Airbnb, le Bel Ami des ruraux

Airbnb, le Bel Ami des ruraux

Aimé à la campagne, vu avec défiance à la ville ... Airbnb et son catalogue de locations de vacances ne créent pas l'unanimité partout. Toutefois, sa progression sur le marché touristique impose un jugement plus nuancé car la plateforme n’a pas du tout les mêmes effets à Paris, où elle bouscule la vie des locaux, et dans les zones isolées, où elle agit comme un sacré booster, salué par les maires... En 2 ans, la part des nuitées réalisées hors-des-villes est même passée de 69 à 77%.

Selon une étude d'Oxford Economic, Airbnb aurait permis de générer ou de maintenir 81.000 emplois touristiques en France (voir plus loin). Ce genre d'études appellera certainement les mêmes réactions que pour Amazon: "Oui, mais pour combien d'emplois touristiques "traditionnels" détruits ?". Car la défiance est encore de mise, chez certains élus urbains et chez les professionnels tant le sujet divise ... et occupe.

Pourtant, Airbnb est là. La plateforme poursuit son ascension chez les particuliers (mais aussi, les pros) et chez les voyageurs. En France, terrain souvent miné, sa direction est à la manoeuvre pour "normaliser" son action dans le cadre hexagonal et ses résultats sont aussi différents que tonitruants dès lors qu'ils sont observés de la ville ou depuis la campagne.

Dans les grandes villes, l’actualité de la plateforme, ces dernières années, a été émaillée de désaccords entre les "grands élus" Airbnb et ses concurrents, au sens très large des plateformes de location de vacances. Paris, Amsterdam, Barcelone, sous le coup de l'overtourism, ont protesté contre la croissance d’un marché de plus en plus libre, portant atteinte à la tranquillité des riverains, bouleversant l’offre locative locale, dénaturant la vie des quartiers historiques, créant de la distorsion concurrentielle avec les hôteliers et les maisons d'hôtes.

Le cas français s’est illustré par la montée au front de la mairie de la capitale: en 2015, excédée par le phénomène, Paris avait reproché à deux propriétaires d'avoir loué leur studio sur Airbnb sans son autorisation ni respect des impératifs de compensation fixés par la municipalité pour lutter contre la pénurie de logements locatifs. La justice a condamné les deux propriétaires à des amendes de 25.000 et 15.000 euros et ordonné le retour des biens visés à leur usage d'habitation pérennes. Ces premiers cas de figure ont ouvert le bal de nombreuses sanctions comparables, le plus souvent appliquées à des multi-loueurs.

En 2022, Paris durcit ses mesures

En proie à des centaines de cas de fraude à la location(*), en février 2021, la Ville de Paris a remporté une "victoire très importante", selon son adjoint Iann Brossat, car la cour de cassation a jugé légale la réglementation municipale, par ailleurs en conformité avec le droit européen.

(*) Les "fraudes à la location" ne concernent pas les plateformes en tant que telles mais les propriétaires qui s'y multiplient, quelquefois dans des conditions illégales.

Depuis le 1er janvier 2022, le dispositif parisien dispose de deux nouveaux outils pour limiter l'essor des plateformes de location de meublés touristiques et enrayer la privation d’accès au logement :

  • une nouvelle réglementation classe en "secteurs de compensation très renforcée" les zones les plus touristiques et à forte densité de meublés de tourisme (Marais, Montmartre, Quartier latin, Champs-Élysées, Tour Eiffel): les propriétaires doivent s’engager à tripler les m2 de logement perdu, c’est-à-dire à transformer une même surface de locaux commerciaux en habitation, dans un secteur dit "en tension". Le but est de dissuader la transformation de logements en hébergements touristiques.


Ici, un ancien commerce parisien transformé en triplex pour la location saisonnière

  • pour les locaux commerciaux situés en rez-de-chaussée, la transformation (juteuse dans les quartiers très prisés) de leur statut de commerce en meublé, est soumise à une commission spéciale. Elle est carrément interdite dans les zones dites "à forte pression touristique".

Il faut savoir que, pour certains propriétaires de ces locaux transformés, les rentabilités peuvent être deux, trois, quatre fois supérieures que celle rapportée par le commerce d'origine. Pour Kevin Cohen, le fondateur de Check My Guest, spécialisé dans ce commerce de la transformation : "Il est évident que si on respecte toutes les règles au niveau de la législation pour faire du Airbnb 100% légal 365 jours dans l'année, c'est cent fois plus rentable que d'acheter de l'habitation".

