Après la crise, ce qui changera et ce qui restera

Après la crise, ce qui changera et ce qui restera

Certes, la sortie n'est pas pour tout de suite ... mais, déjà, les prédictions affluent et en disent long sur les mutations durables qui vont affecter chaque pan de l'économie, le tourisme, en particulier, et votre propre activité ... Pour un grand nombre de spécialistes du voyage, 2019 aura été le "pic historique" de l'activité touristique; un sommet qu'il sera impossible d'atteindre à nouveau; encore moins, de dépasser. Il va donc falloir s'organiser et pivoter - comme on dit dans le monde de l'économie - en conséquence ...

Le fameux "Monde d'Après" devrait furieusement ressembler au monde de maintenant car nous y sommes déjà: plus de visioconférences, moins de déplacements, plus de voyages mais à proximité ... selon les multiples spécialistes, le retour en arrière est quasiment impossible.

1) Les voyages d'affaires ne retrouveront jamais le niveau d'avant 2019

Selon Moodys, la célèbre agence de notation économique, les voyages d'affaires devraient - notamment, en avion - devraient continuer à marquer le pas, même avec l'arrivée d'une vaccination massive. Selon Moody's Investors Service, environ 10 à 30% des voyages d'affaires pourraient être remplacés par des alternatives telles que les réunions virtuelles.

S'ils devaient retrouver le niveau de 2019 - ce qui reste plus qu'improbable - ce segment des voyages ne devraient pas retrouver de couleurs avant 2024 au plus tôt.

C'est dire si les compagnies aériennes risquent de soufrir - voire, de se retrouver condamnées - car ce segment est celui qui leur rapporte le plus d'argent: environ 75% des bénéfices, même s'il ne représente qu'environ 12% du total des voyageurs transportés. Alors, 30% de chute de revenus, cela peut clouer plus d'un avion au sol pour très longtemps ...

Cependant, toujours selon Moodys, les voyages d'affaires intérieurs reviendront plus tôt, favorisant les transporteurs "intérieurs"; notamment, le train et la voiture.

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2) Un "décalogue" des bonnes pratiques touristiques !

Avec cela, les compagnies aériennes s'adapteront et se concentreront sur les voyages d'agrément, l'efficacité et les économies. Les structures tarifaires changeront avec moins de tarifs économiques fortement réduits, toujours selon les analystes financiers. Voyager en avion ne sera plus aussi économique et bon marché qu'auparavant; cela semble désormais certain.

Toutefois, affirmer "l’avion, c’est mort" serait excessif, mais il semble certain que les formules low cost intercontinentales vont perdre leur importance d’avant-Covid. Le phénomène que nous allons voir est différent du "flight shaming" (honte de prendre l'avion, pour des raisons environnementales), la tendance éthique à bouder l’avion, qui a émergé avant le Covid et dont nous avons déjà parlé.

“Partir trois jours à Florence en avion ne sera plus tendance et sera même une pratique un peu honteuse. L'avion sera réservé aux voyages lointains et de longue durée”, observe, de son côté, le directeur et fondateur du guide du Routard, Philippe Gloaguen. ==Ce phénomène sera accéléré par les décisions prises récemment par les grandes autorités locales qui multiplient les mesures pour réduire le tourisme de masse chez elles. C'est le cas, ces jours derniers, de Florence et Venise où les premiers magistrats viennent, ensemble, de signer un "Décalogo" - littéralement une liste des dix commandements - qu'ils viennent d'envoyer au gouvernement italien - et où ils décrivent 10 actions à lancer sans délai. Le premier point concerne, tout de go, la location "façon" AirBnB: "Le phénomène de la location à court terme doit être mieux géré avec des règles plus claires au niveau national. Certaines personnes cachent une entreprise derrière une location sans être soumises aux mêmes réglementations que la profession hôtelière. En outre, les locations paient considérablement moins d'impôts que les chambres d'hôtes et les hôtels - 21% contre 60% - ce qui signifie qu'elles peuvent saper les entreprises "officielles". La conséquence est que trop souvent une offre non qualifiée affaiblit l'offre globale du pays !".

Pour ces élus, il est urgentissime de classer toutes les locations de moins de 30 jours comme des locations à des fins touristiques, et d'imposer une limite de deux biens à louer et ce, dans une Limite annuelle de 90 jours pour les locations. Ceux qui possèdent plus de deux propriétés, ou les louent pendant plus de 90 jours, devraient ainsi s'enregistrer en tant qu'entreprise, suggèrent les maires - à quel point ils seraient soumis à ce régime fiscal trois fois plus punitif.

