Le Covid a-t-il aussi tué l’overtourisme ?

Le Covid a-t-il aussi tué l’overtourisme ?

Il est loin le temps de l'overtourism ou (sur-tourisme) ! Mais, est-ce vraiment un mal ? Le covid a eu au moins ce mérite de mettre un terme à la saturation de certains sites et destinations touristiques à réputation mondiale. Cependant, cette tendance risque de reprendre après, de façon plus encadrée et modérée... car l'offre touristique subit, à l'heure actuelle, une révolution sourde mais irréversible.

L’overtourisme, c’est le tourisme extrême, dont la foule rend impossible la visite paisible de la chapelle Sixtine et de la fontaine de Trevi à Rome. C’est ce phénomène de coude-à-coude qui rend désagréable l'expérience dans un lieu mythique, car les visiteurs grouillent de tous les côtés. Ces situations désespérantes où votre voisin à la voix forte vous pousse de tout son poids pour que sa femme et ses enfants entrent dans l'angle de vue de leur perche à selfie devant un des hauts lieux du tourisme mondial ... Ceux qui ont vécu ces situations - où l'on se demande si elles ne sont pas que prétexte à alimenter son compte Instagram plutôt que de profiter de l'authenticité des lieux - savent combien l'overtourisme est quelque chose de désagréable, de toxique même ...

L'an dernier déjà, ce surtourisme a conduit la mairie de Barcelone à encadrer sévèrement Airbnb pour éviter qu’une location pour trois personnes ne se traduise par un groupe de 10, avec fiesta qui dérange les voisins. Des manifestations citoyennes et des campagnes d’affichage aux balcons ont signifié la grogne des riverains de nombreux quartiers. Au Pérou, les routes qui mènent au Machu Picchu sont barrées par des paysans mécontents. Sur la destination Paris Ile-de-France, qui connaît cette année une chute vertigineuse en 2020, l'année 2019 a frôlé le surtourisme, avec 50 millions de touristes et 196 millions de nuitées. Le personnel de la Tour Eiffel et du musée du Louvre a exercé son droit de retrait face à l’avalanche de visiteurs, tandis que le métro, de son côté, était totalement surchargé. Les Îles Féroé (50 000 habitants) se protègent contre une déferlante annuelle de 110 000 touristes tandis que 14 sites touristiques sont fermés aux voyageurs deux jours par an pour “réparer” certaines parties de l'archipel.

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Fontaine de Trevi, Rome © Alex W / Shutterstock

La prudence sanitaire va modérer la ruée vers les sites mythiques

Des mesures législatives et politiques sont prises pour réduire la boulimie qui menace de tuer le tourisme : Rome et Amsterdam interdisent les autocars dans leurs centres-villes pour réduire la surpopulation touristique. Des taxes et redevances sont imposées aux excursionnistes (visiteurs d’un jour) à Venise, aux croisiéristes à Amsterdam, aux clients d’hôtels en Irlande. La mairie de Paris prévoit de combattre Airbnb (accusé de détourner du marché des dizaines de milliers de logements) pour loger les locaux, en créant une société d'économie mixte qui rachèterait des logements.
Chez de nombreux voyagistes, on programme les dates des séjours en dehors des périodes à forte affluence et les visites sont écourtées, pour faire respirer les lieux. Les fortes cadences engendrées par l’industrie du tourisme (opposée à l’artisanat du tourisme) imposent ces mesures variées, dont on ignore l’impact sur le long terme. Les taxes et mesures dissuasives, qui doivent décourager les visiteurs et protéger les villes surchargées, se conjuguent avec l’éloignement du coronavirus, envisageable pour 2022.

Pour autant, assisterons-nous à un retour en force de l’overtourisme ? Les touristes de ce futur proche, privés de voyages pendant 18 mois, vont-ils se précipiter en masse vers des lieux qui les font fantasmer ? Ils en auront une certaine envie, mais le grand brassage de visiteurs, caractéristique de ce début de XXIe siècle, va devoir faire avec la sécurité sanitaire, car le Covid va laisser des traces comportementales.

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Vers une redistribution des cartes

Qui de l'offre ou de la demande a encouragé le sur-tourisme ? Est-ce l'arrivée de nouvelles offres (notamment, les locations sur AirBnB et leurs prix, au départ, plus bas que ceux des hôtels) qui a créé un appel d'air de touristes en masse ?

Dans le même registre, n'est-ce pas plutôt du côté des compagnies aériennes (et notamment, de celles à bas prix) qu'il faut regarder ? Et que dire des organismes publics (dans toute l'Europe) qui ont financé à coups de publicité l'atterrissage de ces mastondontes dans leurs territoires ... et des nuées de touristes qui vont avec; heureux de n'avoir payé un Barcelone-Rome que quelques dizaines d'euros ?..

