Les régions françaises mieux armées que Paris en période de vaches (touristiques) maigres
Selon la dernière étude de l'Insee, les régions françaises ont sauvé les meubles grâce à la clientèle "domestique" française. A l'exception de l'Île de France et de la région PACA dont la dépendance croissante aux clientèles étrangères s'est traduite par des pertes de revenus plus difficiles à combler qu'ailleurs...
Les français parviendront-ils à sauver durablement leur industrie touristique ? Il y a fort à croire que oui, mais pas partout ! Si 2021 renouvelle le scenario de 2020 (peu d'arrivées étrangères et des français qui restent en France), la saison devrait pouvoir être sauvée dans des proportions plus-que-raisonnables. A l'exception de l'Île de France (dépendante de la clientèle d'affaires et de la clientèle internationale de luxe) et de Paca (dépendante aussi de la clientèle de luxe), toutes les autres régions devraient pouvoir supporter (grâce aux seuls français) un nouvel été de restrictions. Certes, il s'agit là du scenario le plus sombre mais probabemement assez réaliste quand on convient que le "gros" de la population ne commencera pas à être vacciné avant le primtemps prochain ... dans le meilleur des cas.
Pour autant, les réflexes de survie imposés par le Covid-19 ont suscité une inventivité flatteuse pour le tourisme français : les territoires, les collectivités, les hébergeurs privés ont redoublé d’idées pour attirer les français en France. La plupart des campagnes de marketing territorial ont choisi le même schéma : “pas la peine de partir à 3000 km, le dépaysement est à 2 heures de chez vous”. Face à la menace d'arrêt total, le gouvernement, les Régions, les communautés de communes ont agi à fond, à coup de campagnes de communication, afin que les Français voyagent en France et défendent l’une de leurs l'industries. Ce patriotisme un peu forcé (que faire d’autre ?) a été utile et salutaire. Mais les chiffres de juillet-août, consolidés par l’INSEE, font frémir : ces statistiques démontrent que les efforts et l’ingéniosité ont sauvé les meubles en juillet-août, heureusement, car le nombre de nuitées n'a chuté "que" de 30%. Sur cette même période, la France métropolitaine a compté 33,8 millions de nuitées, mais le haut de gamme a fortement souffert de l’absence d’étrangers.
Le tourisme, dans au moins 2 de nos 13 grandes régions, ne peut donc pas s'en sortir uniquement en re-motivant la clientèle française. Il a besoin d’aspirer des flux internationaux.
Sortir du “souverainisme touristique”
Comme les autres industries fonctionnant fortement à l’exportation (Renault et PSA par exemple), notre tourisme a un besoin fondamental de clients étrangers. Jusque dans les années 1960-1970, les Français voyageaient en France et les étrangers venaient modérément dans notre pays. La mondialisation a croisé les phénomènes d’entrées et de sorties : le tourisme international a connu une croissance moyenne de 4,3 % par an entre 1990 et 2000 dans notre pays. 60 millions en 1996, 83 millions en 2012, 89 millions en 2018… le cap des 100 millions de visiteurs était envisagé pour 2020, sous François Hollande en 1994, mais le mouvement des Gilets jaunes, le Brexit et les attentats jihadistes ont brisé cet espoir. De toute façon, notre dépendance de l’international est extrêmement forte.
Compter sur ses propres forces ou s’ouvrir comme jamais ?
Les chiffres de l’INSEE démontrent implacablement que la clientèle domestique ne suffit pas pour sauver l'industrie dans tous les recoins de l'hexagone. En quelque sorte, le gros sparadrap estival a assuré la survie, mais pas partout et pas tout le temps (c'est-à-dire, hors saison). L'Île de France et la région PACA sont les plus pénalisées, alors qu’elles sont ordinairement les plus prisées (leur notoriété justifie leur évitement).
Chassons la sinistrose en regardant une signe encourageant : le nombre de nuitées de la clientèle française a baissé de 14 % en juillet (par rapport à juillet 2019), mais il a progressé de 2 % au mois d’août, signe que les campagnes publiques et la prise de conscience des consommateurs ont un effet réel sur le tissu hôtelier. Le slogan "restez en France" a séduit, sans pouvoir combler le manque à gagner, dans un pays qui privilégie la communication touristique vers l’étranger. La clientèle résidente a été visée, elle a répondu, merci. On a relevé 11,8 millions de nuitées touristiques en septembre 2019 dans les hôtels métropolitains, soit - 42 % par rapport à septembre 2019 (!). La présence française a reculé de 19 % et la présence extérieure de 81 (!), surtout à cause de la désertion des non européens. L'Île-de-France a souffert de sa dépendance à l’étranger, c'est une évidence.
