateformes qui les ont placées au coeur même de leur stratégie. Mais aussi des autorités publiques qui multiplient les décisions à la fois pour répondre à la pression des hôteliers mais aussi pour récupérer une part de ce gâteau colossal.

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La première contrainte est commerciale

Oui, la première contrainte est bien commerciale et non réglementaire car tous les pays n’ont pas encore pris de mesures spéciales comme en France, dans certains états américains, en Espagne ou en Allemagne. Partout ailleurs, c’est-à-dire dans le reste du Monde, c’est bien la logique commerciale qui l’emporte d’abord. Et cette logique, c’est avant tout celles des OTAs, AirBnB, Booking et HomeAway en tête.

L’enjeu de ces 3 acteurs est de transformer ce milieu qui a souvent été dominé par le simple modèle économique de l’annonce: un particulier possède un appartement ou une villa, il exploite périodiquement un gîte … il décide de payer une annonce (de 200 à plusieurs centaines d’euros) pour se publier sur des sites comme HomeAway ou Abritel (c’est le même groupe). Une fois son annonce publiée, ce dernier reçoit des demandes par mail ou par téléphone et il conclut lui-même le contrat de location avec son client. Clairement, ce modèle a vécu ! Et ce, depuis l'émergence de AirBnB. Le champion des locations de vacances en ligne a progressivement imposé la « réservation instantanée » et a transformé cet univers: son site n’est pas un simple portail d’annonces, on peut y réserver une villa ou un appartement aussi facilement qu’une chambre d’hôtel, sans passer par un formulaire ou un échange téléphonique avec le propriétaire … Pour les logements qui ont migré sur ce modèle, les réservations s’envolent littéralement. Il n’en fallait donc pas plus pour que ce modèle se généralise sur tout « l’inventaire » de AirBnB et que ses concurrents (HomeAway en tête) fassent de même et s’engagent sur ce changement irréversible. Booking, de son côté, n’est pas en reste puisque, depuis l’origine, une location de vacances qui veut se vendre sur son site n’a pas d’autre choix que d’accepter la « réservation instantanée ».

En conclusion, pour un propriétaire de location de vacances, dans quelques mois, l'alternative sera la réservation instantanée ou la « disparition des radars » puisque les plus grands portails vont progressivement exclure de leurs catalogues les adresses qui n’offriront pas ce nouveau service à leurs clients.

Tous les propriétaires sont-ils en mesure de pratiquer la réservation instantanée pour rester visibles sur les OTAs et préserver leurs revenus futurs ? Cela implique une gestion plus active de leur planning, des tarifs actualisés en permanence et une gestion différente de leurs encaissements (postpaid, prépaid, etc …) ? Il leur faudra bien y passer pour ne pas être exclus des portails les plus générateurs de locations (car les plus visibles sur le web) ou alors confier la gestion de leur bien et de leurs locations en ligne à des gestionnaires de propriétés et de distribution. Peut-être des opportunités nouvelles pour les agences immobilières ou les centrales de réservation locales ou encore ces nouveaux professionnels que sont les « concierges 3.0 » ?== Leur métier est de prendre en charge votre « annonce » et votre planning, vous distribuer sur ces canaux, accueillir même vos clients une fois arrivés sur place … en contrepartie d’un forfait ou d’une commission globale (qui inclut ou non celle des OTAs).

En tous les cas, gérer soi-même sa location en « réservation instantanée » ou la confier à un prestataire spécialisé (contre rémunération) seront les deux seules possibilités offertes aux loueurs d’adresses de vacances d’ici à la fin de cette année.

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La 2ème contrainte est réglementaire

La semaine dernière, le tribunal d’instance de Paris a condamné AirBnB pour avoir accepté un bien que le « titulaire » (en réalité, un locataire et non pas un propriétaire) n’avait pas le droit de sous-louer. D’autres annonces du géant californien sont dans le collimateur des autorités et de la justice française pour ne pas respecter les autres dispositions réglementaires; à savoir, ne pas louer un même bien plus de 120 jours, afficher obligatoirement le numéro d’immatriculation de ce loueur dans la page AirBnB (à ce jour, 45000 annonces sur 54000 diffusées sur la seule ville de Paris ne respecteraient pas cette obligation légale).