Là encore, certes Airbnb est en première ligne, mais en réalité, le sujet concerne plutôt les propriétaires ou les bailleurs-investisseurs qui (au fond) se moquent de savoir si leur business prospère grâce à Airbnb ou une autre plateforme (en général, ils diffusent leurs offres sur plusieurs plateformes en même temps). Si, pour des raisons médiatiques, les élus des grandes villes ciblent Airbnb, en réalité, c'est bien aux propriétaires d'espaces que ces derniers s'attaquent.

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Airbnb "rapporte" aux communes

Les retombées économiques françaises concernant la seule plateforme Airbnb sont à considérer globalement ET localement, car tout repose sur une lecture liée à la concentration ou à la déconcentration géographique.

Les montants de taxe de séjour collectés par la plateforme pour le compte des hôtes démontrent des rentrées financières profitables.

Là aussi, les oppositions peuvent clamer que ces taxes seraient revenues, de toute façon, aux communes. Mais, en réalité, si l'on y regarde de près, le fait de passer par un OTA (que le législateur a contraint à collecter la taxe de séjour) a permis de collecter plus de fonds que par le passé. Tout simplement, car le passage par l'OTA élude le "black" et les propriétaires se soumettent de facto à la collecte et au reversement de la taxe de séjour dès lors qu'ils passent par un OTA.

Certes, le système n'est pas encore parfait (les modalités de calcul diffèrent d'un territoire à l'autre) et les taux devraient être harmonisés, mais Airbnb (et ses concurrents, comme Abritel) savent que cette action (d'abord vécue comme une contrainte) leur permet de tenir un sujet de communication positive et citoyenne.

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D'ailleurs, le 13 décembre 2021, Airbnb a communiqué, de façon quasi-politique, qu’elle "profite à un nombre croissant de communes, y compris à des communes sans hébergement hôtelier qui ne percevaient auparavant aucun revenu du tourisme". Selon ses calculs, alors que seulement 7 000 communes françaises disposent d'un hébergement de type hôtelier, elle contribue aux ressources issues de la taxe de séjour "dans plus de 29 000 villes françaises".

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Paris et la commune d'Hérisson (Allier)

À l’inverse de Paris, la campagne en redemande

Si, depuis 2015, près de 60 000 m2 de commerces parisiens ont été transformés en hébergements touristiques, tandis que 900 boutiques ont fermé entre 2017 et 2020 (Paris est la première ville mondiale en nombre de locations Airbnb), la taxe de séjour issue des locations Airbnb croît dans les petites communes rurales.

L’année 2021 a suscité deux alliances Airbnb-ruralité : le 14 avril, un partenariat signé avec l'Association des maires ruraux de France (AMRF)a promis de créer du tourisme dans les zones rurales négligées par les vacanciers.

Airbnb verse ainsi 100 euros à l'AMRF pour toute nouvelle annonce d'hébergement qui lui est transmise … Cette collaboration inédite, sous la poussée du tourisme domestique procurée par le Covid, devait susciter la création de 15 000 nouveaux hébergements d'ici la fin de l’année.

L'AMRF (communes de moins de 3 500 habitants) affirmait le rôle de relais de croissance d’Airbnb, dans le sens d’une revitalisation des communes rurales : cette passerelle entre le business mondialisé et la relance ultra-locale est bien différente de la situation des grandes villes. Si certaines doivent repousser les plateformes, certains villages doivent les attirer. Cet abîme dans les approches des uns et des autres invite à différencier les "deux France".

"Plus il y aura de gens qui font de l'accueil, plus on développera l'artisanat, les travaux de réhabilitation, la réactivité des centres de villages", s’enthousiasme Michel Fournier, président de l'AMRF… bien loin des déclarations fâchées des élus parisiens.

En effet, Airbnb et ses concurrents affirment participer, à leur manière, à l’industrie touristique française, en produisant des phénomènes d’économie circulaire : dans la Manche, en Ardèche, ou dans les Vosges, la mise en tourisme d’un bien immobilier signifie sa rénovation et son entretien, au profit de l’emploi artisanal (du menuisier au chauffagiste), mais aussi du commerce (de l’épicerie à la coiffeuse, qui se battent pour exister).

L'AMRF va même plus loin, en estimant qu’une proportion de touristes des néo-villages touristiques pourraient devenir de nouveaux habitants. Là encore, nous sommes aux antipodes du surtourisme dénoncé par les capitales européennes.

