Locations de vacances: la croissance malgré les restrictions

C'est un peu du scenario "hôtels versus maison d'hôtes" que l'on rejoue ces temps-ci - avec 20 ans d'écart ! - dans le combat (par gouvernements interposés) entre les locations de vacances et le reste des hébergeurs marchands. Cependant, en dépit des contraintes qui fleurissent depuis quelques mois et fleuriront encore cette année, le marché des locations de vacances continue de progresser à forte cadence !

Si cela fait (presque) belle lurette que les hôteliers et les maisons d'hôtes ont enterré la hache de guerre, les deux rivaux d'hier sont souvent liés, depuis ces dernières années, pour mener la fronde contre leurs rivaux des temps modernes; en l'occurrence, les hébergeurs "non marchands" que sont les locations de courte durée.

Les hébergeurs "marchands" se sont trouvés des alliés objectifs en la personne des citoyens qui mettent de plus en plus de mal à trouver des logements "permanents" sur quasiement toutes les zones touristiques mais aussi, par rebond, avec les gouvernements locaux et nationaux pour qui la prolifération des locations courte-durée est souvent synonyme de nuisances multiples, de marchés souterrains, de taxes parafiscales éludées, et j'en passe.

Bref, jamais comme ces dernières années, le parc des "locations courte durée" n'a concentré autant d'attention de la part de ses rivaux économiques et des élus de tous bords. Il faut dire que le côté "champignonesque" de leur croissance est inédit dans l'histoire du tourisme puisque leur émergence est étroitement liée à celle du web, des réservations en ligne et, pour terminer, à la suprématie des OTAs. Leur avenir proche est donc étroitement lié à ces nouveaux acteurs et à leur stratégie de croissance ... qui repose, pour beaucoup, sur les locations de courte durée elles-mêmes. C'est ce qu'explique une récente étude que nous verrons plus loin.

En attendant, comme le démontre le graphique ci-dessous, en Millards d'euros, le marché des "locations de courte durée" ne semble pas remettre en question ses courbes de croissance établies à près de 6,2% par an (jusqu'à au moins 2030), selon les experts de Research & Markets (juillet 2024) ! De quoi donc attirer de nouveaux "chercheurs d'or" dans les filons de la location courte-durée et ce, en dépit des contraintes croissantes qui pèsent sur cette activité.

Evolution du revenu mondial des "locations de courte durée". Source : Research & Markets (juillet 2024)
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Le dernier rapport PhocusWright prévoit aussi une croissance continue du marché mondial du voyage jusqu'en 2026, avec des gains annuels attendus entre 6 et 9 %. Les réservations en ligne devraient augmenter encore plus rapidement, avec des augmentations annuelles prévues entre 8 et 12 %. Les réservations brutes devraient passer de 1 600 milliards de dollars en 2024 à 1 720 milliards de dollars en 2025. En France, les réservations en ligne ont représenté 37,2 Milliards $ de revenus soit 15,3% par rapport à 2023.

Quand les néo-propriétaires remplacent les "historiques"

En effet, si les serrements de vis auxquels nous assitons dans différents pays (dont la France) sont réels, il n'est pas dit qu'ils finissent pas freiner efficacement la folle croissance de ce marché (6,2% par an pour les locations contre 3,5% de croissance pour les autres "industries" du tourisme). Et pour cause ! Le marché et ses chiffres astronomiques porte bien les signes d'un "business doré" et attire, par conséquent, un flot continu de nouveaux entrepreneurs.

En clair, si le marché va probablement voir disparaître (pour cause d'allergies aux contraintes réglementaires et fiscales) de nombreux propriétaires qui vont retirer leurs biens des listings de Airbnb, Vrbo ou encore Booking, il devrait, dans un sens inverse, attirer une masse presque identique de neo-propriétaires attirés par cet immense business, quitte à en épouser ces mêmes contraintes. De là, à en faire des atouts, rien n'est cependant moins sûr ...

Car les autorités ne devraient pas en rester là ! De nombreux gouvernements devraient même suivre le mouvement anti "courte-durée" partout en Europe où de nombreuses collectivités agissent déjà pour accentuer les effets restrictifs en éditant de nouveaux arrêtés locaux.