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Ces contraintes sont actuellement limitées (en France) dans les villes de plus de 200.000 habitants mais il est plus que probable que le législateur étende cette obligation à toutes les villes dans les prochains mois. C’est déjà le cas pour l’immatriculation du loueur et cela devrait être le cas pour la diffusion de leur numéro d'immatriculation sur AirBnB tout comme la collecte, à la source, des taxes de séjour facturées aux occupants.

Ces mesures ont d’abord été dictées sous la pression des syndicats hôteliers qui jugent insupportable la prolifération de cette nouvelle concurrence de biens en location dans les villes où ils exercent. Elles ont aussi été motivées, dans des villes comme Barcelone, par le souci de voir un second marché immobilier se développer au détriment des habitants de la ville. A Barcelone, certains immeubles ont été acquis et configurés en appartements uniquement réservés à la location sur AirBnB au grand dam des habitants qui ont de plus en plus de difficultés à trouver des biens à louer à l’année.

Mais, l’appât du gain fiscal devrait accélérer la prise de nouvelles mesures réglementaires comme l’extension à tout le territoire de la collecte en amont de la taxe de séjour. Cette obligation devrait s’imposer rapidement car la multiplication des locations de vacances et l’inflation des réservations pourrait rapporter beaucoup plus que la seule taxe de séjour collectée par les hôtels et les maisons d’hôtes. À ce jour, selon plusieurs spécialistes, seulement 10% de la taxe de séjour récupérable serait réellement collectée; l’idée de la récupérer intégralement via les plateformes (où se concentrent désormais le gros des réservations) semble germer à vue d’oeil.

Une double contrainte qui oblige les propriétaires à revoir leurs positions

Ces trois dernières années, l’émergence des plateformes a créé un véritable appel d’air, une colonne d’aspiration, qui a vu apparaître des dizaines de milliers d’annonces de locations saisonnières sur tous les territoires. Ces annonces, pour la plupart, existaient déjà soit parce qu’elles étaient gérées par des agences immobilières, soit par des centrales de réservation locales. En plus des maisons d’hôtes (qui sont des locations professionnalisées) et des gîtes (pros et semi-pros mais, surtout, ne fonctionnant pas toute l’année), des dizaines de nouvelles adresses sont apparues sur la toile et ont généré des revenus en ligne toujours plus importants. La marche arrière semble donc littéralement impossible. Un propriétaire de location qui a « goûté » aux délices du web (plus facile à percer, plus simple à gérer … et des revenus nouveaux en contrepartie) va difficilement renoncer à ces revenus sous prétexte qu’il y a aura plus de contraintes. La semaine dernière, sur le stand Booking de WEM#9 (Voyage en Multimédia à Saint Raphaël), un chargé de compte Booking nous disait : * "Les loueurs viennent nous voir pour nous dire « on en veut plus » (de locations …) même s’il faut vous payer des commissions … »* C’est dire si l’usage a créé le besoin et si la possibilité de générer facilement des revenus en ligne a motivé de nouveaux comportements.

Certes, une part des propriétaires risque de se heurter à ces obstacles (ne pas vouloir gérer une plateforme de réservation, ne pas confier son bien à un gestionnaire, ne pas être repérable par le fisc en raison des obligations de déclaration …) mais il y a fort à parier que cette part sera minoritaire. Il existe, en France seulement, 3 Millions de résidences secondaires et 300.000 « locations de vacances » non identifiées pour 18.500 hôtels et 30.000 maisons d’hôtes … La distribution en ligne sera leur seul moyen de générer des revenus dans les prochaines années, contraintes ou non. De leurs côtés, les OTAs considèrent ce marché comme potentiellement plus rentable que celui de l’hôtellerie classique. Il faut donc s’attendre à les voir privilégier la conquête et l’exposition de ce nouvel eldorado dans leurs pages. Alors, les locations de vacances vont-elles s’adapter à ces nouvelles contraintes ?Il y a donc fort à parier que « oui » et qu'elles s’installent durablement dans le paysage commercial car aucun propriétaire qui a goûté à l’efficacité des OTAs ne compte voir réduire ses revenus et disparaître des seuls « radars" qui font désormais la loi: les OTAs eux-mêmes.