Cette tendance devrait s'accélérer partout dans le monde sous la pression des populations et des élus; ce qui devrait - toujours au titre des prédictions - contribuer à un "assainissement" du marché par l'abandon de certaines activités locatives dans les grandes villes.

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3) Le retour des guides "papier" sur la France

Philippe Gloaguen, fondateur du Routard, croit dur-comme-fer au retour de la France comme destination numéro 1 ... pour les français. Il avoue même un effondrement, en 2020, de la vente de guides sur l'Asie, l'Amérique du Sud et l’Amérique du Nord. Selon ses données, les guides sur des destinations françaises ont représenté 43% des ventes, contre 35% habituellement. C’est presque un paradoxe pour la publication née en 1972 à partir d’un reportage sur la Route des Indes ! Les charters, lancés en 1967, avaient rendu possible le tourisme express et lointain. Le post-Covid est ébauché par Philippe Gloaguen, qui va "arrêter certains guides sur les capitales éloignées à faire en un week-end ... car ce n'est plus dans l'air du temps". Pour 2021, le Routard compile 1200 coups de cœur locaux en France dans un nouveau grand guide à l'image de ce qu'avaient déjà lancé, de leurs côtés, les Guides Rivages (spécialisés sur la France et dont les ventes en libraire ont explosé). En clair, la France redevient le sujet de prédilection des voyageurs et cela, pour quelques années encore !

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4) Des vols "low cost" sur la sellette

"Dites adieu aux billets d’avion à 30 $ ! l’ère des vols à bas prix touche à sa fin", annonçait la chaîne CNBC, penchée sur les business news, le 20 mars. Aux USA, il devient difficile de trouver les tarifs aériens les plus bas, à deux chiffres, que les compagnies proposaient pour remplir leurs avions (la hausse concerne aussi les hôtels, depuis février, dans de nombreuses villes dont Miami, où le tarif moyen atteint 228 $ la nuit).

Dans ce pays où la vaccination se fait à un train d'enfer, les recherches de voyages d’été ont augmenté de 27% par semaine et ce, à cause ou depuis l’annonce d’une hausse de 7 % en un mois des tarifs aériens pour les 100 destinations américaines les plus recherchées (Source : Kayak). Qui aurait anticipé le signal observé par Jamie Baker, analyste du marché aérien ? "La recherche de tarifs réduits est de plus en plus compliquée. Pour de nombreux consommateurs enfermés depuis un an, les prix ne sont probablement pas à la hauteur". Autrement dit : vouloir consommer plus cher fait partie de nouveaux réflexes, car les porte-monnaie sont garnis et que les voyageurs aspirent à des voyages plus confortables, à l'opposé des "vols en bétaillères" proposées par les compagnies low costs! Et l’on parle de crise ? La moyenne des tarifs loisirs était à 187 $ le 15 mars, à l’issue de 5% de hausse en une semaine. L'explication ? Il y a moins de sièges sur le marché (beaucoup d'avions sont cloués au sol) et cela crée de la rareté. Logiquement, les prix montent … Et le cercle devient vertueux (pour les compagnies) car le tourisme "domestique" progresse (aussi) sur le marché US: "Les voyageurs américains sont en quelque sorte détournés vers les États-Unis", affirme Henry Harteveldt, fondateur de la société de conseil Atmosphere Research Group, spécialisée dans l’industrie du voyage. Ce média analyse les courbes: "Le trafic va repartir, mais à coût normal", dit-il, car on assiste à de la "demande massive et refoulée", après la privation de vacances.

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5) Le touriste "responsable" ne prend pas l’avion

Le tourisme responsable est plus une lame de fond qu’une tendance. La SNCF disait "À nous de vous faire préférer le Train” dès 1998, mais la pression écologique mise sur l’avion était dérisoire, à l'époque. Sans basculer dans l’intégrisme anti-aircraft, de plus en plus citoyens-voyageurs veulent faire attention (il s’est passé la même chose avec le recyclage, introduit par les élites dans les années 1980). Le secteur aérien ne représente que 3% des émissions européennes de CO2, mais ce chiffre augmente avec l’explosion du trafic aérien, surtout depuis le low cost. En 2019 pour la première fois, une compagnie aérienne (Ryanair) est entrée dans le Top 10 des entreprises les plus polluantes d’Europe, avec presque 10 mégatonnes d’émissions de CO2 pour 2018 … le double par rapport à 2013. L’impact est 45 fois supérieur au TGV, sans pouvoir encore comparer avec la voiture électrique, faute de chiffres. Air France veut bien faire, en accélérant sa transition énergétique depuis la pandémie. Et la DG de la compagnie, Anne Rigail, promet "la division par deux d'ici à 2030 des émissions de CO2, au passager-kilomètre".