C'est probablement le mix-gagnant: l'offre de transports à bas prix et de logements "plus accessibles" a suscité une demande sans commune mesure ! Le tourisme, ne l'oublions pas, étant une activité économique comme une autre, c'est bien l'offre qui y crée la demande ...

Pour autant, la crise a participé à "faire le ménage": des compagnies aériennes sont durablement clouées au sol et il n'est pas sûr qu'elles pourront susciter une demande aussi massive même à coups de bas prix; la peur de voyager dans une ère post-covid encore instable n'est pas près de quitter les individus.

Idem, du côté des loueurs de meublés, que la crise a obligé à revoir illico presto la "destination" de leur investissement locatif : "Moins de touristes ? Quittons ce marché et revenons à la location longue durée avec des résidents permanents !"

Ce phénomène s'accentue ces derniers mois compte tenu des perspectives "moyennes" de reprise touristique: l'offre risque donc de se dégonfler assez vite et donc, de voir les prix remonter ... dans les hôtels, les maisons d'hôtes et ailleurs.

Le sur-tourisme a été suscité par la profusion d'offres de transports et de logements ... il risque donc de s'atténuer par le reflux de ces mêmes offres. Et c'est peut-être tant mieux.

Côté hôtels aussi, l'offre risque de se "recadrer": entre les "virages sur l'aile" pour transformer certaines chambres en lieux mixtes (accueil en ville et télétravail) et la reconfiguration des lieux jusque là réservés aux séminaires et évènements (qui perdent en puissance), les hôteliers travaillent de plus en plus à la montée en gamme de leurs offres; ce qui devrait aussi circonvenir les envies de retour d'un sur-tourisme frénétique.

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Les chambres prémium vont attirer du monde

Toutefois, tels des fauves lâchés après un séjour en cage, les vacanciers ex-confinés seront tentés de se précipiter et de compenser le manque, dès que les vaccins anti-Covid auront produit les effets suffisants.

99% des voyageurs américains et canadiens sont impatients de voyager à nouveau, 70% prendront des vacances en 2021, selon une enquête produite en novembre par Travel Leaders Group et le World Travel & Tourism Council. ==Mais en Europe et en France, ==avant un retour à la normale l’année suivante, la situation sera encore fragile, car le Covid, l’impression du Covid ou l’habituation au contexte du Covid seront encore présents.

Aussi, pour faire la jonction et raccourcir la période entre la reprise et la rentabilité (renforcée par une demande refoulée), les hôteliers disent avoir le choix entre plusieurs options et ce, tant qu'ils ne parlent pas de fermer:

  • s'en tenir à une clientèle "locale", très franco-française, et aller chasser sur les terres des locations des clients qui (re)trouveront à l'hôtel le confort et la sécurité qu'ils craignent de ne pas trouver dans une location de vacances (voir les efforts de Booking pour rassurer ses clients sur ce segment),
  • viser une clientèle internationale à "forte contribution" : on ne parle pas de la clientèle des palaces mais de celle qui continuera de voyager indépendamment de la reprise des vols à bas prix entre la France et les autres pays européens ou ceux d'Amérique du Nord. Et là, c'est clairement sur un confort "remusclé" que les hôtels sont déjà en train de travailler ...

C'est aussi le cas aux US où l’étude de Travel Leaders Group précise que les chambres “premium” sont en mesure de sauver l'industrie hôtelière et que les hébergements qui en disposent vont s'en sortir plus vite que les autres. Elle préconise un mélange équilibré de chambres standard et premium au sein des hébergements, pour une bonne gestion des revenus, avec l’avantage de la différenciation concurrentielle sur le marché. Chambres premium ? Ce sont celles qui offrent la meilleure vue ou ont une surface plus grande. Certaines sont à thèmes, ou présentent un environnement hypoallergénique ou un système de purification de l’air pour certains profils de clients. Ces prestations stimulent la confiance des clients pendant leur séjour sont, en plus, un facteur de fidélisation.

En conclusion, la reprise du marché ne devrait pas se faire "par le bas" et de nombreux hébergeurs le savent bien. D'un coup d'un seul, vaccin ou pas, les grandes masses ne vont pas se remettre à voyager par troupes entières entre les grandes capitales européennes ou françaises. Le "filet" sera donc plus réduit mais plus exigeant; ce qui justifiera de prestations et de prix plus élevés que la moyenne. C'est d'ailleurs ce que justifient certains hôteliers qui "profient" du confinement actuel pour investir dans la modernisation de leurs établissements...