Instagram, l'autre phénomène du surtourisme

Instagram, l'autre phénomène du surtourisme

Avant les ravages du covid, les instagramers étaient considérés comme des (micro) influenceurs dont les prises de vues pouvaient "booster" telle ou telle destination, telle ou telle adresse où dormir ... Ce qui ressortait de leur compte donnait envie de voyager, de se retrouver seul dans des endroits et des adresses uniques. Mais, pour les professionnels de l’image, Instagram a tué la spontanéité des vacances. Et pour les spécialistes d'un tourisme "durable", l'utilisation exponentielle du 3e réseau social au monde contribuerait à surmultiplier la fréquentation des sites !

Certes, covid oblige, on n'est pas prêt de revoir les scènes consternantes de surtourisme: des masses de touristes agglomérés les uns aux autres tentant, bras tendu ou perche à auto-selfie d'immortaliser un moment "carte postale" devant ou en plein coeur d'un haut lieu du tourisme mondial !

La fontaine de Trevi à Rome avant l'épidémie: no comment.

Deux phénomènes expliquent cela :

  • en premier lieu, la démocratisation du voyage aérien, sous l'impulsion des compagnies low cost a permis le déplacement de foules immenses vers les landmarks du tourisme européen et mondial. Ces derniers temps, avoir son portrait pris devant le temple d'Angkhor ou en nocturne devant la fontaine de Trevi était devenu un "rêve" accessible à de plus en plus de voyageurs,
  • en second lieu, la culture (narcissique) de son propre storytelling (Martine à la mer, Martine dans Central Park, Martine sur le lac de Côme, etc ...) et de son exposition, tout sourire, sur son compte de réseau social est devenu une passion partagée par de plus en plus d'humains.

Pour un voyageur "normal", la visite d'une grande ville ou d'un lieu "mythique" s'apparente à slalomer entre des centaines d'autres humains, jouant du coude et de la perche, pour se photographier devant les lieux les plus reconnus de la Terre (The Place To Be ... qu'on vous dit !).

Nouveau call-to-action

S'il est évident que les compagnies aériennes à bas prix (ou les croisièristes dont vous parleront les habitants de Venise) sont en cause dans ce déferlement de (sur)touristes, le réseau social instagram, créé il y a 10 ans, en octobre 2010, est aussi un des contributeurs majeurs de ce mouvement. Car, que l'on ait un compte sur ce réseau ou non, nous sommes tous influencés par la diffusion d'images de gens "heureux" posant devant des lieux emblématiques en se disant que ce seraient quand même de beaux souvenirs à enregistrer dans la mémoire de son iPhone à défaut de les partager avec la terre entière connectée sur les réseaux sociaux.

Le diffuseur de stories connaît un tel succès qu’il est désormais reconnu qu'il fait des ravages sur certains sites touristiques. Avec 21 millions d’utilisateurs en France (!) et 1,8 milliards dans le monde, il s'agit du 3e réseau social derrière Facebook et YouTube ... et la thématique du voyage y compte dans son Top3 des sujets les plus traités. Imaginez donc, rien qu'en France, 21 millions de comptes, soit presque un tiers de la population !

Une artiste originaire d'Alaska a même pointé du doigt ce mimétisme touristique qui porte, dans certains endroits, les stigmates d'une véritable atteinte à l'environnement. Depuis 2018, dans le cadre de sa page Instagram Insta Repeat, Emma Agnes Sheffer montre à quel point Instagram conditionne les motivations de voyages et les attitudes des voyageurs sur place. Pour elle, c'est sans appel : "Instagram a créé un monstre !"

Exhiber ses vacances, plus que voyager

Les partages de photos de vacances modifiées - grâce aux nombreux filtres qui "enjolivent" votre prise de vue et donc, votre vie - principe d’Instagram, ont développé des normes irréalistes. L’enjeu est un maquillage, pour souligner que "J’y étais !". De nombreux Instagrammers voyagent pour faire des photos valorisantes pour eux-mêmes, plus que pour découvrir des lieux, le but étant de générer les likes. Ce qui prime, c’est l’affichage d’un statut social, être reconnu par son "réseau", montrer à quel point sa propre vie est formidable. Les clichés sur-estiment donc la réalité, ils deviennent parfaits, quelquefois même pour rendre jaloux les amis et autres abonnés.

L’exhibition des vacances est devenue un sport, jusqu’à modifier la façon d’aborder le voyage… voire la raison de voyager, selon de nombreux spécialistes des réseaux sociaux. Cette industrie de la frime crée un stress de la bonne prise de vue, car il faut impressionner les autres, observe le romancier Thomas Kohnstamm, auteur du livre "Do Travel Writers go to Hell?" (les chroniqueurs de voyages finiront-ils en enfer ?). Selon cet observateur américain, les voyages sous Instagram “ne laissent plus beaucoup de place au hasard" et “empêchent de vivre toute expérience". Le voyage est donc juste un reportage... sur soi ?

insta_repeat
Rocher de Trolltunga, Norvège © Insta Repeat

Des lieux victimes de pollution humaine

Le monstre Instagram, avec son côté “concours de popularité” a un effet pervers sur les sites touristiques de renom, car il les transforme en lieux normatifs, où il faut aller pour entrer dans un moule standard. Le public attiré par le même endroit, qui continue d’être promu sur Instagram, génère du surtourisme et même de la pollution. A titre d'exemple, le Christ Rédempteur de Rio de Janeiro et le Colisée de Rome font les frais de ce trop-plein de fréquentation : la tranquillité est brisée car la normalisation des vacances impose des comportements d’hypermarché, chassant toute singularité. En Thaïlande, les atteintes à la biodiversité de Maya Bay, par le tourisme bulldozer, ont provoqué la fermeture temporaire de cette plage. En Norvège, le rocher de Trolltunga ne peut accueillir beaucoup de monde en raison de sa configuration… mais sa popularité boostée par Instagram entraîne la production incessante de photos à peu près identiques.

