Pourquoi Airbnb s'apprête à lancer son propre programme de fidélité

On connaissait Genius, le programme de fidélité de Booking, puis OneKey, celui d'Expedia. Voilà désormais annoncé le futur programme de fidélité d'Airbnb avec, à la clé, des avantages qui tournent le dos au traditionnel système à points ...

Depuis cet été et les déclarations de Dave Stephenson, son Chief Business Officer (ou Vice-Président en charge du business développement), les choses semblent s'accélérer chez Airbnb. La plateforme serait même en train de finaliser son programme de fidélité; un nouveau système à récompenses qui pourrait surprendre par son côté "disruptif" selon les premières rumeurs. Après tout, ce serait normal pour une plateforme née au cœur de l'écosystème des Gafam, en pleine Silicon Valley !

Comme ses principaux rivaux, Booking et Expedia, Airbnb s'apprête donc à actionner un des leviers de croissance les plus efficaces dans l'univers du tourisme, la fidélité ! Aux US, d'ailleurs, c'est grâce à des programmes comme Bonvoy ou Honor que, respectivement, Marriott et Hilton parviennent à tenir tête aux OTAs en conservant une part majoritaire de réservations directes (en provenance des "abonnés"). Normal, dès lors, que la plateforme leader des locations de courte durée (qui n'a de cesse de s'aligner, et vice-versa, sur les approches de ses principaux rivaux) se lance aussi dans le loyalty system.

L’enjeu d'un tel lancement ? Donner aux voyageurs - c'est-à-dire, pas seulement ses guests habituels, mais tous les autres - une raison de réserver via Airbnb - y compris et, presque en premier lieu, pour des hôtels - et non de continuer à cumuler des points dans les chaînes hôtelières.

Car, pour Airbnb (et les autres OTAs), pas de quartier ! La résistance des chaînes américaines a joué son plein effet et, sur ce marché dominé par les réseaux, le seul moyen de gagner de nouvelles parts de marché est bien de se poser comme un programme aussi attractif, sinon plus, que celui des hôteliers.

Un désavantage compétitif évident

Airbnb le reconnaît lui-même : sans programme de fidélité, la plateforme est parfois réduite à devoir croître "avec un désavantage majeur par rapport aux OTAs concurrents et aux hôtels", selon l'expression de son Chief Business Officer.
Airbnb, qui a de grandes ambitions dans l'hôtellerie, ne pouvait donc pas se priver plus longtemps de ce levier presque magique.

Avec son virage "hôtels + expériences + services", Airbnb vise donc "à multiplier les opportunités de dépense des voyageurs" selon les analystes financiers qui suivent son titre depuis sa récente entrée en bourse. Selon un certain nombre d'observateurs, un programme fidélité bien pensé pourrait donc encourager des usages plus fréquents; voire l'arrivée de nouveaux clients plutôt orientés vers les hôtels que les locations "sèches". D'ailleurs, Airbnb a déjà commencé à tester les effets bénéfiques d'un programme consistant à offrir un crédit de 10 % quand on réserve un hôtel via l’app (États‑Unis / Royaume-Uni), un levier déjà pratiqué avec succès, depuis des années, par Booking et ses réductions pour des réservations mobiles, très souvent hôtelières, très souvent en dernière minute ... Ceci explique peut-être cela.

Le Blog elloha: les hôtels en ligne de mire pour Airbnb
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Le Blog elloha : Airbnb lance ses nouveaux services ... pour de bon !
Selon le blog du channel manager elloha, Airbnb passe à la vitesse supérieure avec ses nouveaux services : massage, chef privé, spa... Son ambition ? Offrir, désormais, bien plus qu’un logement.

Ce que le programme ne sera pas

Cependant, selon plusieurs sources, Airbnb refuserait, selon sa propre culture, à bâtir un programme qui ne s'appuie pas exactement sur le même modèle (classique) de ses concurrents. En clair, il n'y aura pas de logique "1  euros dépensé = x points". Selon ces mêmes sources, le dispositif privilégié serait plutôt une approche de type adhésion ou abonnement que des membres souscriraient (en payant, à l'image d'un Amazon Prime ?) pour bénéficier de privilèges exclusifs. L'idée de se constituer une une "cagnotte de points" à utiliser dans un délai convenu aurait donc été écartée depuis longtemps. Dans ce cas, à quoi ressemblerait donc ce modèle "disruptif" ?

