Niche fiscale: sort-on vraiment du brouillard ?

Les choses sont désormais claires : selon le Conseil d'Etat, c'est bien la loi fiscale 2024 qui doit s'appliquer dans son intégralité et ce, sans aucune dérogation. Cependant, pour cette année 2024, ce sont bien les taux et abattements de 2023 qui s'appliqueront avant un possible coup de vis plus sévère encore dans la perspective de la loi de finances 2025 ... qui s'appliquera donc sur les revenus 2024 ! Est-ce vraiment bien clair ?..

Après l'arrêt rendu par le Conseil d'Etat lundi dernier (lire notre article) quid des revenus déclarés pour 2023 et donc, de leur taux d'imposition effectif ? Tout d'abord, rassurons les plus inquiets, selon les experts en droit public, la décision du Conseil d'Etat, même si elle vient contredire les instructions données par le ministère des finances sur la non-application de la fin de la niche fiscale, ne doit pas s'appliquer avec effet retroactif. D'ailleurs, les services fiscaux seraient bien embarassés de traiter cette rétroactivité en cas de trop (ou de trop-peu ?) perçu.

En l'état, et sauf revirement législatif par les nouveaux députés (ce qui semble très improbable, voir plus loin), le régime fiscal qui s'applique semble assez logique:

  • Pour une location meublée classique de longue durée, le régime fiscal qui sera applicable aux revenus locatifs perçus en 2024 sera bien celui de la loi de finances pour 2024: pour bénéficier du régime d'imposition simplifiée dit "micro-BIC", le taux d'abattement des revenus locatifs sera de 50 % applicable à un montant maximum de loyers perçus par an de 77.700 euros. Passé ce montant de loyers perçus (ou s'il actionne cette option), le bailleur relève du régime dit "au réel" qui lui permet de déduire toutes ses charges, y compris les frais d'acquisition et l'amortissement du logement ainsi que des meubles et des équipements.

  • Pour une location de courte durée de meublés non classés, le taux d'abattement définitivement en vigueur depuis la décision du Conseil d'Etat de la semaine dernière est bien ramené 30 % des loyers encaissés (contre 50 % auparavant) et ce, dans la limite de 15.000 euros de loyers encaissés (contre 77700 euros sous l'ancien régime).

  • Pour une location de courte durée d'un meublé classé, la décision du Conseil d'Etat ne change rien et pour cause, le législateur n'a pas voulu y toucher car ces derniers considèraient, dans leurs débats, qu'il s'agissait principalement de loueurs semi-professionnels ou professionnels comme permettent d'en juger les seuils de revenus en vigueur: en effet, jusqu'à 188.700 euros de loyers perçus, ces derniers continuent de bénéficier d'un abattement renforcé de 71 % voire même 92% (depuis la loi de finances 2024) lorsque les logements sont loués hors zones tendues et sous réserve qu'ils n'aient pas perçu plus de 15.000 euros de loyers toutes activités (et durée, courte et longue) de location meublées confondues ! ==Attention, toutefois, à la résurgence de l'esprit de la proposition de loi "Le Meur" qui, du fait de son caractère transpartisan et de son parti-pris de stricte régulation des meublés touristiques (y compris, en zones "tendues"), pourrait renforcer la loi de finances 2025 d'ici à la fin de cette année ...

  • Enfin, pour les revenus locatifs encaissés en 2023 - et malgré la décision du Conseil d'Etat qui annuel le couac législatif de la fin d'année dernière - comme cette décision intervient juste après la campagne de déclaration des revenus 2023, l'arrêt du Conseil d'Etat ne peut avoir d'effet retroactif selon plusieurs avocats spécialistes du droit public et fiscal. Il est donc fort probable que les propriétaires de meublés touristiques ne seront donc pas inquiétés par l'administration fiscale à ce sujet. La situation change, cependant, plus-que-radicalement pour les loyers actuellement perçus durant cette année 2024 car, dans ce cas, le coup de rabot voté en décembre dernier s'appliquera bien à ces revenus.

Jusqu'à 40% d'imposition en plus ...

La tendance fiscale, législative et donc, politique, ne semble donc clairement pas aller dans le sens d'un allègement fiscal; bien au contraire. Sans préjuger de qui prendra les manettes de la France, le caractère-même "transpartisan" des propositions de loi visant à encadrer l'effusion des meublés de courte durée suffit seul à laisser penser à un tour de vis supplémentaire d'ici la fin de l'année (loi de finances 2025).

Le texte - jusque là assez anecdotique lorsque l'on n'évolue pas dans l'univers du tourisme - risque, en effet, de prendre une autre tournure en raison des attentes citoyennes (et donc, des orientations politiques) pour "plus de logements disponibles pour les résidents permanents" selon les termes de plusieurs députés nouvellement réélus et qui avaient déjà porté les premiers coups de rabot.

Autre argument plaidant pour un renforcement du dispositif: selon le Conseil des prélèvements obligatoires, le maintien de cette niche fiscale coûterait 330 millions d’euros par an à l’Etat. Et pas sûr que nous entrions dans une période où les prélèvements supplémentaires soient bannis des prochaines politiques publiques ...

Dans ces circonstances, assisterons-nous à une levée de boucliers des bailleurs ? D'après les fiscalistes, en effet, la réforme affecte plutôt les "petits propriétaires" qui louent juste quelques semaines pour arrondir les fins de mois (NDLR: Airbnb évoque le revenu median de 4000 euros par an) et qui commencent à monter au créneau, partout en Europe, pour faire valoir ce moyen pratique de renforcer leur pouvoir d'achat (qui a été le sujet numéro des deux dernières consultations électorales). D'ailleurs, certains partis ne s'y étaient pas trompés au point de défendre l'annulation du coup de rabot (et de ne pas voter la réforme) au nom de la défense des revenus des petits propriétaires. A suivre ...

Dans tous les cas, devant tant d'inconnues encore, les experts fiscalistes recommandent à tous les bailleurs qui n'auraient pas opté pour la déclaration "au réel", de conserver tous leurs justificatifs de charges dans le cas où ils seraient contraints d'opter pour ce régime dans les tous prochains mois. Et s'ils devaient se mettre en situation de se faire le moins pénaliser fiscalement ... et financièrement.

De leur côté, les professionnels de l'hébergement touristique professionnel comme l'Umih (Union des Métiers et des Industries de l'Hôtelerie), mais aussi l’Association pour un tourisme professionnel (AToP) et le Groupement des hôtelleries & restaurations de France (GHR), se félicitent de ce "new normal fiscal" plus sévère et se réjouit d'avoir été l'un des acteurs du coup de semonce envoyé par le Conseil d'Etat: "Le choix politique de Bercy de contrevenir à la loi pour avantager les loueurs de meublés de tourisme était un camouflet à l’encontre de l’hébergement touristique professionnel qui lutte depuis des années pour une concurrence plus juste avec les meublés de tourisme, et incompréhensible dans un contexte de crise du logement, affirme Patrick Hayat, le président de l’AToP. "Le Gouvernement a pris une décision cynique. Ils savaient dès le début que c’était contraire à la loi. Mais ils savaient aussi que le temps du contrôle juridictionnel n’allait pas permettre à une quelconque procédure d’aboutir avant la fin des déclarations de revenus 2023. Malgré tout, grâce à cette décision du Conseil d’Etat, nous prenons date pour la suite : on attend que le droit soit appliqué."