Cependant, la "démographie" des propriétaires de "courte-durée" bouge aussi très fort et devrait créer de la place aux nouveaux arrivants: dans de nombreux réseaux historiques de locations de vacances, les propriétaires "lâchent l'affaire" et quittent les réseaux soit pour prendre leur retraite, soit parce qu'ils sont lassés par les empilements de contraintes, soit parce leur revenu devient de plus en plus difficile à constituer, que la marge est de plus en plus réduite ... ou qu'ils ont vendu leur bien à un "néo-propriétaire-qui-se-débrouille-tout-seul" et n'a besoin ni de centrale de réservation, ni de conciergerie (voir ci-dessous, l'initiative de Airbnb sur les co-hosts).

Le blog elloha: le co-hosting Airbnb peut-il nuire aux conciergeries ?
Selon le blog du channel manager elloha, le programme lancé il y a un an compterait déjà plus de 10.000 “co-host” dont certains, en France, s’affirment déjà comme des menaces aux conciergeries.
Le Blog elloha: comment ils gagnent sur Airbnb sans être propriétaires
Selon le blog du channel manager elloha, des dizaines de video de blogueurs recommandent de devenir “co-host” Airbnb pour gagner de l’argent sur des locations dont ils ne sont pas propriétaires.

Les "néos" privilégient la multi-distribution

Le pari d'un "néo" loueur courte-durée est de s'accommoder des contraintes naissantes en étendant sa "zone vitale économique" et en gérant lui-même (c'est-à-dire, sans aucun intermédiaire) sa propre distribution, sans verser la moindre dîme aux autres intermédiaires que les OTAs. En agissant ainsi, ce dernier estime qu'il peut compter sur un marché plus vaste, des prix supérieurs et une meilleure marge finale puisqu'il aura moins d'intermédiaires à rémunérer. Sa stratégie lui permet donc non seulement de se maintenir sur le marché, mais aussi d'espérer y gagner correctement sa vie là où d'autres propriétaires risquent de disparaître en s'accrochant trop mollement aux modèles plus anciens.

La probabilité que les OTAs (autres que Airbnb et Vrbo) recueillent de plus en plus de "néo-multi-distributeurs" en 2025 est des plus fortes. En décembre dernier, par exemple, selon un relevé réalisé par Lighthouse (anciennement OTA Insight) au niveau mondial, les locations de vacances représentaient 26,6% du total des listings affichés sur Booking pour la zone EMEA (donc, comprenant l'Europe), 14,6% dans la zone LATAM, 6% dans la zone Asie-Pacifique et 4,2% en Amérique du Nord.

Ce relevé a donné des indications précieuses sur la manière dont a évolué le marché: si Airbnb a, pendant très longtemps, avec son rival Vrbo (propriétaire d'Abritel en France), été le leader incontesté des locations de courte durée, en 2024, de nombreux propriétaires ont migré vers les autres plateformes en se mettant à la multi-distribution. En clair, les propriétaires se sont professionnalisés et ont adopté les mêmes méthodes que les hébergeurs marchands pour "jouer" sur leur marché.

Toujours selon cette enquête, à peine un propriétaire sur deux (45,95%) n'est plus présent exclusivement sur Airbnb ! Les autres multiplient désormais les apparitions sur les autres plateformes simultanément pour s'ouvrir à d'autres marchés; notamment ceux de l'hotellerie et des maisons d'hôtes, jusque là présents en quasi-exclusivité sur des sites incontournables comme Booking.

Autre phénomène notable, en décembre dernier, selon le rapport Lighthouse, "le nombre de locations à court terme dans le monde entier qui sont répertoriées à la vente uniquement sur booking.com a bondi à 13,6 % du total des annonces". Un an plus tôt, le même relevé pointait que "au total, Airbnb répertoriait 89 % des propriétés de location à court terme mondiales sur sa plateforme ...".