Stratège et pragmatique, Airbnb soutient le tourisme patrimonial avec la Fondation du patrimoine. Le 4 novembre 2021, l’entreprise a annoncé une donation immédiate de 5.6 millions d’euros au programme "Patrimoine et Tourisme local" de la Fondation du patrimoine. Cette initiative doit préserver des joyaux historiques des campagnes françaises et "créer de nouvelles opportunités économiques pour les habitants, commerces et entreprises des territoires ruraux de France", détaille Airbnb.

Le but est de créer du tourisme là où il y a du patrimoine, mais pas ou peu de visiteurs : après avoir constaté le début de nouvelles locations, l’été 2020, en Bretagne, dans le Jura et et dans la Creuse, Emmanuel Marill, directeur Europe chez Airbnb, annonçait la volonté d’atteindre "des contrées plus perdues, plus isolées."

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Deux France bien différentes, deux fiscalités différentes ?

Il existe, en France, des intérêts divergents envers les plateformes. Les excès urbains liés à la location de courte durée d’un côté, et de l'autre, les possibilités de redéveloppement que l'on devine en milieu rural, interrogent sur l'opportunité d’une fiscalité adaptée.

Sur le principe des "Zones franches urbaines-territoires entrepreneurs" (ZFU-TE), un traitement fiscal différencié (dissuasif ou incitatif, selon le résultat visé) pourrait permettre, par l’intervention de la force publique, de soutenir la défense de la ruralité. Ce thème, en amont de l’élection présidentielle des 10 et 24 avril, est pris en compte par tous les candidats en position de l’emporter.

Une politique fiscale nationale ou européenne, consacrée par un taux de TVA différent appliqué aux loueurs urbains et ruraux, serait à même de transformer sereinement la réalité. Selon ce schéma, il est probable que la relance des campagnes françaises (concurrencées par les métropoles) soit plus rapide et efficace si elle est portée par l’économie réelle (via le digital) plutôt que préparée par les pouvoirs publics. De fait, pour certains élus, par ses effets et ses intentions affichées, la propagation géographique d’Airbnb constitue un certain aménagement du territoire. Plus largement, le concept de sustainability (parfois fumeux), en opposition à l’overtourisme des villes, prend du sens avec les plateformes en milieu rural.

La défiguration des quartiers parisiens et le trop-plein de visiteurs est sans commune mesure avec la lutte contre la désertification rurale, qui persiste malgré l’arrivée d’Internet partout sur le territoire national. Limiter le nombre de touristes, ou, au contraire, encourager leur venue, sont deux enjeux parfaitement disparates. De la sorte, si Airbnb et les investisseurs locatifs incarnent le méchant grand capital contre lequel luttent certains élus urbains, l’enjeu est tout autre pour la plupart des communes de France. Le risque serait de considérer le sujet de façon globale, alors même que la différenciation est indispensable pour le bien de l’ensemble des territoires. Pour le bien du secteur du tourisme français, mais aussi du pays, dans une logique de durabilité, le défi est de monter le curseur Airbnb vers les petites communes et de l’abaisser à Paris.

Entre la problématique locale parisienne et les désirs de dynamisation démographique et économique de certaines campagnes, la confusion est un risque.

Selon le point d’où l’on parle, on ne ne voit pas les mêmes choses, on n’entend pas les mêmes choses et ne porte pas les mêmes jugements sur le sujet que l’on résume par facilité au souffre-douleur "Airbnb" (Abritel et de nombreux concurrents français sont sur le même marché). Résumer le sujet à Airbnb est identique à faire endosser la malbouffe à McDonald’s, en oubliant Quick, Burger King, les enseignes de kebabs, de tacos etc.

En France, 81 000 emplois directement liés

À l’échelle européenne, selon Oxford Econmics, des résultats surprenants sont à remarquer : les séjours Airbnb ont soutenu 345 000 emplois en 2019, soit une contribution au PIB de 19 milliards d'euros. L’impact est passé de 4,7 emplois soutenus pour 1 000 touristes en 2019, à 5,1 en 2020, en raison de "l'augmentation des dépenses des clients et des séjours plus longs", justifie la plateforme. Ces chiffres, issus d’un rapport publié le 26 novembre 2021 par Oxford Economics, sont détaillés en fonction des principaux pays bénéficiaires.

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En novembre 2021, Airbnb a révélé pour la première fois avoir collecté et versé plus de 315 millions d'euros de taxes de séjour dans toute l'UE. La plateforme estime que l'évolution de ces revenus (qui convainc très vite les élus des communes en difficulté !) est en cours de répartition comme jamais auparavant.