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Un Genius à la sauce Airbnb ? Les travaux d'Airbnb devraient rapidement aboutir au lancement de ce (nouveau) programme de fidélité qui devrait ouvrir un nouveau front concurrentiel, certes avec les grandes chaînes hôtelières ... et avec Booking, le précurseur des OTAs en la matière, avec son programme Genius. À ce jour, cependant, Booking ne communique pas publiquement de chiffre officiel sur le nombre de ses membres, mais le programme est largement actif et intégré dans l’expérience utilisateur de la plateforme : toute personne ayant un compte Booking peut en devenir membre, et le niveau 1 est accessible dès l’inscription. Le programme compte trois niveaux — Genius 1, 2 et 3 — basés sur le nombre de "séjours" effectués (par exemple 5 séjours en deux ans pour atteindre le niveau 2, et 15 pour le niveau 3); une différence majeure avec le programme envisagé par Airbnb qui propose d'adhérer, en payant certainement, comme pour Amazon Prime. Les avantages pour les membres de Genius incluent une réduction de base d’environ 10 % sur les hébergements participants (et parfois sur les voitures de location) ; au niveau 2, cette remise peut monter à plus ou moins 15 %, avec des services additionnels comme petit‑déjeuner gratuit, le surclassement de chambre lorsque cela est possible, et au niveau 3 davantage d’avantages comme une remise jusqu’à 20 % et un service client prioritaire. Ces avantages sont automatiquement appliqués à la réservation d’un hébergement Genius (identifié par un label "Genius") sans code supplémentaire. Pour les hébergeurs adhérant au programme, les effets peuvent être éloquents ... Booking indique, en effet, que les partenaires Genius observent en moyenne +70 % de vues dans leurs résultats de recherche, +45 % de réservations et +40 % de revenus (avec le coût du rabais à leur charge). De plus, l’algorithme favoriserait les logements Genius dans le classement, ce qui génère un "effet billboard" évident et bénéfique même pour les chambres non réduites. Enfin, les clients Genius seraient souvent perçus comme plus stables car générant un taux d’annulation plus faible que les non-Genius. Toutefois, cet avantage a un coût : l’hébergeur assume la remise (généralement 10 % sur la chambre la plus demandée) en plus de ses commissions habituelles versées à l'OTA. Certes, le dispositif peut apporter plus de réservations ... mais il peut aussi compresser la marge nette et compliquer la stratégie de vente directe ou de différenciation tarifaire pour l'hôtelier ou la maison d'hôtes.

Contrairement à un programme à paliers comme dans l'hôtellerie (argent, or, platine…), Airbnb pourrait privilégier un seul statut ... mais très attractif, avec de réels bénéfices dès sa mise en place. Pour ses promoteurs, en interne, en offrant des réductions immédiates (à la Genius de Booking), le guest bénéficierait d'avantages instantanés plutôt que des bénéfices plus lointains, par exemple. Le statut d'abonné permettrait aussi de bénéficier d'accès exclusifs à des logements ou des expériences "Premium"; ce qui tendrait à donner un côté "retour sur investissement" certain à l'adhésion ... et confirmerait donc son futur côté payant. En dernier lieu, les abonnés seraient mieux "cernés" et bénéficieraient de propositions mieux ciblées en fonction de leurs recherches et de leurs centres d'intérêt et, ainsi, Airbnb pourrait s'assurer des taux de conversion plus élevés.

Lancer un tel programme n'est cependant pas sans complexité opérationnelle car gérer un tel programme de fidélité sur des millions d’hôtes indépendants (hôteliers et propriétaires individuels de locations de vacances, moins rompus à ces pratiques), avec des modèles économiques très divers, tient vraisemblablement d'un casse‑tête autant technique, que fiscal ou encore ... logistique. La gestion d'un "portefeuille d'avantages" n'est pas une partie facile pour un acteur mondial et l'IA ne sera pas de trop pour imaginer et faire tourner la "chambre de compensation" entre les différents prestataires touristiques (hébergeurs et pros des expériences) qui s'échangeront les bonus.

Car, en bout de ligne, le programme - pour réussir - devra compter sur la participation du plus grand nombre de propriétaires et, d'ici là, Airbnb devra rassurer sur le fait que les bénéfices du programme seront "justes", à la fois pour un simple appartement et une grande villa ou encore un boutique-hôtel.

Comme d'habitude, Airbnb pourrait donc ouvrir progressivement ce programme, sur ses marchés tests traditionnels que sont les US et le Royaume Uni avant de l'étendre à la France et aux autres gros porteurs européens. Cette phase lui sera certainement utile pour identifier les volumes d'expériences, de services et d'avantages qui pourraient s’intégrer dans le programme, mais aussi mettre au point la manière dont les bénéfices seront distribués entre voyageurs et professionnels et comment l’algorithme d'Airbnb gérera le système. En France et dans le reste de l'Europe où l'hôtellerie est à dominante indépendante, un tel système pourrait constituer une opportunité de croissance supplémentaire pour la plateforme. Elle pourrait aussi s'en servir pour fidéliser les membres des réseaux traditionnels de nos pays dont l'adaptation au digital aura été des plus poussives.