Les clients refusant d’être coupables de réchauffement climatique questionnent leur propre mode de vie et renforcent le “tourisme durable”, proclamé pour la première fois par l’Unesco en 1986. Ce concept tient compte des “impacts économiques, sociaux et environnementaux actuels et futurs, en répondant aux besoins des visiteurs, des professionnels, de l’environnement et des communautés d'accueil”, selon l'Organisation mondiale du tourisme (OMT). Il faudra attendre pour que ce tourisme durable devienne la norme dans le voyage, mais la dizaine de labels verts disponibles en France est un marqueur fort les concernant. Voyager responsable signifie bannir l'avion ? “C’est une idée qui fait sens”, affirme Audrey Baylac, qui a carrément écrit un livre sur le sujet, paru en 2020 : “Voyager sans avion”. Pour les destinations et les hébergeurs de France, nul doute que le revirement aérien portera ses fruits, reste à connaître leur date de maturité et leur quantité.

Global Climate Strikes Venice, Italy
A Venise, elus et population se dressent contre le retour du "sur-tourisme" Photo by Katie Rodriguez / Unsplash

6) Les conditions d'annulation vont se resserrer à leur tour

On l'a dit et redit, dans le contexte actuel, seules des conditions d'annulation "souples" favorisent une reprise des réservations. Mais, cette tendance ne devrait pas, quant à elle, survivre à une reprise a-minima du tourisme ... Pourquoi ? Car la "souplesse" des conditions d'annulation est étroitement liée au taux de remplissage des hébergements et que, dès lors que ce taux reprendra des couleurs, les conditions de paiement et d'annulation se resserreront d'autant ...

Le mouvement est mondial et des sociétés hôtelières telles que les leaders (IHG Hotels & Resorts, Hilton et Hyatt Hotels Corp.) ont toutes assoupli les politiques d'annulation pour la plupart depuis l'an dernier déjà, après les avoir fortement ressérrées deux ans auparavant.

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Les grands groupes hôteliers revoient leurs politiques d'annulation

Marriott International a prolongé cette semaine ses politiques assouplies (gratuitement, jusqu'à 24 heures au lieu de 48) de deux mois supplémentaires. Pour Drew Pinto, le responsable mondial de la distribution et de la stratégie de revenus du numéro 1 mondial: "De façon anecdotique, nous avons entendu l'appréciation du changement chez nos clients".

IHG, de son côté, permet un remboursement complet 24 heures avant le séjour sur toutes les réservations prépayées et réservées directement et permet une réservation sans dépôt pour aussi peu que trois jours avant le séjour pour les réservations directes. Hilton autorise également les annulations sans frais sur les séjours réservés directement jusqu'à 24 heures avant les futurs séjours. Hyatt autorise la même chose, mais uniquement pour les séjours avec des dates d'arrivée jusqu'au 31 juillet.

Toutfefois, avec la hausse des nombres de vaccinations, les hôteliers tablent sur au moins un peu de rebond pendant les mois de printemps et d'été. Ce qui leur fait dire que, pour longtemps désormais, "Les loisirs sont au cœur de l'industrie du voyage pour les hôtels". Une tendance forte à s'attaquer frontalement aux locations de vacances en guise de décompensation du marché "affaires". Ce qui explique que ni IHG, ni Hilton ni Hyatt n'ont indiqué qu'ils modifieraient bientôt leurs politiques d'annulation. Toutfois, selon Bjorn Hanson, professeur adjoint au Jonathan M. Tisch Center of Hospitality de l'Université de New York: "Ces politiques d'annulation assouplies seront probablement temporaires. Le resserrement des politiques d'annulation, en 2017, avait été dicté par une situation où les hôtels étaient aux prises avec des taux d'annulation et de non-présentation allant jusqu'à 30%. Il est devenu si critique de gérer l'inventaire que lorsque le taux d'occupation commenceront à se redresser, ce sera le signal que les hôtels commenceront aussi à resserrer leurs politiques d'annulation". Mais ce n'est pas demain la veille ...

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