La migration massive des propriétaires de location vers Booking (tout en restant sur Airbnb) s'expliquerait donc par le fait que ces derniers vont y chercher un volume encore plus important de clients et espèrent ainsi émerger sur les clientèles jusque là uniquement captées par les hôteliers et les maisons d'hôtes. Les terrains de chasse ne sont donc plus clairement réservés !

De manière sous-jacente, cette tendance démontre aussi que les néo-propriétaires gèrent eux-mêmes leur distribution et visent directement les grands OTAs à qui ils n'hésitent plus à payer de lourdes commissions alors que jusque là, certains mobilisaient une grande partie de ces sommes en adhésions payées à des réseaux. Le phéniomène s'observe très clairement chez les hôteliers indépendants qui s'autonomisent encore plus en quittant les réseaux hôteliers sans valeur ajoutée. Les réseaux de propriétaires connaissent déjà ce même mouvement qui devrait s'amplifier cet année ...

Un ADR supérieur, la nouvelle cible ?

Au vu de ces chiffres, on pourrait donc penser que les propriétaires les plus motivés vont donc s'accommoder des contraintes nouvelles pour aller chercher des clients "à plus forte contribution" sur de nouveaux marchés (ne plus vendre exclusivement sur Airbnb en est le signe le plus marquant); principalement, via des OTAs ultra-populaires comme Booking.

Ils le feront d'autant plus que, selon les relevés Lighthouse, en 2024, ces derniers ont su générer un ADR (Average Daily Revenue) supérieur à celui de 2023 (voir plus bas); ce qui est le cas, de manière régulière, depuis 2019.

En clair, on peut imaginer que certains se distribuent sur des plateformes où ils pourront vendre leurs nuitées plus chères pour mieux compenser la limitation du nombre de jours possibles de réservations, en vigueur selon les règlementations locales.

Avec un marché en très forte croissance (voir les estimations de notre introduction), le retrait de nombreuses locations de vacances des listings pour des raisons "règlementaires" devrait, par ailleurs, favoriser une augmentation croissante des prix à la nuitée, en raison d'une baisse significative de l'offre de locations. En Europe, notamment à date, "cette tendance ne s'est pas encore matérialisée" selon les analystes de Market & Research.

Il faut aussi compter sur les OTAs (notamment, les rivaux d'Airbnb) pour aller stimuler ce marché non seulement porteur, mais aussi très rémunérateur de la "courte-durée".

En effet, si les maisons d'hôtes et les hôtels ont su prendre le virage digital en développant leurs propres sites et leurs réservations directes, les propriétaires de locations de courte durée sont, en général, absents du web et ne s'en remettent qu'aux OTAs pour plus de 80% de leurs réservations et donc, de leurs revenus ! Ils ne sont donc pas aussi rivaux que les "hébergeurs marchands" avec les OTAs qui devraient continuer de capter le gros de leurs réservations ... Après tout, comme le dit Glenn Fogel, le patron de Booking: "Mon plus gros concurrent, c'est le site de l'hôtel !". Et dans les locations de courte-durée, rares sont ceux qui disposent d'un site qui fasse réellement le job. Booking et ses concurrents peuvent donc encore dormir tranquilles sur ce marché.

Enfin, cette croissance devrait - selon l'étude - venir des "ailes de saison" où les néo-propriétaires devraient se positionner de plus en plus pour attirer de nouveaux clients, générer plus de nuitées et profiter "des avantages d'occupation qu'ils peuvent recevoir pendant ces périodes de faible demande où la présence sur un seul canal ne garantie pas des résultats probants en termes d'occupation, comme le souligne l'étude. En effet, s'il peut être facile de vendre des chambres via un seul canal OTA en haute saison ou lors d'un événement majeur, en basse saison, les avantages de la visibilité supplémentaire dépassent de loin les coûts exposés par un propriétaire".

En tout état de cause, avec un marché qui reste encore très prometteur et pour les propriétaires et pour les OTAs, il n'est donc pas sûr que la croissance de ces acteurs soit freinée aussi fortement que cela par les contraintes émergentes que l'on voit émeger de-ci, de-là. Mais comme disent les syndicats hôteliers: "Il faut un début à tout ...". La jungle devrait donc finir par se civiliser.