AirBnB oblige les hôteliers à revoir leur stratégie de prix en saison
Selon l'étude de la Tepper School of Business, AirBnB bousculerait la logique de la bonne vieille tarification "haute saison" et "basse saison". Si l'on appliquait ses conclusions, les prix de certains hôtels et maisons d'hôtes seraient sens dessus dessous ...
Jusqu'à l'apparition d'AirBnB, les hôtels se concurrençaient principalement entre eux. Dans une ville donnée, lorsque la demande était forte, les prix montaient et ils baissaient aussitôt dès que la demande diminuait. Les hôtels "se marquaient" entre eux et, globalement, en fonction des saisons, les prix des hôtels suivaient la même fluctuation d'un hôtel à l'autre, d'une catégorie à l'autre (entrée de gamme, moyenne, standing).
Selon l'étude de la Tepper School of Business de la Carnegie Mellon University, intitulée "Dynamique de la concurrence dans l’économie de partage", l'arrivée d'AirBnB devrait faire voler en éclat ce bon vieux modèle du prix de saison...
Dans "l'ancien temps", sur une destination donnée, l'offre hôtelière (qui dominait) se régulait globalement. Si une ville comptait 3000 chambres, il était difficile d'en construire 500 de plus du jour au lendemain pour faire face à une affluence de touristes ou de congressistes. Dans ce cas, les prix des hôtels (toutes catégories confondues) montaient en fonction de la pression exercée par la demande.
Les hôtels d'entrée de gamme touchés en premier
Selon l'étude des chercheurs Hui Li et Kannan Srinivasan, ce n'est plus possible depuis l'arrivée d'AirBnB... Ces derniers ont constaté sur des dizaines de destinations étudiées que, sous la pression des saisons ou des évènements, des logements entiers apparaissaient sur le marché (via AirBnB) et disparaissaient aussitôt. En clair, des propriétaires d'appartements et de villas mettaient leurs produits en vente sur AirBnB pour profiter de l'afflux saisonnier. Résultat ? Face à cet afflux massif de nouvelles chambres, les prix des hôteliers en "haute saison" ne sont plus compétitifs. En particulier, ceux des hôtels d'entrée de gamme.
L'hôtellerie haut-de-gamme préserverait, quant à elle, ses positions car, toujours selon l'étude, la qualité de ses services lui permet de tenir le choc face aux offres AirBnB mais, à condition, de revoir sensiblement ses prix à la baisse. Mais, il est probable que la tendance évolue dans le temps en raison des appétits d'AirBnB pour ce secteur de l'hébergement d'affaires...
Pour les autres catégories d'hôtels (entrée et moyenne gamme), l'évasion des clients (en haute saison) vers AirBnB serait évidente. On note même, sur ces périodes, que celle des voyageurs d'agrément serait 3,2 supérieure à celle des voyageurs d'affaires, nouveau cheval de bataille de AirBnB.
Mais, AirBnB stimule la demande sur une destination
Les chercheurs ont également démontré que l'émergence de cette offre massive en provenance de AirBnB avait des effets aussi sur la demande ... Selon les chercheurs, quand les hôtels dominent une destination et qu'ils "font la loi" sur des prix élevés en haute saison, cette politique a pour effet de réduire la demande de 13,7% pour la destination. En clair, moins de clients mais qui paient plus cher ...
En revanche, toujours selon l'étude, quand l'offre est stimulée par celle des logements AirBnB à des prix plus abordables, la chute de la demande est divisée par deux. En clair, les prix élevés des hôtels font fuir moins de clients sur la destination.
Cette étude peut donner du (bon) grain à moudre à la fois à AirBnB et aux destinations qui travaillent main dans la main avec le géant californien: en clair, plus son offre est stimulée sur un territoire donné, plus la destination pourrait attirer du touriste. Mais, coté (mauvais) grain, elle donne aussi raison à tous les opposants à "l'overtourisme" pour lesquels ouvrir les vannes d'une destination (grâce aux logements AirBnB) à une clientèle pas forcément profitable pour elle est une mauvaise bonne idée. Deux camps, deux visions s'affrontent ... et les hôteliers, dans tout cela ?
Revoir sa stratégie tarifaire
Justement, selon le chercheur Hui Li: "Lorsque les hôtels tentent d'augmenter les prix au moment de la haute saison, ils ne font que susciter une concurrence accrue en provenance des listings AirBnB et cela rend leurs prix encore moins compétitifs". En clair, selon le chercheur, les hôtels devraient reconsidérer leur stratégie de prix saisonniers non pas en considérant la concurrence entre hôteliers mais en pensant à celle qui se manifeste depuis AirBnB pendant les saisons hautes. Son conseil ? Puisque l'offre va augmenter sur votre destination et que les prix vont baisser, revoyez vos prix à la baisse pour les rendre encore plus compétitifs que ceux des logements AirBnB. Faites valoir vos services, votre emplacement pour que le client préfère finalement l'hôtel à une location de vacances.
Certains hôteliers crient déjà au scandale en jurant qu'il n'est pas question de revoir leurs tarifs à la baisse sous la pression d'AirBnB mais d'autres hôteliers commencent à appliquer cette stratégie "disruptive" qui doit s'apprécier, il est vrai, en fonction de la ville ou de la destination elle-même et de l'état de la concurrence.
Mais pour les chercheurs, la réflexion en vaut la peine : "On ne dit pas qu'un hôtelier doit complètement abandonner la stratégie de tarification saisonnière mais qu'il doit introduire partiellement ce type de contre-stratégie...". Selon les chercheurs, si les hôtels haut-de-gamme restent les moins sensibles à ce phénomène, il n'en reste pas moins que leur sensibilité à "l'effet AirBnB" est jaugée en fonction du contexte réglementaire de leur destination: si les logements AirBnB sont soumis à des frais et des contraintes supérieurs, l'hôtel s'en tire mieux dans un tel contexte concurrenciel. Mais si les coûts liés à l'exploitation d'un logement AirBnB baissent (le particulier fait appel à des sous-traitants pour réduire ses coûts de ménage et d'accueil, par exemple), l'hotellerie haut-de-gamme se retrouve facilement en souffrance avec des prix considérés comme peu compétitifs (par les voyageurs d'affaires, principalement).
Augmentez les prix en basse saison
Cette étude a le mérite de rebattre les cartes et de montrer qu'il n'y a pas de fatalité à la concurrence AirBnB. Selon les chercheurs, les hôteliers pourraient même pousser l'audace jusqu'à augmenter leurs prix en basse saison; c'est-à-dire, là où ils avaient plutôt l'habitude de les baisser. Selon ces derniers, en effet, les propriétaires de logement présents sur AirBnB ne sont pas intéressés par la "basse saison", donc logiquement l'offre de chambres baisse sur une destination donnée ... mais la demande reste stimulée. Une opportunité de plus pour que les hôteliers, par conséquent, revoient leurs prix à la hausse.
Ainsi, si l'on en croit l'étude, en baissant ses prix en haute saison et en les augmentant en basse saison pour tenir compte du phénomène concurrenciel de AirBnB, un hôtel (ou une maison d'hôtes) activerait une stratégie de prix à l'opposé de toutes les logiques commerciales qui prédominaient jusque là ... et pourrait, bon an mal an, se garantir un revenu par chambre aussi élevé qu'avec la bonne vieille tarification saisonnière et, de fait, démontrerait son agilité commerciale. Car, selon l'étude, la concurrence va s'aiguiser dans les prochains trimestres et les hôteliers seront condamnés, qu'ils le veuillent ou non, à changer de fusil d'épaule lorsqu'ils repenseront leur stratégie tarifaire.