Des problématiques à résoudre...
L’INSEE révèle que l’industrie touristique française des métropoles n'est pas adaptée aux clientèles du pays et qu’elle dépend à hautes doses du trafic aérien. Ces difficultés structurelles deviennent conjoncturelles. Il faudra réétudier le développement du tourisme en France pour amoindrir la prise de risques en cas de nouvelles difficultés (pandémies et autres). Pour Paris et la région parisienne, le problème est criant, car le choc subi représente 85 % de nuitées en moins sur juillet-août, 79 % sur les 4 et 5 étoiles : la luxo-dépendance montre là son existence, ses limites et ses dangers. En comparaison, les régions maritimes ont subi un repli mieux vivable, à hauteur de 9 %... Les littoraux d’Occitanie, Nouvelle-Aquitaine et Pays de la Loire ont même agrégé une progression de fréquentation de 1 à 2%, mais Provence-Alpes-Côte d’Azur a reculé de 15 % et la Corse de 24 %. À croire que que les destinations moins connues que les autres ont capitalisé cet aspect “incognito”... pendant que la montagne a progressé de 21 %.
Après les chiffres, quelles stratégies ?
L’étalage des statistiques est significatif, car il se fonde sur des données tangibles : définitivement, le tourisme national est indispensable mais insuffisant à certaines grandes régions touristiques du pays.
Pour la suite, plusieurs solutions s’offrent aux hébergeurs de ces zones plus vulnérables que d'autres :
- Chouchouter les Français, comme cet été,
- Tenir en haleine les clients étrangers, en leur adressant des messages spécifiques, en leur racontant le quotidien des hébergements, en continuant une histoire avec eux,
- Accueillir des télétravailleurs, car les formules inventées dernièrement peuvent faire des émules, même après le coronavirus,
- Rester en état de veille en évitant le tourisme de ”cueillette”, qui consiste à recevoir, passivement, sans stratégies d’attraction : être proactif, c'est-à-dire anticiper les attentes et prendre l'initiative de l'action.
Ces formules devraient - avec d'autres - permettre un retour progressif des touristes (de luxe ... ou non) internationaux dans les établissements des régions concernés. Pour les voyageurs d'affaires, c'est une autre affaire (sic !). Selon IdeaWorksCompany, un cabinet d'étude américain qui a compilé de grandes séries de données, l'industrie du transport aérien perdra de façon permanente 19% à 36% de son volume de voyages d'affaires en raison de l'habituation des travailleurs à utiliser la technologie de conférence en ligne en remplacement des voyages d'affaires. Pour le moment, les voyages d'affaires sont à 15% de leur niveau d'avant la pandémie, selon IdeaWorksCompany, qui s'attend à ce que ce chiffre atteigne à terme au moins 64% (ce qui n'est pas un retour à la normale !) d'ici 2 à 3 ans, en fonction des progrés sanitaires liés au déploiement du vaccin anti-covid.
En effet, selon le Boston Consulting Group, les voyages ne rebondiront pas aux niveaux de 2019 avant 2023 ou 2024. Par ailleurs, statistiquement, le Boston Consulting Group rappelle que "seulement environ 9% des personnes (que nous avons sondées) s'inquiètent d'attraper le Covid-19 à la maison, tandis qu'environ 48% s'inquiètent de l'attraper en voyageant". Airbnb, qui offre un contrôle maximal sur l'environnement et un contact minimum avec des inconnus, se classe au bas de ces préoccupations liées aux voyages, tandis que les vols et les croisières sont beaucoup plus élevés. La présence de nombreuses personnes dans un hall d'hôtel ou le croisement dans un espace clos comme les ascenseurs ne joue pas non plus en faveur des grands hôtels. Tout un tas de signaux au bénéfice des (grandes) locations de vacances ou, plus encore, des maisons d'hôtes ... ou comment profiter d'un séjour hôtelier dans un environnement "comme à la maison" avec la sécurité sanitaire qui va avec.