Booking a 6 mois pour "adoucir" son contrat avec les hébergeurs français

Le gendarme français de la concurrence, la DGCCRF, a officiellement enjoint Booking de modifier les conditions générales de prestations (CGP) que la plateforme applique aux hôteliers français. Pour les spécialistes de Bercy, ces conditions seraient contraires, pour partie, aux règlements européens visant à réguler les relations entre les plateformes en ligne et les professionnels du tourisme ... Booking a jusqu'à la fin de cette année pour adapter ses clauses contractuelles.

Le compteur tourne depuis la semaine dernière et il touchera à sa fin le 31 décembre prochain ... Au final, selon le droit français, Booking pourrait avoir à régler jusqu'à près de 70 Millions d'euros d'astreintes si le leader ne se conformait pas au dernier avis de la direction française de la concurrence et des fraudes ...

Dans une réaction rapide, Booking souligne, sans surprise, son désaccord avec les conclusions de cette injoncion est susceptible de sursis à exécution (voir plus bas). Selon ses porte-paroles, Booking aurait étroitement collaboré à répondre posées par le gendarme de la concurrence et ses conseils s'emploieraient toujours "activement à dissiper toutes les préoccupations".

La difficulté, pour Booking, est d'instituer des conditions contractuelles "qui passent partout" ... La plateforme, bien que d'origine européenne, rayonne en leader au plan mondial et il lui est difficile de construire autant de contrats que de règlementations nationales ou supra-nationales, comme chez nous, dans le cadre européen ... Le succès de son modèle, ne l'oublions pas, passe par un "système unique" qui ne vaut que parce que ses conditions de coopération sont les mêmes en tous points du globe ...

Cependant, pour les syndicats hôteliers français, cette "uniformisation" a des limites qu'ils entendent bien défendre bec-à-bec: "(...) Ce contrat comporte des clauses manifestement déséquilibrées au détriment des établissements hôteliers, notamment en matière de résiliation, réservation, de modification unilatérale des conditions, ou encore de restriction de liberté commerciale. L’injonction de la DGCCRF constitue une avancée significative vers un rééquilibrage des relations entre les plateformes numériques et les professionnels du tourisme. Elle confirme la légitimité des alertes de l’UMIH et du GNC et renforce la nécessité de transparence, de loyauté et de proportionnalité dans les relations commerciales".

Et de rajouter, qu'à l'avenir, ces clauses devront s'adapter au contexte "local": "Le contexte européen joue également en notre faveur. La mise en œuvre du Digital Market Act, les décisions des autorités de la concurrence européenne font que le rapport de force évolue et que nous avons bon espoir que le partenariat plateforme–hôtelier soit plus équilibré". En somme, pas question d'abandonner la collaboration entre Booking et les hôteliers ... mais d'en adoucir les contours au plus vite pour que chacun y trouve vraiment son compte ...

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Une menace qui peut être temporairement écartée : Les injonctions de la DGCCRF peuvent être contestées par voie de recours administratif ou contentieux. Leur exécution n’est pas automatiquement suspendue par l’introduction d’un recours, mais un sursis à exécution peut être sollicité auprès du juge administratif si des circonstances graves le justifient. Pour l'heure, selon toute vraisemblance, Booking aurait la possibilité d'introduire un recours administratif, "à titre gracieux" (devant l’administration qui a pris la décision) ou "via la voie hiérarchique" (devant le ministre de l’Économie, en l'occurrence). Comme ce recours suspend le délai pour saisir le juge administratif, il n'est pas impossible de penser que Booking ira contester l’injonction produite la semaine dernière devant les juges du tribunal administratif dans un délai de deux mois maximum. Au terme de ce premier épisode et selon les arguments développés par Booking, le juge administratif pourra, possiblement, annuler ou modifier la mesure.

Des conditions sous le radar de toutes les administrations européennes

Les conditions générales de prestations (CGP) de Booking ne sont, ni plus ni moins, que le contrat que valident les hôteliers (et, plus globalement, tous les autres hébergeurs) avec la plateforme. Elles sont le "nerf de la guerre" car elles déterminent ce que Booking a le droit de faire (ou pas) avec les prix et disponibilités que lui confient les hôteliers, mais aussi les conditions d'annulation, de remboursement, de paiement, etc ... Et Booking a, bien sûr, le droit de les modifier au gré de ses décisions.

Pour la DGCCRF, alertée par les différents syndicats hôteliers, ces CGP comporteraient des clauses "manifestement déséquilibrées au détriment des hôteliers français". Après une enquête de plusieurs mois (à laquelle Booking a collaboré), les limiers de Bercy ont décidé d'enjoindre la plateforme à les modifier; ce qui signifie les "adoucir" radicalement d'ici à la fin de l'année, sous peine de devoir s'acquitter de pénalités astronomiques (évaluées à près de 70 Millions d'euros si Booking ne s'y conformait pas ou attendait le dernier jour de l'année pour s'y mettre. Ce qui reste assez improbable ...

