Le Sénat rabote aussi l'abattement fiscal à 30% !

Et de deux ! Après les députés, les sénateurs ont décidé de sérieusement réduire l’abattement fiscal dont profitait, jusque là, les meublés de tourisme (non classés, voir plus loin). Et comme à l’Assemblée, cet abattement est passé de 71% à 30%. Prochaine étape: la commission mixte paritaire, antichambre de la décision définitive du coup de rabot final où le texte revient en vote final à partir du 17 juin prochain.

C’est donc, (presque) sans surprise, que les sénateurs français - de tous bords - ont adopté la proposition de loi « visant à remédier aux déséquilibres du marché locatif », ce 21 mai dernier. Objet d’un très large consensus, sinon d’une unanimité politique, cette loi va sérieusement impacter l’offre touristique des prochaines années, si ce n’est des prochains mois car, déjà, ses conséquences - très probables - se font sentir ici ou là (voir plus loin).

Pour rappel, les législateurs français (et le gouvernement) considèrent que la "prolifération" des locations saisonnières, elle-même encouragée par l’essor des plateformes de location comme Airbnb ou encore Abritel (Vrbo, du nom de sa maison-mère), nuit sérieusement à l’équilibre de l’offre locative en "sortant du marché" des biens locatifs jusque là destinés à l’habitat permanent. Il faut dire que, dans certaines destinations, louer quelques semaines sur l’une (ou plusieurs) de ces plateformes est devenu plus juteux que de "louer à l’année".

Pour le sénateur communiste Yann Brossat, à l'origine avec d'autres parlemantaires, de cette loi "transpartisane", il est même urgent de sortir "d'une absurdité qui fait qu'aujourd'hui, un propriétaire paye plus d'impôts s'il loue son logement à un salarié à l'année que s'il loue son logement à des touristes".

Ce faisant, l’offre permanente déclinant à une vitesse inquiétante dans de nombreuses villes, gouvernement et parlementaires ont réagi en sortant des fourreaux … l’arme fiscale. Car, en général, c’est bien celle qui marche le mieux; les élus locaux expliquant de leur côté, qu’il leur est difficile de réguler par des moyens réglementaires plus coercitifs à l’échelle locale.

Le coup de rabot est désormais irréversible

En rabotant l’abattement fiscal de 71% à 30%, nous sommes bien dans une situation qui risque sérieusement de convaincre un grand nombre de propriétaires de revoir leurs ambitions saisonnières et cela devrait se sentir assez vivement dans les prochains mois et les prochaines années avec de nombreux retraits des "listings" des principales plateformes. Et ce, d’autant plus que l’armada fiscale est désormais appuyée par des mesures de contrôle (fiscal) augmenté avec, notamment, l’obligation pour les plateformes de déclarer les revenus générés chaque année pour tel ou tel propriétaire.

Il sera donc très difficile de "passer à l’As" les réservations à venir... Le propriétaire aura donc l’alternative de déclarer tous ses revenus immobiliers - mais avec un abattement rikiki - ou alors de stopper son activité saisonnière la mort dans l’âme.

Pour le ministre du logement, Guillaume Kasbarian, parlementaires et gouvernement sont d’accord sur ce postulat : "Cet avantage apparaît aujourd’hui excessif au regard de ceux dont jouissent les propriétaires de logements en location, sans justification particulière au regard des charges induites par la gestion des biens."

Les "classé tourisme" épargnés

Comme cela avait également été voté à l’Assemblée, les sénateurs ont cependant préservé les "avantages" fiscaux déjà en vigueur pour les "meublés classés tourisme".

Si, à l’Assemblée, le coup de rabot avait effectivement été violent (30% d’abattement et rien d’autre que le bien soit classé ou non), les sénateurs ont suivi la proposition de leur rapporteur, le LR Jean-François Husson, qui a proposé de revenir à un abattement de 50 % pour les meublés classés, dans la limite de 77 700 euros de chiffre d’affaires par an.

Cette proposition a temporairement brisé le consensus des sénateurs qui ont jugé un "* regrettable retour en arrière*" car, à la fois pour la gauche de l’hémicycle et le LR Max Brisson (à l’origine des mesures), * "le chiffre d’affaires médian des propriétaires d’un meublé de tourisme étant de 4 500 euros à l’année, ce plafond de 77 700 euros risque de ne profiter finalement qu’aux multipropriétaires, qui font de la location touristique un business"*. Pour cette raison, ces parlementaires n’excluent donc pas d’obtenir gain de cause en commission mixte paritaire, dans les prochains jours.

De son côté, le gouvernement s’est déclaré opposé à introduire des mesures fiscales plus ferme dans une loi qui n’est pas prévue pour cela et s’attend, par conséquent, à ce que le sujet devienne remuant lors de son retour à l’Assemblée à compter du 17 juin prochain. Il faut dire que des actions sont en cours devant le Conseil d’Etat (suite à la saisine de nombreux parlementaires sur le "couac" de cet hiver (lire notre article) et que, selon la réponse des juges, le gouvernement risque de devoir revoir sa position …

Pas d’exception rurale ni de rabot sur les jours de location

Parmi les autres mesures votées par les sénateurs, ces derniers sont revenus sur l’exception d’abattement ultra-raboté dans les zones rurales très peu denses où, comme le jugeaient les députés, maintenir un taux d’abattement élevé pouvait encourager l’implantation ou le maintien d’offres touristiques concourant à l’attractivité de telle ou telle destination rurale.