Valorisez-vous ... sur Instagram

Jusqu'à l'éffondrement épidémique, de plus en plus de voyageurs "normaux" avaient déjà pris d'autres chemins: soit voyager en contre-saison (difficile dans les secteurs à très forte pression touristique), soit renoncer à ces lieux et s'en détourner presque définitivement au profit d'endroits plus calmes mais tout aussi bénéfiques en termes d'expériences. C'est certainement ce qu'il faut souhaiter pour l'avenir car le surtourisme est une "plaie" pour le tourisme, les destinations et les populations locales. L'exemple des Maldives est frappant: juste après la crise, cet archipel magique a décidé de se repositionner sur le très-haut-de-gamme et de mettre un coup d'arrêt, en vue de la reprise, au deversement de masses de (nouveaux) touristes. Fini les photos de bimbos en maillots devant des baies magnifiques ... place à un tourisme plus discret, aux codes plus convenus ...

Pour autant, si les voyageurs usent et abusent d'Instagram pour se valoriser, il ne faut pas, pour autant, s'en détourner en tant que professionnel du tourisme et des loisirs. "Insta" reste un espace pertinent pour montrer ce qu'il y a de beau et d'attirant chez vous. C'est donc un media (relativement) efficace pour attirer l'attention sur votre destination et votre adresse.

Ne soyez pas original !

Quoi ?! Pas d'originalité alors que, depuis le début de cet article, on déplore à coups de paragraphes le caractère "moutonnier" des instagramers ? Et oui ! Vous avez raison de penser que, pisque tout le monde fait les mêmes photos des mêmes lieux (voire, des mêmes postures), ces prises de vue démultipliées à l'envi anéantissent l'inventivité ... et donc, pourraient passer inaperçues par le public.


Sara Melotti, photographe de voyage, a écrit sur le thème de savoir "Comment rester authentique dans une photo de voyage"

Or, selon la photographe de voyage italienne Sara Melotti: "L'originalité ne paie pas sur Instagram". Elle constate même que les publications qui ont déjà été faites - et donc recopiées sans fin par d'autres instagramers fonctionnent très bien.

Il y a donc des postures, des façons de cadrer qui se répètent à l'infini, quelque soit le lieu de séjour du voyageur et qui attirent l'oeil, car déjà vu des centaines de fois.

Un exemple: il y a des vaches près de chez vous ? Prenez-les en photo à la façon d'un instagramer et vous aurez plus de chances qu'elle attire l'oeil et bloque le doigt de l'internaute ...

Donc, selon elle et d'autres spécialistes, le spécifique n’attire pas, car il est une minorité, tandis que certaines esthétiques s'infiltrent dans la conscience commune. "La répétition plaît, le public aime le déjà vu" souligne la photographe aux 58.000 abonnés.

Un autre exemple ? Vous proposez des locations de canoës ou de kayaks ? Copiez donc les prises de vue les plus populaires en la matière et faites comme les autres instagramers ...

Quel équilibre pour vous ?

Le mimétisme n'est pas votre fort ? Et que vous avez raison ! Sur Instagram comme pour le reste, tout est question d'équilibre. En effet, si vous décidez d'exploiter ce media pour promouvoir votre hébergement ou votre spot d'activités, appliquez-vous deux règles simples :

  • s'il y a des cadrages à faire, autant se "caler" sur ceux qui sont les plus populaires sur "Insta". Vous voulez valoriser votre chambre ou votre spa ? Tapez donc ce mot clé sur Instagram et voyez immédiatement quels sont les clichés les plus populaires. Et inspirez-vous d'eux pour rentrer dans le moule de ce que les fidèles du réseau recherchent ... (ce n'est peut-être pas flatteur, mais c'est par cette répétition que cela marche ...)
  • si vous avez un esprit créatif et que votre destination n'est pas un des grands landmarks du tourisme local ou mondial, jouez à contre-courant: sortez des ambiances trafiquées à coup de filtre et montrez peu de photos mais des images réussies desquelles ressort une ambiance "à part" et revendiquez - à l'aide d'un sticker ou d'un mot clé - le principe du "Garanti Sans Filtre !" ... cela devrait plaire à plus d'un instagramer !

En conclusion, tout est question de dosage, dans un univers où les voyages simples, authentiques et spontanés ressemblent à un artisanat sur-mesure, face à un clonage généralisé. L’originalité, opposée au copié-collé de masse, devient une garantie… ce qui n’empêche d’avoir un téléphone dans la poche, pour faire de belles photos et jouer le jeu d'Instagram non pas comme miroir narcissique mais uniquement comme media permettant de capter plus de clients pour votre établissement. Restons pros !