Pour les enquêteurs de la DGCCRF, "Conformément au règlement P2B, qui promeut la transparence des relations commerciales entre les services d’intermédiation en ligne et leurs entreprises utilisatrices, les plateformes doivent garantir l’accessibilité de leurs conditions générales, lesquelles doivent être rédigées de manière claire et compréhensible. En outre, les plateformes doivent, en toutes circonstances, notifier aux entreprises utilisatrices, sur un support durable, tout changement envisagé de leurs conditions générales.(...) En outre, conformément à l’article L. 442-1, I, 2° du code de commerce, il est interdit de tenter de soumettre ou de soumettre l’autre partie à des obligations créant un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties. Le fait d’entraver la liberté commerciale et tarifaire des hôteliers contrevient notamment à cet article".

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Les dernières évolutions de clauses : en ce début d’été 2025, Booking a apporté deux évolutions majeures à ses CGP: d’une part, le délai pour rembourser les cartes de crédit virtuelles (CCV) suite à une annulation sans frais ou un cas de force majeure est passé de 60 à 45 jours à compter de la réception du mail de rappel (de Booking), avec des notifications hebdomadaires pour faciliter le suivi ; passé ce délai, une procédure de rétrofacturation "pourra être engagée" par la plateforme pour récupérer les montants dus. Pour rappel, lorsque la réservation est annulée sans frais ou en raison de cas de force majeure, Booking rembourse les clients au nom de l’établissement. Si le paiement a déjà été effectué par Booking à l'hôtelier via une carte de crédit virtuelle, ce dernier doit alors rembourser Booking du montant de cette carte de crédit virtuelle. Si le remboursement n’est pas effectué dans les délais, Booking peut donc lancer une procédure dite de "rétrofacturation" pour récupérer le montant dû. L'autre évolution importante en ce début d'été porte sur la clause relative à la confidentialité des données dans les Conditions Générales de Prestation (CGP). Désormais, des clauses contractuelles types encadrent le transfert de données personnelles de clients vers des hébergements situés hors de l’Espace économique européen ou au Royaume-Uni, conformément au RGPD et aux standards de la Commission européenne; ce qui est, cependant, conçu pour garantir un niveau de protection adéquat lors des transferts internationaux . Selon Booking et les experts du RGPD, "il est donc recommandé de conserver précieusement cette annexe pour assurer la conformité de vos pratiques en matière de données personnelles".

Des contrats qui devront être plus clairs et transparents

Globalement, cette injonction sonne comme un "rappel au règlement" de toutes les plateformes (et pas seulement, de Booking) puisque la plupart d'entre elles agissent selon les mêmes procédés. Au fil des années (et des expériences, bonnes ou mauvaises), mais aussi des changements successifs de modèles économiques et de règlementations, ces contrats sont devenus de plus en plus difficiles à comprendre et à maîtriser par les hébergeurs; ce qui autorise, selon la DGCCRF, toutes les méfiances.

Dans son communiqué de presse et, plus globalement, dans les précédentes affaires du genre, la DGCCR rappelle que ces contrats devront, à l'avenir, réunir les conditions suivantes:

  • Les conditions générales doivent être accessibles, rédigées en termes clairs et compréhensibles,
  • Toute évolution des CGP doit être notifiée aux hôteliers sur un support durable (ex. : email archivable), avec un délai de préavis suffisant, sauf exceptions strictement prévues par la réglementation,
  • Les plateformes doivent indiquer par quels canaux ou programmes affiliés elles commercialisent les offres des hôteliers,
  • Les critères de classement des établissements sur la plateforme doivent être expliqués et leur importance relative justifiée dans les CGP,
  • En cas de litige, le coût de la médiation doit être réparti équitablement entre les parties, sur proposition du médiateur,
  • Enfin, avant toute suspension ou fermeture d’un compte hôtelier, la plateforme doit fournir une explication claire et écrite des motifs, toujours sur un support durable.

À ce jour, Booking est la principale plateforme visée par une injonction formelle de la DGCCRF en France sur ce sujet. Cependant, cette décision ouvre la voie à d’autres contrôles et éventuelles injonctions envers d’autres plateformes si des pratiques similaires sont détectées. Dans un contexte où la vigilance réglementaire s’intensifie, ces décisions marquent une étape importante vers plus d’équilibre et de transparence dans les relations commerciales du secteur hôtelier français.

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Airbnb fait également évoluer ses clauses : À partir du 1er octobre 2025, Airbnb va progressivement supprimer sa politique d’annulation, autrefois très populaire. Désormais, toutes les nouvelles annonces seront automatiquement soumises à la politique "Ferme", plus souple que la "Stricte", sauf si les hôtes choisissent explicitement de conserver l’ancienne option avant la mise en place du changement. Même pour ceux qui maintiendront la politique "Stricte", Airbnb introduit une période de grâce de 24 heures : les voyageurs pourront annuler sans frais dans la journée suivant leur réservation. Par ailleurs, une nouvelle politique dite "Limitée" sera proposée pour les courts séjours, afin de mieux équilibrer la flexibilité des clients et la protection des "hôtes". Pour les biens de grande valeur, il sera encore possible de demander l’application de politiques "Super Strictes", mais uniquement dans certains cas spécifiques. Les "hosts" sont donc invités à revoir dès maintenant leurs politiques d’annulation et à anticiper l’impact de ces évolutions sur leur taux d’occupation, la gestion des annulations et leur stratégie tarifaire. Comme pour Booking, ces changements de conditions sont annoncées quelques semaines avant leur mise en place irréversible; le temps, pour les hébergeurs, de s'y adapter ou de quitter la plateforme ...