Selon le texte voté ce 21 mai, le Sénat a supprimé ce que l’on pourrait qualifier "d’exception de ruralité" ce qui devrait tendre à rendre un "dispositif à la fois plus lisible, plus juste et plus équilibré" selon le rapporteur général du Budget, le LR, Jean-François Husson.

Enfin, ces derniers ont également rejeté le coup de vis sur le nombre de jours possible de locations de courte durée pour un bien immobilier donné; à savoir, 90 jours au lieu de 120 jours. A lire de près les débats, deux raisons principales ont motivé cette décision: 1) fixer des restrictions trop fortes deviendrait attentatoire au principe même de la propriété privée qui permet de faire "ce que l’on veut" de son patrimoine et 2) les maires n’auraient pas forcément les moyens (ni la volonté, pour certains) de prendre des mesures coercitives vis-à-vis des récalcitrants.

Cependant, là aussi, le gouvernement reste prudent : entre l’obligation faite aux plateformes de déclarer les revenus (et le nombre de jours loués) et d’autre part de rendre les abattements fiscaux suspendus à l’obligation de faire classer son logement, la marge de manoeuvre des récalcitrants sera très réduite dans les prochains mois. Les plateformes auront, en effet, l’obligation de supprimer ces biens de leurs « listings » à la première demande des autorités; sans préciser, pour l’heure à qui reviendra le pouvoir d’appuyer sur le bouton …

Soumis aux obligations environnementales

Enfin, dernier volet de ces débats, les meublés touristiques seront soumis aux (mêmes) obligations de rénovation énergétique (que les autres biens immobiliers), d’ici 10 ans. Comme à l’Assemblée, les sénateurs considèrent que leurs propriétaires doivent être soumis aux mêmes régimes de contraintes pour pouvoir louer un meublé de tourisme. Mieux ! Le texte propose désormais de les obliger à inscrire leur bien sur une plateforme, en fournissant plusieurs justificatifs comme la preuve que son logement est bien aux mêmes normes de sécurité incendie que les locations "à l’année".

En matière de "passoire thermique", les sénateurs - avec l’accord du gouvernement - ont également rétabli les mêmes obligations que les autres logements: d’ici à 2025, la location des logements classés G ne sera donc plus possible: « À proximité des échéances d’interdiction de location de passoires thermiques, maintenir une telle exception pour les meublés de tourisme pourrait nourrir un effet d’éviction», a pointé la rapporteure du texte Sylviane Noël (LR). La crainte des parlementaires et du gouvernement ? Que des propriétaires de locations "classiques" ne déclarent leur bien en "location saisonnière" pour échapper à la règle et aux obligations de mise aux normes ...

Cependant, pour faire simple, les sénateurs ont voté la restriction mais ils ont assoupli les délais de mise aux normes: si les députés avaient accordé 5 ans, les sénateurs ont décidé de doubler ce délai pour le reporter au 1er janvier 2034. Cela signifie que les propriétaires dans cette situation ne pourront louer que s’ils justifient avoir lancé des travaux en ce sens pour se mettre aux normes. Et de préciser que ceux qui louent occasionnellement leur résidence principale ne seront pas soumis à cette obligation … Un point qui, lui aussi, risque d’être revu et corrigé en commission mixte paritaire vu l’opposition de nombreux élus de tours bords qui regrettent que l’on accélère pas plus ces mises aux normes nécessaires.

Une commission (mixte paritaire) très attendue

Même si elles semblent aller dans le même sens, les positions du gouvernement, des députés et des sénateurs risquent encore d’occuper de nombreuses heures de la commission mixte paritaire qui devra arbitrer sur les propositions finales qui seront soumises au dernier vote des députés le 17 juin prochain.
La proposition (d’origine) étant, à la fois "radicale" et transpartisane, peu de députés entendent "lâcher" sur des points "durs" de ce texte. D’autant plus que devrait bientôt être rendu public le rapport de la députée Annaïg Le Meur sur locations meublées (rapport commandé par Elisabeth Borne, à l’époque) et dont le contenu ne devrait pas du tout plaider pour un assouplissement des mesures … bien au contraire !

D’ici là, les propriétaires de meublés ont encore des soucis à se faire car avec le rabot confirmé à 30%, les sénateurs viennent aussi de contredire la magnanimité des services fiscaux qui annonçaient ne pas prendre en compte ce taux pour la déclaration 2024. Là aussi; entre le vote définitif et le recours pendant devant le Conseil d’Etat, rien n’est joué jusqu’à fin juin …

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Et maintenant ? Pour Sylviane Noël, sénatrice et rapporteure, la loi devait pouvoir entrer en vigueur juste après les JO; c'est-à-dire, en septembre prochain. Selon les dernières informations connues à ce jour, la commission mixte paritaire devrait se tenir entre le 17 et le 24 juin prochain. Selon toute vraisemblance, les débats sont loin d'être terminés entre sénateurs et députés notamment sur les points suivants: le niveau du plafond pour la prise en compte du régime de micro-BIC (les meublés non classés devraient être éligibles à celui de 23.000 euros au lieu de 15.000), la disparition de "l'exception de ruralité" car, comme le soulignent les sénateurs, "comment expliquer un traitement différencié entre bailleurs de communes voisines ?". Enfin, à partir de quand ces réformes seraient définitivement applicables ? Selon le ministre du logement, cela concernerait les loyers perçus "à partir du 1er janvier 2025; ce qui permettra d'éviter un changement des règles applicables en cours de routes et un effet rétroactif quant aux abattements applicables aux revenus déjà collectés depuis le 1er janvier de cette année jusqu'à la promulgation de cette loi".